Dans son nouveau numéro la revue Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens pose la question de la vocation. Entretien avec Mgr Deniau, évêque de Nevers, sur le vocation du Christ.
Jésus était parfaitement homme. Aux différents moments de son itinéraire, il a vécu nos recherches et nos tâtonnements, nos décisions à prendre dans l’ignorance de l’avenir. A sa suite, nous sommes invités à prendre au sérieux les événements de notre vie, nos interrogations, et à y entendre une parole.
Muriel du Souich : Dès le début, Jésus sait-il qui il est et à quoi il est appelé ? Ou bien le découvre-t-il progressivement ?
Mgr Francis Deniau : Dieu sait bien plus que nous-mêmes qui nous sommes : Seigneur, tu me sondes et me connaîs (Psaume 138). Nous, nous le découvrons au fur et à mesure de notre vie, en nous confiant à Lui. Jésus sait qui il est en se recevant entièrement du Père et en s’en remettant totalement à Lui. Mais, étant vraiment homme, il ne le découvre que progressivement. Et ce point est essentiel, car s’il n’est pas vraiment homme, Jésus ne nous concerne pas. Souvent, nous avons de lui une image planant entre ciel et terre, une espèce de mixte entre Dieu et l’homme : cela n’est pas la foi !
La foi, c’est croire que Jésus est un homme, avec les pieds dans les baskets, et ses baskets dans la glaise, et que cet homme est le Fils de Dieu. Les différents conciles l’affirmeront : le même est parfaitement homme et parfaitement Dieu. Du coup, son expérience nous parle. Elle nous ouvre des horizons, en nous dévoilant à la fois qui est Dieu et quel peut être notre chemin d’humanité.
Il ignorait vraiment son avenir ?
Oui, l’avenir n’est pas écrit d’avance et comme tout être humain, il l’ignorait. Pour contribuer à le construire, nous avons à prendre des décisions risquées, sans en connaître les conséquences. C’est notre dignité, notre responsabilité, notre liberté d’hommes et de femmes. Or Jésus est l’homme libre par excellence, d’autant plus libre qu’il se confie totalement au Père. Sa parole est d’autant plus la sienne qu’il peut dire : Je ne parle pas de moi-même, je dis ce que j’ai entendu auprès du Père.
S’en remettre totalement au Père, n’est-ce pas aliénant ?
La parole de Jésus est libre, car venant du Père, elle vient du cur de son être. Nous, nous opposons souvent autonomie et dépendance d’un autre et avons envie de tout maîtriser. Or si je mène un projet sans en dévier d’un pouce, quels que soient les événements et les rencontres, tout va s’écrouler ; si je veux conserver à tout prix les fruits de mes actions, je vais les étouffer ; si je rends service à des gens et veux me les attacher, je vais les empêcher de vivre. Jésus ne cherche pas à retenir les personnes et ne souligne même pas que les choses viennent de lui : Ta foi t’a sauvé. C’est pourquoi sa parole est forte. Au risque de choquer, ce qui lui importe, c’est ce à quoi le Père l’appelle : rendre Dieu proche à chacun, libérer, mettre les gens debout. Même s’il ne sait pas où cela le mènera.
Autour du 1er janvier, j’étais à Jérusalem avec une délégation de l’épiscopat français et nous avons rencontré un responsable de l’université palestinienne qui nous parlait de son travail pour la paix. A la question Vous n’avez pas peur que l’on vous accuse de collaboration, il répondit : Ce qui m’importe, ce n’est pas ce que les gens vont penser de moi, mais, ce qu’en conscience j’estime avoir à faire. Il n’était pas dépendant, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, il s’en remettait radicalement à ce qu’il avait reçu de Dieu, à ce à quoi il se sentait appelé, justement.
Comment Jésus s’adresse-t-il à son Père ?
Avec le Notre Père, Jésus nous livre son expérience spirituelle. Les trois premières demandes de la prière qu’il nous a apprise expriment l’ouverture radicale de tout son être à la volonté du Père : qu’à travers ce que je vis, mon itinéraire, mes découvertes, mes relations, mes rencontres, ton nom soit sanctifié, ta volonté soit faite, ton règne vienne.
Les appels qu’il reçoit passent-ils aussi justement par des évènements, par des rencontres ?
Oui, ainsi il reçoit un don de Dieu à travers la prédication de Jean Baptiste. Plusieurs rencontres provoquent aussi en lui un déplacement. Ainsi, la syrophénicienne qui lui demandait d’expulser un démon hors de sa fille (Marc 7,24-30). Laisse d’abord les enfants manger à leur faim, répond-t-il ! On ne prend pas le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. La femme ne se laisse pas dérouter : Bien sûr, mais les petits chiens sous la table, mangent les miettes des enfants ! Le centurion romain (Luc 7,1-10) : Je ne suis pas digne que tu entres chez moi, mais dit seulement une parole et mon enfant sera guéri.Même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi, s’étonne Jésus. Les paroles de ces païens rencontrés sur sa route le poussent à une décision nouvelle : aller non seulement vers le monde juif, mais vers toute l’humanité. La Samaritaine (Jean 4) le surprend également. Toutes ces rencontres lui font découvrir l’ampleur de ce à quoi le Père l’appelle.
Comment Jésus a-t-il perçu la nécessité de passer par la mort ?
Jésus a été éclairé sur sa vocation, sur l’appel qui lui était adressé de façon unique en confrontant son expérience à l’Écriture. Lorsque, après les succès de Galilée, il perçoit rejet, prise de distance vis-à-vis de lui, et même complot, il médite l’Écriture et celle-ci s’éclaire pour lui et éclaire ce qu’il est en train de vivre. Il reçoit l’appel d’entrer dans la mission du serviteur de Dieu dont parle la seconde partie du livre d’Isaïe et dans l’expérience du psalmiste (Psaume 22) Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?.
Comment tout cela peut éclairer ceux qui aujourd’hui ont à choisir leur vie ?
La méditation de l’Écriture, Nouveau et Ancien Testament peut aider chacun à éclairer son itinéraire, à découvrir ce à quoi il est appelé. Il s’agit, comme le Christ, d’être complètement ouvert à la venue du Règne de Dieu, à l’accomplissement de sa volonté et en même temps, d’analyser, de relire comment il nous appelle à travers les circonstances, les événements, les rencontres de notre vie. Sauf circonstance exceptionnelle, notre vocation ne nous sera révélée ni lors d’un songe ni par un éclair lumineux, mais par à une ouverture de tout notre être, par la recherche de nos désirs profonds. A notre propre risque, nous devons interpréter tout ce qui se passe, pour décider quel chemin tracer.
Certains jeunes seront appelés à accompagner Jésus sur les routes, en partageant son mode de vie itinérant, avec pour priorité, l’annonce de l’Évangile et la rencontre des personnes : c’est la motivation première du célibat apostolique. D’autres, seront invités à l’accueillir dans leur maison en demeurant dans les villes et villages. J’imagine très bien Jésus leur disant : J’aurais aussi besoin d’être reçu chez vous. Ce n’est pas une mission moins importante. Vivez ce que vous avez à vivre, tout simplement, mais vivez-le avec un regard neuf. Entre les deux, il ne s’agit pas de découvrir ce qui serait meilleur ou moins bon, mais ce à quoi on est appelé.
Aller plus loin avec l’Ecriture…
Des moments de questionnement, d’obscurité ?
Après les succès de Jésus en Galilée, arrive un moment où les foules se détachent et s’en vont : Elle est dure cette parole ! Qui peut l’écouter ? (Jean 6,60). À la limite, plus il parle, plus ses interlocuteurs s’endurcissent. Il a l’impression de perdre son temps et doute des fruits que portent sa parole et sa mission. Il se demande où tout cela va le mener. Finalement, ce sera à Jérusalem, pour témoigner devant les autorités religieuses, avec la conscience du complot tramé contre lui et le sentiment que cela le mènera à la mort. À Gethsémani aussi, la volonté du Père lui apparaît complètement obscure, pas seulement à cause de son angoisse de la mort, mais parce qu’elle est en contradiction avec sa mission : aider les gens à se convertir. Alors il se remet à nouveau entre les mains du Père, confiant que ce qui arrive, à la fois le Père et les disciples, même si dans l’immédiat ils n’ont rien compris, sauront en faire quelque chose.
Philippe lui dit : Seigneur montre-nous le Père et cela nous suffit. Jésus lui dit : Voilà si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ! Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : mais
le Père demeurant en moi fait ses uvres. Croyez-m’en !
Jean 14,8-10