Voici la cinquième catéchèse de Carême, écrites spécialement par des évêques de France à cette occasion.
La Croix est toujours proche de nous. Toujours proche des hommes et toujours proche des chrétiens.
Après l’unanimité qui a entouré le voyage du Pape en septembre dans notre pays, l’atmosphère de paix, de joie, d’espérance que nous avons pu goûter alors, les derniers mois nous ont rapprochés de la Passion. A la gloire, c’est-à-dire au doux rayonnement de la charité, ont succédé les outrages et les crachats. Nous avons été mis à l’épreuve. Sommes-nous capables de nous reconnaître les frères et même en un sens les fils et les filles de cet homme-là dont les propos sont stigmatisés par les médias ? Sommes-nous capables de lui faire confiance qu’il cherche à être le porte-parole authentique du Seigneur Jésus lui-même ? Sommes-nous prêts à écouter ce qu’il dit, lui, et non pas seulement ce que d’autres prétendent qu’il aurait dit ?
Et, plus profondément encore, sommes-nous capables d’assumer devant les autres que nous avons une vision riche et pleine de la sexualité ? Nous n’y voyons pas une pulsion incontrôlable de laquelle il suffit de tirer le maximum de plaisir. Nous y reconnaissons une invitation à faire de notre vie et de notre corps lui-même un don et un gage de communion, de réconfort, de respect, de joie pour autrui et c’est pourquoi nous la réservons pour le mariage, nous l’orientons, nous tâchons d’en faire une force au service de l’amour le plus authentique. Nous connaissons nos faiblesses, nous savons bien la fascination que ce qu’on appelle le « sexe » exerce sur les hommes et sur les femmes et nous ne prétendons pas en être indemnes.
Il y a beaucoup à convertir dans notre regard sur les autres, sur nous-mêmes, dans nos imaginations, nos rêves de puissance et de séduction. Nous savons que cette conversion représente un combat, qu’il y a et qu’il y aura des moments rudes. Mais nous savons aussi que ce combat nous mène vers plus de vie, qu’il approfondit en nous la capacité d’aimer en acte et en vérité, d’aller vers autrui pour ce qu’il est ou ce qu’elle est, sans chercher d’abord à en tirer du profit pour soi. Nous savons que la sexualité n’est pas une chose en soi : elle est reliée à notre orgueil et notre vanité, à notre soif de posséder et à notre peur de manquer, à notre inquiétude du regard des autres et à notre besoin d’affirmer notre place au soleil, tandis que, dans la lumière du Christ, au pied de sa croix, nous nous savons aimés de Dieu, aimés de manière inouïe et infiniment respectueuse, nous nous savons pardonnés et nous pouvons puiser dans ce pardon la force d’approfondir en nous l’humilité et le goût de la vérité, le sens du réel et l’espérance en cette vie, l’attention aux autres et l’ouverture à ce qu’ils nous apportent. Ma croix, c’est moi-même, dans ce qu’il y a encore de compliqué, de mélangé, d’incertain en moi. Suis-je prêt à me saisir de la croix que je suis pour moi-même ? Suis-je prêt à me prendre sur mon épaule, comme les paralytiques que Jésus guérit sont invités à prendre leur grabat et à rentrer chez eux ?
Si nous l’ignorions, nous l’avons découvert ces derniers mois : être du Christ, c’est appartenir à son Église, et appartenir à l’Église, c’est s’approcher de la croix. Car c’est accepter d’être le frère et la sœur de tous ceux-là qui se réclament de Jésus, même de ceux dont le comportement me déplaît ou me paraît contradictoire avec l’Évangile. Je dois assumer devant les autres hommes que nous appartenons au même corps. C’est cela, aimer : être prêt à souffrir à cause des autres. Pas seulement à cause de ce qu’ils me font, mais surtout à cause de ce qu’ils sont. La croix, ce sont les autres, les frères et les sœurs qui me sont donnés à aimés, malgré tout. Ils peuvent être mes voisins de paroisse, les membres de ma famille, des voisins ; ils sont aussi tous les hommes qui se réclament du Christ Jésus, qui acceptent d’être lavés par le même sang et nourris par le même corps de charité.
La croix est proche de nous, nous a dit le Pape en septembre. Cela s’est vérifié. Mais la croix n’est pas destruction. La croix n’est pas le mal qui s’abattrait sur nous et détruirait simplement nos espoirs, nos constructions, nos attentes. La croix, la croix de Jésus, n’est pas le mal ou la mort, mais l’amour s’affrontant au mal et à la mort, les prenant à bras-le-corps. La croix, ma croix, c’est moi-même tâchant d’aimer dans le Christ, avec le Christ, par le Christ, malgré tout ce qui en moi résiste à l’amour et malgré tout ce qui, dans les autres, m’empêche de les aimer. La Croix, c’est l’assurance que l’amour traverse toutes les résistances et transfigure les plus épaisses opacités. En ce temps de la Passion qui s’ouvre, en cette Semaine sainte, la grande semaine, regardons Jésus aller vers sa croix et contemplons-le faisant du signe que nous le rejetons le moyen de nous aimer au-delà de toute attente.