Imaginons l’irruption d’un épouvantable virus. Irruption contagieuse qui se répand sur toute la terre. Le symptôme de ce virus : il bloque, à l’adolescence, tout désir de croissance et de mûrissement. Il immobilise chacune de ses jeunes victimes dans son état présent ; il inocule la hantise de l’âge adulte et de la maturité, le refus d’aller plus loin (…)
(…) Imaginons, à l’origine de ce virus, un savant génial et maléfique. Il a déposé ce virus non dans les corps, mais dans les âmes. Et voilà les esprits persuadés de l’intérieur qu’aucun progrès n’est à attendre de l’avenir : ” Méfiez-vous des promesses, méfiez-vous de l’espérance, gardez-vous des mondes meilleurs, futurs et à venir. Mangez et buvez ici et maintenant ; oubliez l’avenir “. Imaginons une humanité ainsi attaquée à la racine de sa vitalité. A l’âme même du désir, de l’audace, des ambitions et de l’innovation, se glisse sournoisement la peur du nouveau, la hantise du futur. Quand la vitalité de la jeunesse devrait se tendre vers la quête d’une identité toujours plus libre, plus haute, plus pleine, elle se met à tourner dans le vide, comme verrouillée, stérilisée, repliée sur elle-même. Telle est la plaie de ce virus, de cette contre-culture de mort.
Regardons alors vers le Christ. A ce fléau, il oppose le seul vrai contre-poison : l’appel à la sainteté, la révélation de la sainteté. Que nous dit en effet l’Évangile ? Que notre chemin ici-bas est comme la jeunesse de notre vie, c’est-à-dire à la fois son enfance et son adolescence ; que la maturité de notre vie, son véritable âge adulte, ce sera la béatitude, la plénitude de la communion avec Dieu et en Dieu. La vérité de notre existence, c’est que nous sommes tous appelés à cette plénitude de vie, tous appelés à la sainteté.
Le savant diabolique redoute la sainteté. Il sait qu’elle est notre seule vraie plénitude, notre véritable taille adulte. Alors, il la moque, la raille, la contrefait, pour mieux nous en détourner : ” La sainteté, dit-il, c’est un leurre, une tromperie, une illusion ; on vous promet un avenir de bonheur pour mieux vous dépouiller du présent. ” Vous reconnaissez là ce discours maléfique qui voudrait nous immobiliser, nous paralyser, nous empêcher de réaliser notre vocation, nous empêcher de parvenir à notre plénitude. La solennité de Tous les Saints est justement là pour nous remettre sous les yeux la vérité de notre identité, la vérité de cette maturité à laquelle nous sommes tous appelés.
La sainteté n’est pas réservée à une élite ; elle est l’épanouissement voulu par Dieu pour tous les hommes. De même que tout enfant est appelé à grandir et à devenir adulte, de même tout homme est appelé à entrer dans la plénitude de la gloire de Dieu. La sainteté n’est pas un idéal inaccessible et inhumain. Certes, elle dépasse, et de loin, nos seules forces. Mais quel enfant ou adolescent n’a pas un jour été angoissé devant son avenir : ” Comment vais-je parvenir à l’âge adulte ? N’est-ce pas chose impossible pour moi ? Tellement de défi à relever pour y parvenir ! ” Mais le propre de l’enfance, c’est justement d’être protégée, entourée, portée sur les bras ; puis le propre de l’adolescence, dans sa quête d’identité, c’est d’être accompagnée, éduquée, fortifiée, par des adultes déjà mûrs et forts, quoique bienveillants et respectueux. Tel est précisément le rôle de notre Père du ciel, de sa grâce prévenante qui ne cesse de nous porter, de nous relever, aussi souvent que nous puissions tomber. Tel est aussi le rôle de nos aînés, les Saints du ciel, qui ne cessent de nous accompagner de leurs prières, et, par leur exemple, de guider notre liberté vers sa maturité.
La sainteté n’est pas une autre vie, édifiée en opposition à la vie d’ici-bas. Nous, les chrétiens, n’avons pas deux vies, deux vocations, deux projets distincts de bonheur. La sainteté ne vient pas nous retirer de la vie de ce monde ; elle vient insuffler dans notre unique existence un principe de croissance, de progrès ; elle vient nous préparer, de l’intérieur, à la plénitude de notre unique identité.
Vous l’avez compris, la fête de Tous les Saints résonne pour nous comme un appel pressant à ne pas nous laisser voler notre jeunesse ; à ne pas nous la laisser confisquer. Le propre de la jeunesse, c’est d’avoir un avenir, de vivre d’avenir.
Nous, chrétiens, par la grâce de Jésus-Christ, nous avons reçu la révélation de notre avenir, de l’avenir de tout homme : la sainteté. Notre urgente vocation, ici-bas, c’est de mûrir dans le Christ, afin de pouvoir un jour entrer en adulte dans son Royaume de gloire.
Nous, chrétiens, sommes dépositaires de la jeunesse de l’humanité. Nous avons mission d’en témoigner devant tous les hommes. Car le monde, laissé à lui-même, se laisse toujours guetter par le virus de la fatigue, de la résignation, d’un regard bas, tiède et ennuyé. Quel que soit notre âge terrestre, que nous sachions à peine lire et écrire ou que nos cheveux blanchissent, que nous soyons à l’âge des études, du travail, de la retraite ou de la maladie, devant Dieu, nous sommes tous en pleine jeunesse, en pleine croissance vers notre plénitude, la sainteté. Voilà la grandeur de notre vocation ici-bas : vivre d’espérance, vivre d’avenir, vivre dans la joie d’un bonheur qui bientôt sera total.
Ni nous laisser aller comme des vieillards prématurément asthéniques ; ni conquérir le ciel à la force de nos prouesses ; mais marcher dans la grâce de Jésus qui nous prend par la main, jour après jour. N’ayons pas peur de devenir adulte dans le Christ, c’est-à-dire des saints.