La coutume veut que tout académicien se fasse appeler “maître”. René Rémond est de l’Académie française. Il le reste alors qu’il nous a quittés. Et mieux que beaucoup d’autres, il portait bien ce titre.
Toute sa vie, il ouvrit l’intelligence de nombreux élèves comme de tous les lecteurs attentifs de ses publications. Il était un pédagogue né. Toujours soucieux de ne pas faire appel à l’émotion et au choc immédiat des idées, mais d’offrir les outils nécessaires à la compréhension de la situation et à son analyse, et faire ainsi oeuvre de raison. Il fut le savant et l’expert capable d’ouvrir un chemin éclairé devant les événements sociaux et politiques qui bousculent l’âme humaine. Combien on aurait aimé l’entendre le soir du premier tour de l’Élection présidentielle. Il aurait tenté avec finesse, de nous entraîner hors des attaques personnelles qui enferment aujourd’hui encore le débat politique : ce sont les projets qui importent.
Des projets qui n’ont de pertinence que s’ils osent se greffer sur l’arbre séculaire de l’Histoire. René Rémond était ” maître ” en sciences historiques. Il avait I’humilité du chercheur qui soulève les strates du passé pour mieux vivre le présent.
Car il était engagé. Il avait été formé par l’Action catholique, cette école de Foi chrétienne et de pensée sociale qui permit à plusieurs générations, — la mienne –, de relever les défis immenses qui s’imposaient dans la France de l’après guerre ; la clairvoyance et le courage du renouveau en étaient les fruits. Il parlait volontiers des ”trente glorieuses du catholicisme” de la France contemporaine. Il s’inscrit non comme un spectateur attentif, mais comme un acteur présent et un ouvrier de la première heure, sur la longue liste de chrétiens qui ne mirent jamais leur Foi religieuse dans leur poche, et témoignèrent dans la société, de la grandeur du message évangélique. La compétence, la qualité, le discours, la beauté aussi…, bref l’humanisme d’hommes debout étaient la manière heureuse d’annoncer la vérité qui les habitait : Dieu reconnu en Jésus le Christ, dans la lumière de l’Esprit.
Ces dernières années, il sentit l’obligation de rappeler qu’un anticléricalisme sectaire était une caricature insupportable de la liberté et le signe d’une ignorance ” bête et méchante “. Il le fit avec une certaine pugnacité. Il écartait ainsi toute tentation de repli et voulait éviter l’appel au désert qui habitait des catholiques apeurés. Il savait d’expérience que la Foi chrétienne est un cadeau de Dieu pour tous et que les chrétiens se doivent d’être “signe et sacrement ” de l’inscription de Dieu dans l’Histoire des hommes. Le Concile avait ratifié l’engagement du jeune “jéciste” de la première heure.
Cette leçon d’un chrétien engagé est son testament. Nous le recevons avec gratitude.