André Damien, membre de l’académie des sciences morales et politiques, livre son analyse de la place des laïcs dans l’Eglise dans la perspective des notions de liberté et d’autorité
Quelle est, selon vous, la place des laïcs dans l’Eglise ?
Je crois beaucoup au sacerdoce des laïcs, mais au vrai sacerdoce des laïcs. Non le sacerdoce ministériel mais le sacerdoce royal et prophétique de tous les baptisés, qui ne nie pas ni ne diminue le sacerdoce ministériel concernant les clercs ordonnés pour assurer le ministère sacramentel. Ceci dit, il faut quand même faire attention avec ces mots. Le pape a écrit récemment à ce sujet une très belle encyclique sur l’Eucharistie dans laquelle il montre bien les laïcs ne peuvent pas empiéter sur le sacerdoce ministériel, qui est nécessaire et indispensable.
Les laïcs sont tentés de prendre trop de place dans l’Eglise aujourd’hui ?
C’était la grande peur de Mgr Lefebvre. Il dit quelque part que la messe de Paul VI n’est pas invalide dans son principe, mais que c’est la manière dont elle sera célébrée par les nouveaux prêtres, réduits à l’état de meneurs de jeux et d’animateurs, qui la rendra telle. Il prétend que c’est la représentation du prêtre in persona Christi qui est en cause et que c’est la communauté qui, secrétant le sacrement, la rend invalide. C’est évidemment une hérésie que de dire cela et de le penser ; pour autant, le risque de faire du prêtre une espèce de grand chef animateur choisi par la communauté n’est pas écarté. Chez beaucoup de laïcs le désir de choisir son curé et même de décider de ce qu’il doit faire apparaît nettement. Dans une cérémonie de mariage ou dans un enterrement, par exemple, ce sont des laïcs qui, s’occupant de tout, disent parfois au prêtre : vous direz ceci, vous ferez cela, etc. Il y a là une déviation possible dans l’Eglise.
En somme, si la démocratie est une bonne chose à l’extérieur de l’Eglise, elle en est une mauvaise à l’intérieur…
L’Eglise est hiérarchique par institution divine. C’est pourquoi, tout laïc, même réticent et frondeur, accepte, ou plutôt, sait que l’Eglise est hiérarchique par institution divine. Ce qui ne m’empêche pas de penser librement. Mais on doit croire à une Eglise institution divine, dont le sacerdoce est évidemment la pièce maîtresse puisque le sacerdoce est le Christ continué in persona Christi et non in natura Christi. En réalité, je crois que nous sommes à un tournant de l’histoire l’Eglise. Nous évoluons entre deux précipices : le premier est une Eglise qui se rigidifie. Dans le jeune clergé, qui entre aujourd’hui au séminaire, je trouve parfois cette « rigidification », ce désir de commander à l’excès, même dans les détails. Le deuxième précipice devant lequel nous nous trouvons est une Eglise dirigée par les laïcs.
Pour éviter la rigidification de l’Eglise, n’aurait-on pas intérêt à s’inspirer d’expériences passées plus ouvertes comme celle des prêtres ouvriers, par exemple ?
J’ai bien connu des prêtres ouvriers. Je pense que leur expérience était très intéressante. Je me rappelle aussi qu’ils étaient obligés de donner des coups d’arrêt, pour éviter d’en arriver à cette Eglise démocratique dans laquelle l’assistance était prête à voter ou à manifester ses propres désirs pour présider la liturgie. Le cardinal Congar a aussi défini le laïcat de manière audacieuse. Sa démarche, quant à lui, était plutôt historique et juridique. Il a médité par exemple sur le cas de la confession au laïc, qui a existé au XIIIe siècle. Ce n’était pas une confession sacramentelle mais la transmission par le mourant de ses péchés à un laïc qui allait les répéter au prêtre pour obtenir une absolution post mortem, ou avant la mort de quelqu’un qui n’était plus en mesure de se confesser normalement. Mais, encore une fois, il faut être nuancé : le fait que de telles choses fussent ou soient toujours régulières n’empêchent pas qu’une tendance existe, chez les laïcs, à vouloir singer le prêtre. On doit se rappeler le beau roman de Henri Queffélec, Un recteur de l’île de Sein. De son côté, le prêtre peut avoir la tentation de se considérer comme un simple chef. Parfois même, la direction spirituelle est allée un peu loin, à mon avis, se mêlant de problèmes qui ne concernent pas nécessairement le sacerdoce.
La question de fond n’est-elle pas le rapport à l’Autorité, qui est devenue problématique dans la société comme dans l’Eglise ?
Notre société est, à tort, est une société de liberté totale. On a le droit de tout faire, de tout expérimenter. Il n’y a pas d’aberration qui ne soit tolérable, puisqu’on a droit à toutes les expériences. L’homme est un animal dénaturé. Il fait des choses que les animaux eux-mêmes ne feraient pas. Cela est flagrant dans le domaine de la sexualité. Le PACS m’a beaucoup choqué et le projet de « mariage » des homosexuels encore plus. Sacramentaliser solennellement un tel contrat est absurde car le contrat doit être conforme à la nature. Napoléon, qui avait un gros bon sens, aurait frémi s’il avait vu cela !
Je crois que nous sommes allés trop loin dans l’exercice de la liberté. Quand vous demandez à un jeune pourquoi il fume un joint, il vous répond que c’est-pour-voir-ce que-c’est. S’il a envie de tenter une expérience sexuelle particulière, c’est-pour-voir-ce que-c’est. Il n’accepte les conseils ni des anciens ni des autorités. Le refus d’autorité est partout. C’est une grande caractéristique de notre temps.
Ce problème du refus de l’autorité s’est-il posé à d’autres époques ?
Sous la Révolution française, le refus d’autorité est constant. C’est une caractéristique du XVIIIe siècle. C’est le refus de l’autorité royale par les Parlements, teinté de jansénisme et de gallicanisme, au nom des principes généraux du Royaume. L’époque 1900 était au contraire une époque d’autorité paternelle, d’autorité de pensée. Combes lui-même était une autorité parce qu’il voulait imposer ses propres idées. Mais l’époque actuelle refuse l’autorité. Il n’y a qu’à regarder en politique et les problèmes de la magistrature judiciaire. Les juges veulent s’emparer du pouvoir comme les parlementaires de l’Ancien Régime. C’est aussi le refus de l’autorité des parents sur les enfants, de l’autorité du patron. Il suffit qu’une personne ayant qualité pour décider décide pour que les gens aient envie de dire le contraire. Dans l’Eglise, ce n’est pas facile d’être évêque aujourd’hui. Dès qu’un évêque arrive, les gens le critiquent pour tout et pour rien. Autrefois, cela se faisait peut-être mais avec plus de respect. Aujourd’hui, on discute tout. On se livre même à des tentatives de chantage sur l’opinion. C’est assez hallucinant.
Que faire face à cette crise : s’adapter à un environnement complexe ou maintenir coûte que coûte l’autorité ?
Céder à un nouveau contexte, c’est s’adapter à quelque chose qui nous mène à une désorganisation sociale, regimber et remettre la pression, c’est courir le risque de faire « péter la machine ». Mais il en est un qui échappe à ce dilemme, c’est Jean-Paul II. Nous avons un pape autoritaire mais qui arrive à passer grâce à un charisme personnel. Ce pape est médiatique, il a quelque chose de différent. Grâce au rayonnement de sa charité et de sa foi, mais aussi grâce à une médiatisation sans précédent, il s’impose et on n’ose pas beaucoup lui résister quand il dit quelque chose. Certains l’ont enterré allègrement, il y a quelque temps, mais il a survécu. Il est toujours là. Il parle un peu plus aisément et, de toutes façons, il écrit. Les gens ont beau ne pas aimer tout ce qu’il dit, il est respecté. Je ne dis pas craint mais respecté Pie XII était craint. Jean-Paul II est parvenu à prendre les fidèles en main.