A l’occasion de la Fête des mères, Mgr François Garnier, actuel évêque de Cambrai, aborde deux sujets qui lui tiennent à coeur à propos de la Vierge Marie. D’abord, la virginité de Marie, que beaucoup questionnent, quand ils n’en rient pas. Puis : pourquoi Jean-Paul II aimait-il tant Marie ? Car en ce temps de Fête des mères, n’oublions pas que la Mère de Dieu est aussi notre mère !
1. La virginité de Marie
ou Tombeau vide (de mort) et Vierge pleine (de Vie)
Le titre peut surprendre. Il est pour moi infiniment respectueux et je veux l’expliquer. J’ai longtemps buté sur les deux signes les plus étranges dont parlent les Évangiles, une vierge mère (Luc 1, 31-35 ; Matthieu 1, 25), et une tombe vide (Matthieu 28, 1-15 ; Marc 16, 5-8 ; Luc 24, 2-3 ; Jean 20, 2-9). J’ai entendu les sarcasmes et les doutes à leur évocation : ils m’ont longtemps troublé. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’il fallait sans doute les relier pour en dénouer le sens. Comme par hasard, ils se trouvent aux deux moments les plus étonnants de ce qu’on appelle l’Incarnation de Jésus, lorsque l’Éternel se glisse dans le temps sans le faire éclater et lorsqu’il en sort sans l’abandonner ; lorsque le ciel touche la terre avec ce Fils de Dieu qui prend corps en la Vierge Marie, et lorsque la terre touche le ciel à l'”Heure” de la Résurrection de Jésus.
J’aime ce Dieu qui, en deux clins d’œil majeurs, vient nous surprendre avec humour dans ce que nous croyons savoir de plus sûr, aujourd’hui comme au temps des apôtres : une vierge ne donne pas la vie et un mort ne sort pas de sa tombe. Nous sommes souvent trop sûrs de nos certitudes courtes.
Avec le premier clin d’œil, la maternité virginale de Marie, c’est comme si Dieu nous disait : “Tu crois savoir d’où vient la vie, de la rencontre charnelle de tes parents ? C’est vrai mais un peu court : la vie vient de plus loin qu’eux. Elle vient plus de ce Dieu qui t’aime que de tes parents.” Ce que ressentent très bien la plupart des jeunes époux quand ils s’émerveillent devant l’enfant qu’ils tiennent dans leurs bras pour la première fois. Avec le second, la tombe vide, c’est comme si Dieu nous disait : “Tu crois savoir ce qu’est la mort, et la disparition à jamais de celui ou de celle qui s’en va dans la tombe ? C’est apparemment juste mais vraiment trop court : ta vie va bien plus loin que ta tombe ; elle va jusqu’à ce Dieu qui t’aime. Encore laisserais-tu ta vieille peau dans la terre, tu es fait pour une vraie vie sans fin ”
La Nouvelle est trop bonne pour qu’on la garde pour soi !
2. Pourquoi Jean-Paul II aime-t-il tant Marie ?
Dans son livre «Ma vocation», Jean-Paul II nous fait une confidence inattendue : «Il y eut une période où je remis en cause dans une certaine mesure mon culte pour Marie, considérant que, développé excessivement, il finirait par compromettre la suprématie du culte dû au Christ. C’est alors que le livre de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, intitulé «Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge» fut pour moi une aide précieuse.
Le traité de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort peut déconcerter par son style un peu emphatique et baroque, mais la substance des vérités théologiques qu’il contient est incontestable. Cet auteur est un théologien de classe».
En 1990, je ne savais rien de Louis-Marie Grignion de Montfort. Arrivant de Bourgogne en Vendée, l’évêque tout nouveau que j’étais n’en avait que quelques images vagues, celle d’un prédicateur itinérant qui mettait des paroles pieuses sur des airs populaires, et qui se rendait vite insupportable aux évêques dont il parcourait les diocèses en électron libre, indisposant les prêtres .
Dix ans plus tard, c’était le 13 octobre 2000, à Rome, j’avais la très grande joie de demander au Saint Père que Saint Louis-Marie soit déclaré «docteur de l’Église». Je le faisais au nom des trois familles montfortaines qui entre temps me l’avaient fait découvrir et aimer. Leurs supérieurs généraux étaient là, entourés de ceux et celles qui envahissaient la salle d’audience où nous étions reçus au Vatican, manifestement des baptisés tout simples, venus de France et d’Italie, mais aussi des États-Unis, du Canada, d’Argentine, de l’Inde, des Philippines, du Brésil, de Madagascar, d’Haïti .
Pourquoi cette demande de “doctorat” ? Non pas d’abord pour faire plaisir à Jean-Paul II dont nous savions l’affection pour ce géant de la mission : il lui avait emprunté sa devise : totus tuus (“tout entier tien”) ; il avait voulu s’agenouiller devant sa tombe à Saint-Laurent sur Sèvre, dans le diocèse dont j’étais l’évêque, avant d’entreprendre son septième voyage en France, le 19 septembre 1996. Non pas pour tout cela, mais parce que je suis sûr de l’originalité, de la fécondité et de l’actualité de sa doctrine spirituelle pour aujourd’hui. S’il fallait la résumer en quelques formules lapidaires, illustrées de quelques citations surprenantes, j’en risquerais cinq.
1) Par rapport à Dieu, Marie n’est rien du tout : “J’avoue, avec toute l’Église, que Marie, n’étant qu’une pure créature sortie des mains du Très-Haut, comparée à sa majesté infinie, est moindre qu’un atome, ou plutôt n’est rien du tout, puisqu’il est seul “Celui qui est” (VD 14) 2 . Voilà de quoi guérir de toute forme de mariolâtrie, c’est-à-dire de tous les excès qui peuvent facilement falsifier la prière à Marie.
2) Mais, avec Marie, on va plus vite au Christ : “Si la dévotion à la sainte Vierge éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la rejeter comme une illusion du diable ; cette dévotion ne nous est nécessaire que pour trouver Jésus-Christ parfaitement, l’aimer tendrement et le servir fidèlement” (VD 62). Voilà de quoi vérifier que le Christ est au coeur de la foi et de la doctrine mariale de Saint Louis-Marie : c’est bien au Christ que Marie veut nous conduire, pas à elle ! Car en Lui, on voit tout de la Beauté d’un homme enfin réussi et de la Beauté du seul Dieu qu’on puisse aimer.
3) Avec Marie et par le Christ, nous allons tout droit au coeur du mystère de la Trinité. “Dieu le Père n’a donné son Unique au monde que par Marie Le Fils de Dieu s’est fait homme pour notre salut, mais en Marie et par Marie. Dieu le Saint Esprit a formé Jésus-Christ en Marie, mais après lui avoir demandé son consentement” (VD 16). Voilà de quoi aller au coeur de la foi, à ce Dieu Unique en trois personnes qui veulent nous apprendre à nous aimer les uns les autres comme elles s’aiment entre elles ! Ce n’est pas rien !
4) Avec Marie et grâce à la Trinité, nous réveillons notre Baptême. Se consacrer à Marie, c’est ainsi que se terminaient toutes les missions prêchées par Louis-Marie, n’est en réalité rien d’autre qu’une “parfaite rénovation des voeux ou promesses du Saint Baptême” (VD 126). Il s’agit de “secouer par le Baptême l’esclavage tyrannique du démon” (VD 34). Voilà de quoi secouer notre Baptême, prendre au sérieux notre vocation commune de vivre en baptisés le plus saintement possible.
5) Enfin, avec Marie, les vrais baptisés servent les vrais pauvres. En se mettant à leur service bien sûr. Il suffit de voir de quelle manière les Filles de la Sagesse, pour ne citer qu’elles, le vivent aujourd’hui à travers le monde. Mais aussi par l’annonce, la plus simple mais pas simpliste, la plus vraie mais sans mots compliqués, de la Foi : “Comme je parle particulièrement aux pauvres et aux simples qui, étant de bonne volonté et ayant plus de foi que le commun des savants, croient plus simplement et avec plus de mérite, je me contente de leur déclarer simplement la vérité, sans m’arrêter à leur citer tous les passages latins qu’ils n’entendent pas ” (VD26). Voilà de quoi retrouver le goût des catéchèses simples et populaires dont notre Église a le plus grand besoin.
On voit pourquoi le Saint-Père aime nous faire aimer Marie. En ce temps de Fête des mères, on n’oubliera pas qu’elle est aussi notre mère !
Mgr François Garnier