Voici une méditation du père Raniero Cantalamessa, prédicateur de la maison pontificale, sur l’Évangile des Noces de Cana que l’Église a lu ce dimanche 14 janvier: « un message d’espérance pour tous les couples, y compris les meilleurs »
L’Evangile du IIe Dimanche du Temps ordinaire est l’épisode des noces de Cana. Qu’a voulu nous dire Jésus en acceptant de participer à un repas de noces ? Il a ainsi, avant tout, honoré de manière concrète les noces entre l’homme et la femme, en répétant de manière implicite qu’il s’agit d’une chose belle, voulue par le créateur et bénie par lui. Mais il a également voulu nous enseigner autre chose. Par sa venue s’accomplissait dans le monde le mariage mystique entre Dieu et l’humanité qui avait été promis à travers les prophètes, sous le nom d’« alliance nouvelle et éternelle ». A Cana, le symbole et la réalité se rencontrent : le mariage humain entre deux jeunes est l’occasion de parler d’un autre mariage, le mariage entre le Christ et l’Eglise qui s’accomplira à « son heure », sur la croix.
Si nous voulons découvrir comment devraient être, selon la Bible, les relations entre l’homme et la femme dans le mariage, nous devons analyser les relations entre le Christ et l’Eglise. Essayons de le faire, en suivant la pensée de saint Paul sur ce sujet, telle qu’elle est exprimée dans Ephésiens 5, 25-33. Selon cette vision, à l’origine et au centre de tout mariage doit se trouver l’amour : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise : il s’est livré pour elle ».
Cette affirmation selon laquelle le mariage est fondé sur l’amour, nous semble aujourd’hui évidente. Mais cela n’est reconnu que depuis un peu plus d’un siècle seulement, et pas partout. Pendant des siècles et des millénaires le mariage a été une transaction entre familles, une manière de pourvoir à la conservation du patrimoine ou à la main-d’œuvre pour le travail des chefs, ou une obligation sociale. Ce sont les parents et les familles qui prenaient les décisions et non les époux, qui ne faisaient souvent connaissance que le jour du mariage.
Jésus, dit encore saint Paul dans l’Epître aux Ephésiens, s’est donné lui-même « car il voulait se la [l’Eglise, ndlr] présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel ». Est-il possible, pour un mari humain, d’imiter le Christ époux, en cela également ? Peut-il ôter les rides de sa propre femme ? Bien sûr qu’il le peux ! Il y a des rides qui sont provoquées par l’absence d’amour, par le fait d’avoir été laissé seul. Celui qui se sent encore important pour son conjoint n’a pas de rides, ou, s’il en a, ce sont des rides différentes, qui augmentent et non diminuent la beauté.
Et les femmes, que peuvent-elles apprendre de leur modèle qui est l’Eglise ? L’Eglise se fait belle uniquement pour son époux, non pour plaire à d’autres. Elle est fière et enthousiaste de son époux, le Christ, et ne se lasse pas d’en faire les louanges. Traduit sur le plan humain, cela rappelle aux fiancées et aux femmes que leur estime et leur admiration est une chose très importante pour le fiancé ou le mari.
Il s’agit parfois pour eux de ce qui compte le plus au monde. Il serait grave qu’ils en manquent, il serait grave de ne jamais avoir une parole d’appréciation pour leur travail, leur capacité de gouverner, d’organiser, leur courage, le don d’eux-mêmes à la famille ; pour ce qu’il dit, s’il est un homme politique, ce qu’il écrit s’il est écrivain, ce qu’il crée, s’il est un artiste. L’amour se nourrit d’estime et meurt sans elle.
Mais ce que le modèle divin rappelle avant tout aux époux, c’est la fidélité. Dieu est fidèle, toujours, en dépit de tout. Aujourd’hui, la question de la fidélité est devenue une question particulièrement difficile, que personne n’ose plus aborder. Et pourtant le facteur principal de l’effritement de tant de mariages se trouve précisément dans l’infidélité. Certains ne sont pas d’accord et prétendent que l’adultère est l’effet et non la cause des crises matrimoniales. On trahit, en d’autres termes, car il n’existe plus rien avec son propre conjoint.
Parfois, cela pourra aussi être vrai ; mais très souvent il s’agit d’un cercle vicieux. On trahit parce que le mariage est mort, mais le mariage est mort précisément parce que l’on a commencé à trahir, peut-être dans un premier temps seulement avec le cœur. La chose la plus odieuse est que souvent précisément celui qui trahit fait retomber sur l’autre la faute de tout ce qui se passe et se comporte en victime.
Mais revenons au passage de l’Evangile car il contient un message d’espérance pour tous les couples humains, y compris les meilleurs. Ce qui se produisit lors des noces de Cana se produit dans tout mariage. Il commence dans l’enthousiasme et la joie (symbolisés par le vin) ; mais cet enthousiasme initial, comme le vin à Cana, se consume au fil du temps et vient à manquer. On fait alors les choses non plus avec amour et joie mais par habitude. Si l’on n’est pas attentif, une sorte de nuage de grisaille et d’ennui s’abat sur la famille. Il faut également dire, avec tristesse, de ces couples : « Ils n’ont plus de vin ! ».
Le passage de l’Evangile indique aux conjoints un chemin pour ne pas tomber dans cette situation, ou en sortir si l’on y est entré : inviter Jésus à son propre mariage ! S’il est présent, on peut toujours lui demander de répéter le miracle de Cana : transformer l’eau en vin. L’eau de l’habitude, de la routine, de la froideur, en un vin d’amour et de joie meilleurs que le premier, comme le vin multiplié à Cana. « Inviter Jésus à son propre mariage » signifie accorder à l’Evangile une place d’honneur chez soi, prier ensemble, recevoir les sacrements, prendre part à la vie de l’Eglise.
Les deux conjoints ne sont pas toujours au même niveau sur le plan religieux. L’un peut être croyant et l’autre non, ou au moins pas de la même manière. Dans ce cas, que celui des deux qui connaît Jésus l’invite aux noces et qu’il fasse en sorte que – par sa gentillesse, le respect pour l’autre, l’amour et la cohérence de sa vie – il devienne vite l’ami des deux. Un « ami de famille » !