A l’occasion du pélerinage de la COMECE à Saint Jacques de Compostelle, Hilde Kieboom de la communauté Sant’ Egidio médite sur le chapitre 8 de l’Epitre de Saint Paul aux Romains.
Comme des pèlerins nous sommes venus de différents horizons à un endroit qui depuis des siècles a inspiré les croyants dans leur recherche de Dieu. Au pied de la croix, ils déposaient une pierre de leur région et priaient pour le pardon et pour la réconciliation. Nous sommes aussi venus de nos milieux et de nos régions, à la veille de l’élargissement de l’Union européenne, avec nos supplications pour la réconciliation, l’unité et la paix.
L’apôtre Paul parle de la nature qui gémit dans les douleurs de l’enfantement. Il attire ainsi notre attention sur les pauvres de notre continent, dont le nombre augmente ces derniers temps: ce sont les sans-abri, les malades mentaux, les réfugiés, les personnes âgées qui se retrouvent souvent dans l’abandon face à une grande indifférence il suffit de nous souvenir les effets de la canicule de l’été passé en plusieurs pays européens. Nous entendons le gémissement des victimes de la capitale de ce pays après les attentats terroristes du 11 mars. Notre monde plie sous la division, la violence et la guerre. Nous voyons aujourd’hui le déficit d’un monde qui a trop peu investi dans l’égalité des destins humains et dans le dialogue entre religions, peuples et cultures. Notre monde est malade de violence et il risque de s’habituer à la guerre, que le fondateur de la Communauté Sant’Egidio, Andrea Riccardi, a appelé la « mère de nombreuses pauvretés ». Les forces polarisatrices paraissent souvent plus fortes que les tentatives de ceux qui essayent d’unir et de réconcilier.
Mais le gémissement et la douleur du monde d’aujourd’hui proviennent surtout de l’extérieur de notre continent, du grand Sud. L’Afrique connaît actuellement le plus de conflits armés. La faim et la guerre sont les compagnes les plus fréquentes de l’homme et de la femme africains. Ils sont frappés en outre par la terrible épidémie du SIDA, qui constitue un vrai génocide. Jean-Paul II a parlé de l’Afrique comme d’un banc d’essai prioritaire pour la conscience et la civilisation européennes. Dans notre monde globalisé, il est toujours plus difficile de dire que nous ne savions pas. Certes, la plus grande partie de l’opinion publique en Europe est consciente de l’injustice du monde qui ménage des destins différents pour ses enfants du Nord et pour ceux du Sud, où sévit la maladie de la violence et de manque de futur. Mais, pourtant, beaucoup d’Européens se sentent impuissants et laissent baisser les bras : on peut constater beaucoup de pessimisme et de résignation.
L’Europe représente tout d’abord la paix : paix entre Européens, qui se sont combattus pendant des siècles, en particulier durant les deux guerres mondiales, qui ont ensanglanté l’Europe et qui ont dévoré avec la Shoah le peuple juif et les gitans. Notre Union Européenne représente la paix entre les Européens. Mais elle représente aussi la paix pour les non Européens : la paix comme mission pour l’Europe au-delà de ses frontières. Il faut parcourir à nouveau les frontières de ce qui représente l’altérité par rapport à l’Europe. La paix est un grand bien pour tous, un don auquel ce monde aspire dans tant de lieux. Mais nous, Européens, qu’avons-nous fait de ce don de la paix ? N’avons-nous pas vécu de manière rassasiée, sur les vagues de la croissance économique qui semblait sans limites, en croyant naïvement que la violence pourrait être exilée aux périphéries de notre monde ? N’avons-nous pas renoncé à notre mission d’être présents aux carrefours difficiles du monde d’aujourd’hui ?. N’avons-nous pas, comme chrétiens, renoncé trop facilement à la tâche que Jésus a confiée à ses disciples d’être des artisans de paix ?
Comme pèlerins, nous voulons, aujourd’hui, demander pardon pour notre division interne, pour notre résignation à l’impuissance, pour notre tentation de céder à l’insignifiance sur le terrain des grands fronts de notre temps. Avec Paul, nous regardons vers l’avant, d’un regard qui n’est pas seulement informé par les journaux, mais aussi illuminé par l’espoir de Dieu pour ce monde : le dessin d’un monde qui est unit, qui vit une justice globalisée, qui connaît la paix, même si cela est encore invisible aujourd’hui. Moïse aussi se mit en route, en pèlerinage, vers un pays qu’il ne devait jamais voir et Abraham n’eut pas peur, en ses vieux jours, de quitter son pays et ses habitudes pour un futur plus pertinent pour l’histoire humaine.
Nous nous situons aussi à un nouveau départ. Notre monde a besoin d’une Europe forte et unie. Notre monde a besoin des chrétiens d’Europe qui croient en leur mission. L’Europe a une histoire de projection universelle marquée par l’impérialisme et le colonialisme. Mais est-ce que les erreurs du passé que nous déplorons - nous délient de notre responsabilité de tendre à l’universel ? Paradoxalement, dans ce monde globalisé, on traverse dans plusieurs de nos pays riches et peureux une phase d’introversion, de renfermement dans notre bien-être et d’attraction des identités locales, repliées sur elles-mêmes.
L’Europe signifie paix, mais aussi capacité de construire une culture de la cohabitation entre religions différentes et laïcité, en une époque où à plusieurs endroits de ce monde, des croyants sont tentés par le fondamentalisme. L’Europe peut et doit tracer un chemin pour réconcilier identité et ouverture, pour relier une foi authentique avec l’intelligence de la culture. La richesse en humanité du continent européen doit devenir une source à laquelle beaucoup de gens de ce monde pourront se rafraîchir.
Dans notre monde blessé en de nombreux endroits, des germes de quelque chose de neuf pointent aussi. Les germes de l’attente de paix, de dialogue interreligieux, d’unité. Mais pour s’apercevoir des germes de l’invisible, nous devons devenir des personnes spirituelles, qui recourent à la force faible de la prière, l’arme des pauvres. Celui qui pénètre nos curs nous connaît et sait ce dont nous avons besoin. Ouvrons-nous à l’Esprit de Dieu afin que par nos mains et nos mots, nous offrions la paix et la réconciliation à notre monde blessé.