L’image de cette pierre roulée, de cette entrée du tombeau béante et de cette tombe vide vient comme dessiner une brèche, une déchirure, dans ce monde clos des apparences, des certitudes immédiates, de ce qui semble à tous être des évidences. Une catéchèse de Mgr Ricard, archevêque de Bordeaux.
« Le premier jour de la semaine, à l’aube, alors qu’il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau. » (Jn 20, 1)
L’image de cette pierre roulée, de cette entrée du tombeau béante et de cette tombe vide vient comme dessiner une brèche, une déchirure, dans ce monde clos des apparences, des certitudes immédiates, de ce qui semble à tous être des évidences.
Jésus avait annoncé que le Règne de Dieu était venu, que Dieu était à l’œuvre dans le monde, que la grande transformation du cœur des hommes avait commencé, non pas à la manière d’un coup de baguette magique mais comme la lente germination des graines. N’avait-il pas proclamé comme une bonne nouvelle que la source d’eau vive de l’amour et du pardon du Père jaillissait de nouveau pour tous ? A tous une vie nouvelle était proposée. « Je suis venu, disait Jésus, pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » (Jn 10, 10).
Or voilà que le prophète a été arrêté. Celui qui se présentait comme le Fils de Dieu a été condamné, exécuté. Sa parole s’est fracassée sur la dureté des événements. Et quand on met Jésus au tombeau et qu’on roule la pierre sur lui, c’est son message d’espérance qu’on ensevelit également avec lui. Jésus devient le défunt qu’on enferme dans les souvenirs qu’on en a. Il aura été pour certains un faux prophète, un séducteur qu’on a bien fait d’éliminer, pour d’autres un rêveur sympathique, un idéaliste, un pur, un ami que l’on regrette. Mais dans tous les cas c’est d’un disparu dont on parle. Regardez : Marie et les femmes vont au tombeau pour accomplir quelques rites de deuil vis-à-vis d’un mort et c’est bien un défunt qu’évoquent à ce voyageur mystérieux ces disciples qui rentrent chez eux et qui ont repris la route d’Emmaüs. Règne de Dieu, monde nouveau, vie nouvelle, régénération des cœurs n’auront-ils finalement été que des mots, qu’un mirage aussi attachant qu’évanescent ? Jésus au tombeau, c’est la victoire du monde clos, de ce monde où « rien n’est nouveau sous le soleil », où c’est la loi du plus fort qui s’impose toujours, où la violence mène le monde, où la mort étend inéluctablement son règne et met un point final à toute existence, à toute espérance. Ces convictions n’ont rien perdu de leur actualité. Combien de nos contemporains ne les partagent-ils pas ? Et sommes-nous si sûrs de ne pas être tentés à certains jours de les faire nôtres ?
Or, voilà que Dieu vient et crée une brèche dans l’univers de nos évidences.Le tombeau ouvert en est déjà un signe. Mais à lui seul, il ne suffit pas car ce fait est susceptible de multiples explications ou interprétations, comme on pourra le constater dans les premières années du christianisme. De fait, le signe du tombeau vide ne prend tout son sens qu’à la lumière des apparitions du Ressuscité. Les disciples doivent se rendre à l’évidence : le mort qu’ils avaient enseveli, voilà que le Père l’a relevé d’entre les morts, l’a ressuscité, non pas pour le ramener à la vie d’ici-bas mais pour l’introduire dans la vie transfigurée, transformée du monde divin. Oui, le Père a répondu à la confiance de son Fils. Il manifeste ainsi aux yeux des disciples qu’Il était avec Jésus, qu’Il parlait avec lui, agissait par lui, communiquait vraiment par lui et en lui la vie aux hommes.
Mais me direz-vous : Pourquoi les disciples sont-ils surpris ? Pourquoi considèrent-ils Jésus comme un défunt, ne semblent-ils rien attendre dans l’immédiat ? Jésus ne les avait-il pas préparés à ces événements ? Ne leur avait-il pas dit que « trois jours après il ressusciterait » ? Avouons que nous, avec le recul que nous avons, nous sommes toujours tentés de leur faire un peu la leçon. Les choses ont du être moins simples. Jean ne note-t-il pas : « Les disciples n’avaient pas vu que, d’après l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. » ? Certes, les disciples faisaient partie de ces juifs qui croyaient en la résurrection, mais une résurrection à la fin des temps, à l’achèvement de l’histoire. Et quand ils lisaient le texte du prophète Osée qui disait : « Après deux jours, le Seigneur nous fera revivre ; le troisième jour, il nous relèvera (nous ressuscitera) et nous vivrons en sa présence. » (Os 6, 2), les scribes commentaient : le troisième jour, c’est-à-dire au jour final de la résurrection des morts.
Or, voilà qu’en Jésus, à la surprise des disciples, le Père anticipe ce jour. Il manifeste la véracité de sa Parole sur le don de la vie, de la vraie vie qu’il veut donner aux hommes. Cette vie pleine, cette résurrection, Dieu nous la promet. Nous sommes faits pour la vie, la vie éternelle, la communion avec Dieu. C’est cela qui fonde notre espérance, qui donne sens à notre vie. Mais cette vie, Dieu ne fait pas que nous la promettre pour plus tard, il nous la communique dès aujourd’hui. Dès aujourd’hui en effet, par la résurrection du Christ, Dieu crée du neuf, dans l’homme, dans le monde, dans nos vies. Il vient manifester que la violence, le mal et la mort n’auront pas le dernier mot. Dans la victoire du Christ crucifié et ressuscité ces réalités sont déjà vaincues.
Oui, Dieu ouvre des chemins nouveaux aujourd’hui. Oui, la résurrection est déjà à l’œuvre en nos vies si nous accueillons aujourd’hui cette vie que Dieu nous donne, si nous laissons l’Esprit du Seigneur nous habiter, nous transformer, nous donner un cœur nouveau, un esprit renouvelé. La force de la résurrection se prouve moins qu’elle ne s’éprouve. Laissez la parole du Christ vous renouveler et vous verrez qu’elle mettra dans vos cœurs une paix, une joie, une lumière qui ont goût de résurrection. Oui, dans le monde, aujourd’hui, Dieu vient, fait une brèche. Il le fait sans tambour ni trompette. Il ne s’impose pas. Il vient, comme pour les femmes dans la discrétion d’un matin de printemps, comme pour Marie-Madeleine sous les traits familiers d’un jardinier ou comme pour les disciples d’Emmaüs dans l’incognito d’un voyageur mystérieux. Il se livre à ceux qui sont disponibles, qui ont un cœur de pauvre.Sa présence est discrète dans nos vies : une parole de l’Ecriture qui prend sens, un peu de pain partagé et voilà pourtant que nous ressentons en nous comme une lumière, une flamme, un souffle nouveau, un dynamisme de renouvellement. C’est déjà la résurrection, la vie éternelle qui habitent nos vies.