“Le mal a été de toujours une pierre d’achoppement pour l’esprit dans toutes les religions et dans toutes les philosophies. Le mal est un problème inéluctable qui peut conduire soit à la révolte ou au suicide intérieur ou extérieur, donc au refus de dans une accusation qui ne trouvera jamais de réponse, l’homme et de la vie, soit au refus de Dieu “. Un entretien avec Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint Siège auprès de l’Unesco, à l’occasion un colloque sur le thème de la douleur.
La douleur : énigme au mystère ? 1/2
Comprendre la douleur n’est-il pas un moyen de la vaincre ? Les psychologues nous disent que ceux qui ont le mieux résisté à la souffrance morale dans les camps de concentration par exemple étaient les croyants parce qu’ils donnaient un sens à leur présence dans un tel lieu ainsi qu’à leur douleur ?
Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas tout, on ne peut pas tout comprendre. La réponse à l’énigme de la souffrance, quand on ne peut plus lutter contre la douleur, c’est le Mystère. Le risque est de réduire la Foi à une sorte d’aspirine spirituelle que l’on prend en cas de douleur morale. Et puis ce n’est pas mécanique, des saints sont morts dans les camps de concentration, le père Kolbe par exemple. Tenez, l’autre jour, j’étais à Los Angeles, où l’Eglise est confrontée au problème des sectes. L’attitude des chrétiens de là-bas ne consiste pas à dire que l’Eglise est meilleure que les sectes. Ils se situent à un autre niveau que celui d’une conception utilitaire de la spiritualité. De même, je connais un pasteur à qui est confronté à un problème de concurrence entre confession et psychanalyse. Là encore, il se situe à un autre niveau en expliquant en l’occurrence que le complexe de culpabilité, causé par les autres ou par soi-même contre soi-même, est une chose et que le péché, dirigé, quant à lui, contre Dieu, en est une autre. Ceci dit, la Foi est bonne pour la santé. L’Espérance aide à mieux vivre, à vivre dans la vérité et dans l’amour. D’ailleurs, le message du christianisme consiste à dire que la récompense n’est pas seulement donnée après mais avant la mort. Après avoir reçu l’ultime récompense de la Résurrection, le Christ lui-même n’a pas tout de suite quitté la terre, il est revenu auprès de ses apôtres, manger avec eux. La Foi donne la force de vivre. La Foi est Vie. Tous les médecins disent bien que les malades qui ont la foi guérissent plus vite et souffrent moins.
Le psychisme et le corps ressortent grandis de l’expérience de foi ?
Comme le dit la philosophie chrétienne, la personne est un tout. On ne peut pas distinguer l’âme d’un côté et le corps de l’autre. Jean-Paul II a développé toute une théologie du corps, à la suite de Saint Thomas d’Aquin qui prétendait qu’au Paradis, les hommes, dans attente du jugement dernier, n’étaient que des moitiés d’hommes puisqu’ils laissaient un corps sur la terre. Saint Thomas avait déjà compris qu’une théologie qui oubliait le corps était une théologie qui réduisait l’homme à la moitié de lui-même.
De nos jours, en France en tous cas, on entend assez peu parler de la valeur salvifique de la souffrance. Est-ce à votre avis une sage décision, qui nous évite de retomber dans le dolorisme ? Est-ce au contraire par excès de pudeur ou est-ce à cause d’un affaiblissement de la vie mystique ?
La négation de la douleur est un problème de société. Quand j’étais jeune (c’est-à-dire hier !), du temps où j’étais professeur de philosophie, j’étais convaincu qu’il fallait démontrer la rationalité de la Foi, l’enjeu étant de prouver que l’acte de Foi est une démarche raisonnable engageant l’intelligence et la volonté, c’est-à-dire une démarche fondamentalement humaine. Aujourd’hui, je crois que l’annonce de la Foi est confrontée à un autre problème, celui du bien-être. On ne s’inquiète pas d’abord du bien fondé de telle ou telle chose mais du bien être qu’elle peut nous apporter. Si je rencontre une personne, par exemple, en lui disant que je sais ce qui donne sens à l’existence, il ne voudra pas le savoir. On fuit l’essentiel. La démarche du bouddhisme est significative à cet égard. Le bien-être est vraiment le problème du monde occidental. On ne veut pas entendre parler de la douleur parce qu’on ne veut pas l’affronter, le seul but est d’atténuer la douleur pour ne pas la voir, mais, comme l’expliquait le docteur Mirabel, le fait est que plus la douleur physique diminue plus l’expression de la douleur augmente, paradoxalement. C’est un cercle sans fin. Nos contemporains confondent finalement le bien être et l’ être bien .
Comment l’Eglise peut-elle contribuer à faire passer la société d’une conception de la vie comme bien-être à une conception de la vie comme être bien ?
Permettez-moi d’abord de définir le mot conception . Il faut revenir au sens physique que les femmes donnent à ce mot. Je m’explique : quand je dis que j’ai telle ou telle conception de la vie, que je sois kantien, nietzschéen ou sartrien, c’est toujours à une anthropologie que je fais référence, en revanche, quand une femme dit j’ai conçu , il s’agit de toute autre chose ! C’est dans ce sens qu’il faut que nous concevions les choses, d’une manière charnelle et concrète. Aujourd’hui, la tendance est à la dés-incarnation mais dans l’Eglise, Celui auquel nous sommes fidèles n’est autre que le Christ incarné. Pour répondre précisément à votre question, je crois que l’Eglise doit jouer pleinement son rôle d’éducatrice dans ce domaine. L’éducateur est celui qui introduit à la réalité, comprenez la réalité totale. Eduquer c’est introduire à la vie, comme une mère qui introduit son enfant dans la vie en le tenant par la main. Ainsi, il faut que l’Eglise instruise tout en accompagnant. Saint Augustin avait déjà compris, bien avant la pédagogie moderne, que l’éducateur n’est pas simplement celui qui donne des leçons mais celui qui ouvre à la vie. Il suscite certes des comparaisons par le biais de notions, qui aident l’élève à trouver des repères, mais il est avant tout celui qui tisse une relation en s’adressant à des personnes. Pour ma part, je ne me souviens plus du tout de ce que mes professeurs disaient, mais je me rappelle très bien de leur personnalité en revanche. L’Eglise doit jouer un rôle d’éducatrice au sens de la souffrance en instruisant mais aussi en accompagnant.
Que répondez-vous à ceux qui prétendent que Dieu a été inventé par les hommes à cause de la souffrance, qui les poussait à rechercher des consolations imaginaires ?
Prenez un enfant de deux ou trois ans, mettez-le dans une pièce et éteignez la lumière. Que dira-t-il ? Maman ! évidemment. A votre avis, c’est l’obscurité qui a créé la mère ? Bien sûr que non ! La mère que réclame l’enfant plongé dans le noir existe avant que la chambre de l’enfant en question soit dans l’obscurité. Il en va de même pour la douleur. Ceux qui implorent Dieu dans l’épreuve de la souffrance n’invente pas plus Dieu que l’enfant n’invente sa mère en s’écriant Maman ! quand il a peur. Dans les deux cas, la douleur comme l’obscurité font ressortir, rejaillir l’amour. Oui, la douleur est parfois révélatrice. Mais parfois seulement car la douleur peut être source de révolte.
La souffrance fait perdre la foi à certains en effet
Vous touchez là au problème de l’incroyance. Je crois qu’il faut être bien clair à ce sujet. Le problème ne porte pas aujourd’hui sur l’existence de Dieu en tant que telle ou, plutôt, la question de l’existence de Dieu ne se pose plus en termes ontologiques mais en termes existentiels. En effet, quand quelqu’un pose la question Est-ce que Dieu existe ? , il demande en réalité Est-ce qu’il existe pour moi ? ou encore Est-ce que son existence m’est profitable ? et pour finir Comment puis-je le rencontrer ? . Si la question était simplement d’ordre ontologique, il suffirait d’alléguer les cinq lois de saint Thomas, les preuves de saint Anselme etc En définitive, le problème n’est pas tant l’athéisme que l’idolâtrie. On croit toujours à quelque chose finalement : à l’argent, au sexe, au succès, aux horoscopes. Il est plus difficile de croire aux horoscopes qu’au Christ, entre parenthèses ! L’Eglise doit donc proposer une Rencontre véritable avec le Christ. Or la douleur se situe au cur de la rencontre. Il ne s’agit pas de ne fournir qu’un discours. Je dis toujours que le Christ a dit Venez et voyez et non pas Venez et écoutez .
La contemplation du Christ en croix peut aider ceux qui souffrent ?
Oui. Je connaissais une femme, morte d’un cancer, à qui j’allais porter la communion à l’hôpital. Elle était alitée et elle me disait : La seule chose que je peux faire quand je souffre, c’est regarder la Croix Dans l’église saint Clément, à Rome, il y a une très belle mosaïque qui représente la Croix d’où partent des branches au bout desquelles se trouvent des fleurs. La Croix est noire, parce qu’elle représente la mort, la souffrance mais les branches sont vertes et pleines de vie. La Croix est une clef. Il est significatif que le Christianisme l’ait choisi comme symbole d’ailleurs. On aurait pu choisir le symbole de la résurrection par exemple. Si on ne l’a pas fait, à mon avis, outre le problème technique qui se serait posé pour figurer la résurrection, c’est précisément parce que la Croix ne représente pas la résurrection, parce qu’elle ouvre sur un Ailleurs qui nous libère finalement de la souffrance, de la douleur et de la mort.
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