Erigée comme moteur de certaines émissions à grande audience, que nous dit la foi chrétienne de la tentation ?
[…] Ce que le christianisme nous demande tout d’abord de penser de la tentation, c’est de croire qu’elle existe.
La tentation est un fait.
«Pour croire en Dieu, il faut avoir la foi, écrit Vladimir Volkoff. Pour croire au diable, il n’y a qu’à ouvrir les yeux.»
Nous naissons et nous avançons dans un monde où quelque chose, quelqu’un, autour de nous et en nous, nous pousse au mal.
La Révélation prend ce fait tellement au sérieux que l’histoire du premier Adam commence par le récit de sa tentation et que la vie publique du Christ, Nouvel Adam, débute elle aussi par son combat au désert contre les tentations.
Pour le croyant, la tentation existe donc et elle a son auteur : le tentateur.
Car l’homme par lui-même, fût-il le plus grand pécheur, ne peut rendre compte de la totalité monstrueuse du mal qui envahit parfois le monde et son propre cur.
La tentation, nous est-il dit ensuite, est un fait universel.
Tout homme l’affronte, la rencontre ou la connaît. Dans la périphérie de notre être ou au plus obscur de notre coeur, sournoise, lancinante, virulente, elle nous guette tous.
Saint Pierre n’hésite pas à le dire d’une manière aussi réaliste et directe qu’imagée : Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer (1 P 5,8).
À tous les âges, dans tous les états de vie, en face de toutes les situations, de la manière la plus lourde ou la plus subtile, tous les hommes sont tentés.
Même les saints. Et plus encore peut-être les saints ! Élie, Moïse, Antoine, Benoît, le curé d’Ars, Thérèse de Lisieux, Silouane… en savent quelque chose !
Et, parlant de Jésus, la Lettre aux Hébreux nous dit sans détour qu’il fut lui-même tenté en tout (He 4,15). Et donc, au long des jours et partout.
La tentation dès lors apparaît comme un drame.
Au-dedans de nous-mêmes la division semble établie. Paul, dans sa lettre aux Galates, nous parle de cet antagonisme entre la chair et l’esprit ; si bien, dit-il, que vous ne faites pas ce que vous voudriez (Ga 5,17). Et, dans sa lettre aux Romains, il fait cet aveu désolant : « vraiment, ce que je fais, je ne le comprends pas, car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais… Si donc je fais ce que ne veux pas, ce n’est plus moi qui accomplis l’action, mais le péché qui habite en moi (Rm 7,15.20). »
Et il ne craint pas de conclure par cet appel vibrant : « Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? » (7,24).
Nous connaissons tous et chacun pour notre part, ce tiraillement intérieur et quasi incessant entre le bien et le mal ; »le désir de donner et l’envie de capter ; l’attrait pour l’éternel et le penchant vers le périssable ; en un mot, entre la beauté du diable et la splendeur de Dieu. Et chacun de nous, avec l’apôtre, peut redire : « J’ai une écharde dans ma chair (2 Co 12,7). »
Et nous avançons ainsi, blessés au dedans, sur une route semée au dehors d’incessantes embûches et de mille tentations.
En face de ce drame, le chrétien, pour autant, ne désespère pas. Car, si la tentation est une épreuve, Dieu, dans sa miséricorde et sa bonté, reste assez attentif et assez puissant pour faire qu’elle devienne une grâce. Et, sur cette route ainsi encombrée, le Christ notre Dieu est le premier à marcher. J’ai une écharde dans ma chair, dit Paul en effet. Mais il ajoute tout aussitôt : pour que je ne m’enorgueillisse pas !
Et le Christ lui révèle ainsi combien sa force va pouvoir alors triompher dans sa faiblesse. La faiblesse de Paul trouve appui dans la force du Christ mise en lui (2 Co 12,2-9).
Non, Dieu ne veut pas la tentation. Mais il la permet.
Il la permet pour tout homme, au long des jours, comme il l’a permise pour le premier homme au premier jour, pour respecter le don incomparable et sublime de notre liberté. Et c’est parce qu’à notre tour nous sommes tous éprouvés que nous pouvons participer à notre propre Rédemption. Dès lors, ces fils de Dieu que nous sommes, ne prennent plus l’allure de «pauvres victimes» qui ne seraient que le jouet inerte et dérisoire du mal.
Bien au contraire !
Nos mains se trouvent armées pour la bataille, avec des armes de lumière (Ps 143,1 ; Rm 13,12). Et Dieu, dans ce combat, ce bon combat de la foi (1 Tm 6,12), ne nous abandonne pas (Ep 6,13). L’Écriture nous l’explique :
« la Vérité nous ceint ; la Justice nous cuirasse ;
l’Évangile nous chausse : la Foi nous protège ;
le Salut nous casque, et l’Esprit en personne nous donne alors de triompher avec le glaive de la Parole de Dieu (Ep 6,14-17) » !
Car il suffit de la Parole de Dieu pour faire reculer l’Adversaire. Sa lumière et Sa vie repoussent les uvres de mort de celui qui est l’agent de la ténèbre. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses (2 Co 10,4). Il ne s’agit pas d’être dupe de Satan, nous confie, en finale, ce même Paul qui nous semblait tout à l’heure si abattu, car, dit-il, « nous n’ignorons pas ses desseins (2 Co 2,11).
Oui, par la puissance de Dieu, le menteur peut toujours être démasqué, si seulement nous voulons marcher avec le Christ dans sa lumière (Jn 12,35-36).
On en vient alors à conclure que, si la tentation nous apparaît comme un fait indiscutable, un fait universel, net un drame, elle n’a rien de fatal.
Oui, nous sommes tentés. Et il serait aussi sot que présomptueux de le nier. Mais nous ne sommes jamais contraints de pécher. Nous ne sommes jamais a priori condamnés. Quand nous péchons, c’est que nous le voulons ou que nous y consentons. Car, si nous sommes tous et toujours tentés, nul, en effet, n’est jamais contraint de pécher et quiconque ferait ce qui est mal, nous le savons, sous le coup de la peur, de la contrainte, dans l’ignorance de l’inconscience, ne pècherait pas. Ce peut être alors une grave erreur, un grand dommage et un mal très réel, mais ce n’est pas, à proprement parler, un péché. Sur ce point, l’Écriture est sans équivoque :
« Ne dis pas, c’est le Seigneur qui m’a fait pécher, note Ben Sirac le Sage, car Dieu ne peut faire ce qu’il a en horreur… Si tu le veux, tu garderas les commandements, rester fidèle est en ton pouvoir (Si 15,11.15). »
Et L’Écriture de conclure :
« Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne licence de pécher » (Si 15,20).
« Comme il est libérateur de savoir et de croire que nul d’entre nous, jamais, n’est donc contraint de pécher » (1 Jn 5,18).
Pas plus par Dieu, qui nous éprouve, que par le diable, qui nous tente. Revêtus que nous sommes de la grâce de Dieu, nous pouvons résister aux manoeuvres du démon (Ep 6,11). Et saint Jacques écrit à ce sujet en toute clarté : « Que nul, quand il est tenté, ne dise : ma tentation vient de Dieu. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal
et il ne tente personne.
Et l’apôtre conclut :
“Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’entraîne et le séduit” (Jc 1,13).
Le dernier mot, en finale, nous appartient donc.
Il nous appartient dans un dialogue de confiance avec ce Dieu d’amour qui combat, chaque jour, avec nous. Dieu est fidèle, est-il encore écrit dans la 1e lettre aux Corinthiens, il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter (1 Co 10,13). Comme il nous est bon d’entendre aussi cela ! Nous ne sommes vraiment ni des victimes ni des incapables. Et si nous sommes tentés, un peu en tout et un peu toujours, il est vrai, c’est aussi avec cette certitude que la possibilité nous est faite de pouvoir, avec la grâce de Dieu, résister en tout et triompher toujours. Ne serait-ce que par la grâce du pardon qui, inlassablement, efface tout, rattrape tout, nous libère, nous apaise et nous fortifie.
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