Il y a à peine deux semaines, nous célébrions Noël. Ces dix jours n’ont pas été de trop pour entrer en vérité dans la joie de cette fête. Sans doute aurions-nous aimé disposer encore de quelques jours pour cela. Mais voici que surgissent les mages. Qui sont-ils pour nous aujourd’hui ?
Imaginons, en notre fin de millénaire, trois mages vivant dans l’Orient lointain, trois sages qui ont voué leur vie à scruter l’énigme du monde, de l’homme et de Dieu. Ils cherchent la vérité, du plus profond de leur désir. Et voici qu’une étoile se lève dans leur cœur ; un instinct divin les pousse à prendre la route de la nouvelle Jérusalem, car ils ont pressenti que c’est là qu’ils pourront enfin rencontrer le Sauveur des hommes.
Imaginons qu’ils arrivent devant Hérode et ses scribes. “Où est le roi des juifs, leur demandent-ils, nous avons vu son astre se lever dans nos cœurs et nous venons l’adorer.” Hérode et ses scribes ne connaissent que trop cet enfant. Depuis 2000 ans ils cherchent à l’éliminer. Faute d’y être parvenus, ils font tout pour en détourner les âmes désireuses de l’adorer. Après avoir en vain usé de violence et de persécution, ils ont trouvé une arme plus efficace. Voilà le discours qu’ils tiennent à nos trois mages. « Qu’avez-vous besoin d’aller adorer cet enfant ? N’êtes vous pas déjà des hommes raisonnables et religieux, héritiers de belles et nobles traditions spirituelles. Vous avez déjà un dieu, une religion, une morale. Restez donc vous-mêmes. Ne trahissez pas vos racines et votre culture. Pourquoi venir vous inféoder à un culte prétendument universel et sournoisement totalitaire ? La divinité est bien trop grande pour se limiter à une seule religion. Comment un petit enfant pourrait-il se prétendre le sauveur de tous les hommes ? Quel homme, quelle Église, quelle religion pourrait sans supercherie détenir la plénitude de la vérité ? »
Mais nos trois mages ne se satisfont pas de ce discours pourtant si policé, si aimable, si doucereux. Car la petite étoile persiste à briller dans leur cœur ; l’instinct divin les pousse à poursuivre leur recherche. Ils découvrent alors, dans le grand livre des Chrétiens, cette étonnante Bonne Nouvelle : « Le mystère du Christ, aujourd’hui manifesté dans l’Esprit à ses Apôtres et prophètes, c ’est que les nations sont admises au même héritage, membres du même corps, bénéficiaires de la même promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l’Évangile (Ep 3, 5-6).” Pourquoi donc ces hommes veulent-ils nous empêcher d’entrer dans le Mystère ?
Pourquoi veulent-ils nous tenir éloignés, séparés, privés de la lumière, privés de la consolation du salut, privés de l’espérance de la vie éternelle dans le Christ Jésus ?” C’est en songe, la nuit suivante, qu’ils en furent avertis : “Hérode, en prince de ce monde, divise pour régner. Il craint l’unité, il craint l’égalité, il craint la libération de tous dans l’évangile. Alors, il se fait le chantre du particularisme, de l’individualisme, du repli sur soi, de la crainte de l’autre, du refus de l’étranger. Que chacun reste chez lui, que personne n’aille voir ailleurs, que nul ne cherche au delà ou au dessus de lui-même ! Surtout que l’on ne brise pas les frontières des nations et des races, que l’on n’abolisse pas les murailles des cultures et des religions ! Que les divisions s’installent. Et surtout que les hommes ne sachent pas qu’ils ont tous, au Ciel, un Père qui les aime, un Père qui les appelle et leur pardonne, un Père qui leur envoie son Fils pour leur ouvrir le chemin de la Vie ! Au matin, la vue de l’étoile remplit les mages d’une très grande joie. Ils comprirent que Celui qu’il cherchaient à tâtons, c’est Lui qui a pris lui-même l’initiative de les guider vers lui. Tel est le grand mystère de l’Épiphanie que nous célébrons aujourd’hui. Pourquoi donc, les mages se sont-ils mis en route ? Comment ont-ils pu pressentir que cet enfant était leur roi ? Comment ont-ils pu l’honorer avec de l’or, de l’encens et de la myrrhe, confessant à l’avance que c’est lui le Roi de l’univers, à la fois le Dieu unique immortel et l’homme immolé offert pour le salut de tous ? Qui les a éclairé avant même que l’Évangile leur ait été prêché ?
Cette étoile qui a brillé dans leur cœur, c’est la grâce de Dieu qui résonne au fond de tous les cœurs, la grâce qui les attirent tous vers son Mystère de salut. Avant même qu’une parole ait retenti, avant même que Jésus ait commencé d’annoncer l’Évangile et d’envoyer ses disciples, il nous appelle chacun à lui, dans le secret de notre liberté. Il commence toujours par briller confusément mais sûrement dans nos cœurs, par sa seule grâce, avant que nous ne nous mettions en marche, avant que nous ne partions à la rencontre de sa Parole, à la rencontre de sa Mère, l’Église, qui peut seule nous le donner en plénitude. Heureuse Épiphanie, qui nous révèle la prévenance de Dieu pour tous les hommes, de toutes races, langues et peuples. Certes, son salut doit être proclamé par des paroles, annoncé par des hommes. Mais les envoyés, trop souvent, trahissent cette Bonne Nouvelle. Les uns veulent l’imposer par la force, la violence, la contrainte. D’autres la relativisent, la taisent : “Pourquoi se croire obligé de tous venir adorer l’Enfant-Dieu , d’autres chemins mènent au Salut ! ” Mais toutes ces trahisons n’y peuvent rien. Dieu appelle tous les hommes en son Fils Jésus, tous et sans exception, et d’abord en leur parlant au fond du cœur, au secret de leur désir et de leur liberté. La vérité n’est pas réservée à une élite ; l’Évangile n’est pas proclamé pour quelques privilégiés européens, riches et cultivés. Il est pour tous le chemin du salut. Alors ne craignons pas de parler, et de parler juste. Mais plus encore, adorons le mystère de la prévenance de Dieu pour tous, le mystère de l’appel qu’il lance au cœur de tout homme, telle une étoile intérieure, comme notre attente la plus profonde.
Et si étoile il doit y avoir dans le ciel de notre monde d’aujourd’hui, tâchons, avec modestie et humilité, mais aussi avec assurance et persévérance, de briller un peu de l’éclat d’une vie sainte. Nous pourrons ainsi, chacun comme une petite étoile, montrer à beaucoup la voie qui mène au Christ, notre vie véritable. Oui, appliquons-nous à être utiles les uns aux autres, en brillant comme des enfants de lumière dans le Royaume de Dieu.
Et si étoile il doit y avoir dans le ciel de notre monde d’aujourd’hui, tâchons, avec modestie et humilité, mais aussi avec assurance et persévérance, de briller un peu de l’éclat d’une vie sainte. Nous pourrons ainsi, chacun comme une petite étoile, montrer à beaucoup la voie qui mène au Christ, notre vie véritable. Oui, appliquons-nous à être utiles les uns aux autres, en brillant comme des enfants de lumière dans le Royaume de Dieu.