Tout au long de son histoire, l’Eglise a utilisé les parfums dans la liturgie. Le parfum évoque ce qu’il y a de plus intime chez quelqu’un. Quand deux personnes se rencontrent, les deux parfums se mêlent, unissant en profondeur ces deux personnes. Or l’amour s’adresse à ce qu’il y a de plus personnel chez quelqu’un.
Le moment le plus solennel de la bénédiction des saintes huiles par l’évêque au cours de la Messe Chrismale du Jeudi Saint est la consécration du Saint Chrême. C’est d’ailleurs du mot Saint Chrême que vient le nom de Messe Chrismale. Le mot de Saint Chrême vient lui-même du mot « Christ » donné à Jésus. Ce mot veut dire: « consacré par l’onction de l’Esprit Saint »: « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Lc 4, 18). Le Saint Chrême est de l’huile d’olive mélangée à de l’essence de pur parfum faite spécialement à cette intention. Sa consécration est le signe de la reconnaissance par Dieu de la place des parfums dans la vie humaine, et l’affirmation de leur rôle dans la liturgie.
Le parfum tient une grande place dans la vie humaine. Pensons aux nombreuses marques de parfum, à la publicité faite autour du parfum, à l’importance du marché commercial qu’il représente, à la place qu’il tient dans les cadeaux. Cette importance vient de ce qu’il est le symbole de l’amour, de l’amour que nous voulons montrer et donner aux autres, et de l’amour que nous voulons recevoir des autres et susciter chez les autres. Nous trouvons dans le parfum toutes les harmoniques de l’amour. Le parfum, comme l’amour, est lié à la beauté, à la fête, à la joie. Il évoque la gratuité. Il attire l’attention sur la présence d’une personne, même quand on ne la voit pas. Il permet d’identifier quelqu’un ou un lieu. On se parfume pour « se faire remarquer », dit l’expression courante. Or l’amour est attention aux autres, même quand ils ne sont pas là, présence continuelle à l’autre, même quand il est loin.
Le parfum évoque ce qu’il y a de plus intime chez quelqu’un. Quand deux personnes se rencontrent, les deux parfums se mêlent, unissant en profondeur ces deux personnes. Or l’amour s’adresse à ce qu’il y a de plus personnel chez quelqu’un et il unit les coeurs à travers les rencontres, les paroles, les gestes. Le parfum se mêle à l’air, créant une atmosphère particulière. Ainsi en est-il de l’amour qu’on ne peut voir, mais qui change le climat d’une rencontre, d’un local, d’un groupe. On embaumait les corps morts pour manifester l’amour porté à ces disparus, et leur permettre d’entrer dans le monde de l’amour en les préservant de la corruption. A l’inverse du parfum, la mauvaise odeur évoque le contraire de l’amour, à savoir le refus, le rejet, l’éloignement, la fuite, la séparation, la mort, la corruption, la haine même. Ne dit-on pas de quelqu’un que l’on hait: « je ne puis pas le sentir », ou que la haine « empoisonne l’atmosphère »’ C’est pourquoi on utilise des produits parfumés pour purifier l’air et chasser les mauvaises odeurs. L’amour lui aussi, quand il est vrai, purifie le climat empoisonné des relations sociales.
Immense est la palette des effets du parfum, aussi vaste que celle des effets de l’amour. Il ne faut donc pas nous étonner que le parfum et le langage du parfum tiennent depuis toujours une grande place dans les religions. Pour nous en tenir à la religion d’Israël et au christianisme, innombrables sont les références au parfum. Le temple juif comporte « l’autel des parfums ». Dans le temple sont offerts des « sacrifices d’agréable odeur » et des holocaustes en « parfum d’apaisement ». La prière monte comme un encens. Les prêtres et les rois sont consacrés par l’huile parfumée. L’huile parfumée est l’huile de l’allégresse, parce qu’elle procure la joie. Elle est versée sur l’hôte en signe d’accueil et d’hospitalité. Elle coule sur la barbe d’Aaron évoquant le bonheur d’être entre frères. Le Cantique des Cantiques est rempli des parfums de la bien-aimée et du bien-aimé, de la forêt du Liban et du printemps qui arrive. La vie des justes est une bonne odeur qui vaut tous les sacrifices.
Les Mages offrent à Jésus l’encens et la myrrhe, signes de leur foi et de leur amour. A la veille de la passion, Marie parfume les pieds de Jésus avec un parfum de grande qualité, payée 300 deniers, l’équivalent du salaire de trois cents journées de travail. Jésus approuve son geste critiqué par Judas. Son geste, dit Jésus, sera annoncé dans toutes les nations, parce qu’il est le signe de l’amour que cette femme lui a manifesté et des honneurs funéraires qu’elle a rendus à son corps avant qu’il meure. Jésus est mis au tombeau en étant parfumé d’un mélange de myrrhe et d’aloès (Jn 19, 39-40). Le vrai sacrifice d’agréable odeur est celui de Jésus, qui fait disparaître l’odeur de mort du péché. Parce que le Fils de Dieu a pris notre nature corporelle, il s’est servi dans sa vie et sa mission de ses cinq sens, y compris celui de l’odorat, avec lequel il a apprécié le parfum de Marie répandu sur lui. La liturgie du ciel selon l’Apocalypse comporte les parfums que sont les prières des saints.
Si le parfum tient une telle place dans la tradition juive et chrétienne, qu’il s’agisse du sacrifice, de la prière, de la vie sainte, de la consécration des personnes pour le service de Dieu et du peuple, c’est parce qu’il est le signe privilégié de l’Esprit Saint qui est l’amour du Père et du Fils, et par qui l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs. L’Esprit Saint, parce qu’il est l’Amour, est source de la beauté intérieure, de la joie du coeur, de la fête éternelle déjà commencée, de l’intimité avec Dieu, de la gratuité du don, de l’attention à Dieu et aux autres, de la présence continuelle de Dieu en nous, de la pureté. Sans être vu, il se diffuse, créant la communion des saints. L’Esprit Saint apporte la sainteté qui rayonne parfois des saints comme un parfum. Jésus est le Christ, le parfaitement consacré par l’onction de l’Esprit Saint, pour être la présence et la révélation de l’amour de Dieu. Son sacrifice est le parfum par excellence, parce qu’il s’est offert dans l’amour de l’Esprit Saint et qu’il a ainsi vécu ce qu’il a dit: « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
La consécration du Saint Chrême nous révèle que Dieu fait du parfum, qui tient une telle place dans la vie humaine et qui est si riche de signification, le moyen par lequel il nous donne son parfait parfum qu’est le Saint Esprit. Cela se réalise spécialement par les sacrements où est utilisé le Saint Chrême. Par le baptême, Dieu donne aux baptisés le parfum de l’Esprit Saint qui leur apporte l’amour, la purification de la mauvaise odeur du péché, qui fait d’eux dans le Christ des fils ou des filles comblés de joie, de beauté, de fête, de lumière, d’intimité divine, de fraternité dans l’Eglise et de rayonnement apostolique. Par la confirmation, Dieu donne aux confirmés le parfum de l’Esprit Saint. Par lui il leur redit sa joie de les avoir choisis dans le Christ pour ses fils et ses filles et il leur confirme son choix. Par lui il leur donne la capacité de grandir dans l’amour pour lui et les uns pour les autres, et il les appelle à trouver leur vocation pour être le parfum du Christ.
Par le sacrement de l’Ordre, Dieu donne aux évêques et aux prêtres le parfum de l’Esprit Saint qui les remplit de l’amour de Dieu, qui les consacre au Christ dans tout leur être, qui les envoie annoncer le parfum de l’Evangile, offrir au nom du peuple chrétien le sacrifice du Christ qui fait la joie de Dieu, accompagner les hommes sur le chemin heureux ou douloureux de leur vie, répandre le baume du pardon de Dieu, servir l’unité du peuple de Dieu, peuple sacerdotal, prophétique et royal.
Tout au long de son histoire, l’Eglise a utilisé les parfums dans la liturgie: l’encens, les fleurs, le saint Chrême du baptême, de la confirmation, des ordinations et de la consécration des autels. Dieu se communique à nous et nous allons à lui avec tous nos sens: la vue, l’ouïe, le toucher, le goût, et l’odorat. A l’Eglise et aux apôtres est confiée la mission d’être le parfum du Christ, dans la liturgie comme dans l’annonce de l’Evangile. Il faut remettre en honneur dans la liturgie les parfums. Ils nous rappellent qu’en nous, qui avons été marqués du Saint Chrême, l’Esprit Saint est venu comme le parfum indélébile de Dieu, pour faire de notre vie la plus quotidienne la louange et la joie de Dieu et l’annonce dans le temps des hommes de la fête éternelle du Royaume.