Le temps est vraiment venu de célébrer : plus que jamais peut-être, nos contemporains sont à la recherche de rites et de rassemblements répétés qui puissent rythmer leur vie et les relier à un passé commun.
Il n’est pas nécessaire d’être sociologue pour observer que la commémoration est à la mode aujourd’hui. Certes les uns et les autres sont toujours là pour nous rappeler que quelque chose d’essentiel se joue dans les trois fois rien de la vie courante, dans les infiniments petits de l’instant ou encore dans les plaisirs aussi éphémères que furtifs qui jalonnent nos existences d’homme modernes ou post-modernes. Mais les individus du début du XXIème siècle aiment aussi, semble-t-il, se retrouver ensemble à l’occasion de grands événements qui les extirpent de leur quotidien pour les faire rentrer dans un autre temps que celui d’une durée strictement individuelle marquée par l’arythmie de la jouissance et de ses lendemains solitaires.
En marge du sacro-saint individualisme soit-disant caractéristique de notre époque, on observe en effet un regain d’intérêt indéniable pour des manifestations collectives et cycliques. Il y a d’abord les événements à portée historique. Il n’est pas nécessaire d’évoquer l’ampleur qu’a pris la commémoration du 06 juin 1944, où la cérémonie officielle a été relayée par une vraie fête populaire célébrée en l’honneur de véritables héros. Les sketches si célèbres d’un Coluche plein de dérision au sujet des anciens combattants étaient à mille lieux du plateau de Michel Drucker installé le 05 juin au soir devant les vitraux illuminés de l’église de Sainte-Mère l’Eglise.
Nos contemporains se rassemblent solennellement à l’occasion d’événements répétitifs même aussi pour se divertir. S’il y a bien un domaine où doit s’exprimer l’exceptionnel, l’inouï, l’insolite, c’est celui du divertissement. Pourtant, le retour du même, la répétition s’y manifeste aussi très nettement. C’est ainsi que les « nouvelles stars » et les jeunes prétendants à la gloire se donnent rendez-vous tous les ans pour se départager à la même époque, dans les mêmes lieux, avec les mêmes personnes. Toujours selon le même rituel, ils comparaissent devant un jury sévère qui les oblige à interpréter les grands classiques de la chanson française ou anglo-saxonne, qui se trouvent donc eux-mêmes répétés indéfiniment à date fixe.
Il n’est pas jusqu’aux événements éditoriaux marquant la vie littéraire, étrangère, par définition, à tout mercantilisme, qui ne se calent sur le rythme des commémorations ou des anniversaires. Victor Hugo en 2002, Jean Cocteau en 2003, Georges Sand en 2004 : rien n’échappe à la célébration. La vénération de nos grands auteurs, la lecture ou les relectures de nos plus grands livres, qu’elles soient privées ou comme c’est de plus en plus le cas- publiques, tout semble s’accorder aux exigences inattendues d’une nouvelle durée collective faite de rassemblements ponctuels et fédérateurs. Autre exemple récent de cette ritualisation de la vie collective de notre société : la deuxième traduction d’Ulysse de James Joyce en français sort à Paris à l’occasion du centenaire du «Bloomsday», le 16 juin 1904, journée pendant laquelle se déroule le roman.
En définitive, notre monde est en train de s’inventer une véritable liturgie. Tout y est : le chant répété de génération en génération (le gagnant de « la nouvelle star » sort un disque où il interprète « le Sud »), le rassemblement fréquent de foules de tous milieux mais aussi la relecture de textes aussi vénérés que l’Evangile ou encore la célébration quotidienne d’individus quasiment canonisés pour leurs uvres et pour leur vie exemplaire Autant d’incitations pour nous autres chrétiens à redécouvrir le sens de la vraie Liturgie sans craindre la répétition qui caractérise nos rites, comme tous les rites d’ailleurs. Plus que jamais nos contemporains sont prédisposés à la célébration. Il serait dommage que, sous prétexte de s’adapter à un goût immodéré pour la nouveauté perpétuelle, qui est indéniablement dépassé, nous passions à côté de leurs attentes.