De Noël à l’Eucharistie, sainte Thérèse nous invite à méditer le mystère de la venue de Dieu parmi nous.
Le premier des soixante-deux poèmes que sainte Thérèse de Lisieux a rédigé passe subitement de l’évocation de l’Enfant Jésus à celle de Jésus Hostie en une succession d’images saisissantes.
Ce poème, que sainte Thérèse de Lisieux a rédigé à l’âge vingt ans, peut paraître quelque peu obscur et confus, au point que certains aient jugé que la cohérence de la cinquième strophe par exemple laissait à désirer. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que le malaise qui peut naître à la lecture de ces vers ne vient pas tant de l’éventuelle incompétence de celle qui s’essaie pour la première fois à la poésie en les rédigeant que de ce qu’elle veut dire à travers eux, à savoir l’Indicible d’une Présence insaisissable, sur lequel les images ne peuvent qu’achopper.
Dans les trois premières strophes, la comparaison à laquelle sainte Thérèse s’essaie est relativement claire. Dans la première, elle expose directement ce qu’elle veut évoquer (Jésus sur le sein de sa mère), dans la deuxième, elle dresse le tableau de l’éclosion d’une fleur qui lui sert d’image et dans la troisième, elle explicite les rapports entre Jésus et la Fleur à peine éclose, entre Marie et le soleil puis entre la Rosée et le lait Virginal (« Et ta Rosée, c’est le Lait Virginal »).
C’est dans la quatrième strophe que la métaphore employée par Thérèse est mise à rude épreuve, alors qu’elle évoque rien de moins que la crucifixion de Jésus, ce sombre avenir de la Passion qu’elle lit dans le regard de l’Enfant Jésus. A partir de ce moment-là, le Lait n’est plus explicitement ce qui est comparé, l’objet du propos, mais ce qui sert à comparer autre chose : le sang divin (« Ton sang divin c’est le lait Virginal »). Autrement dit, le Lait Virginal de Marie, qui constitue le thème principal du poème, à en croire le titre, passe subitement du statut de comparé à celui de comparant.
Dans la cinquième strophe, le tourbillon des images atteint son paroxysme lorsque Thérèse déclare sans ambages : « Le pain de l’Ange est le lait Virginal ». Bien que la référence à un texte de saint Augustin, qui parle de l’Eucharistie en ces termes, éclaire quelque peu une telle assertion, il n’en reste pas moins que dans le cadre du poème, qui s’ouvrait sur la contemplation de l’Enfant Jésus allaité par sa mère, ce vers n’en demeure pas moins énigmatique.
Mais paradoxalement, c’est au coeur d’une telle déroute métaphorique que l’évocation du Christ atteint ici sa perfection. C’est au moment où les mots et les images perdent leur propre pouvoir de suggestion qu’advient le seul acte que Thérèse peut véritablement poser pour dire Dieu, pour dire sa Présence insaisissable : « Le Voici » (« Oui le Voici le Verbe fait Hostie »). En employant ce terme par lequel elle montre et désigne ce qui, extérieur au discours, se trouve à proximité d’elle au moment où elle parle, elle abandonne l’évocation indirecte de l’image pour celle, immédiate d’un Dieu réellement présent dans le sacrement. C’est bien sur cette dernière modalité de la Présence du Christ que se clôt le poème : « Ma blanche Hostie c’est le Lait Virginal ».
Somme toute, derrière l’apparente confusion du premier poème de sainte Thérèse de Lisieux se cache l’approche audacieuse d’un Mystère qui dépasse l’entendement, celui de la présence de Dieu parmi nous réalisée à Noël sous les traits de l’Enfant Jésus et dans l’Eucharistie sous l’aspect de l’Hostie.