Saint Augustin s’interroge dans le XVème chapitre de la Cité de Dieu sur la nature du péché de Caïn, le premier meurtrier de l’humanité. Pour une part, sa faute réside dans le sacrifice qu’il a offert , avant son meurtre, pour jouir du monde en usant de Dieu et non pour jouir de Dieu en usant du monde.
Dieu avait choisi parmi les sacrifices de deux frères, agréant ceux de l’un, rejetant ceux de l’autre, ce qu’à n’en pas douter on put connaître par un témoignage significatif et visible ; et Dieu en agit ainsi parce que les uvres de l’un en étaient mauvaises et bonnes celles de son frère.
Ainsi Caïn fut-il fort contristé et son visage abattu. Il est écrit en effet : Et Dieu dit à Caïn : pourquoi es-tu devenu triste et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si ton offrande est juste et non pas ton partage, n’as-tu pas fait un péché ? Calme-toi car il se tournera vers toi et tu le domineras. Dans cette admonition ou ce conseil que Dieu donna à Caïn, ces paroles : Si ton offrande est juste et non pas ton partage, n’as-tu pas péché ? parce qu’on ne voit ni le pourquoi ni à la suite de quelles circonstances elles ont été prononcées, engendrent par leur obscurité beaucoup de sens quand les commentateurs des divines Ecritures s’efforcent de les exposer selon la règle de la foi.
Un sacrifice est juste quand il est offert au véritable Dieu à qui seul il est dû. Mais le partage n’en est pas juste quand on fait un mauvais discernement des lieux, des temps, des choses mêmes qu’on offre, de celui qui les offre, de celui à qui on les offre, de ceux à qui on les distribue en nourriture partage signifierait ainsi discernement- soit qu’on offre où il ne faut pas, ou ce qu’il ne convient pas d’offrir ici mais ailleurs ; soit qu’on offre ce qu’on ne doit offrir en aucun lieu et en aucun temps ; soit que parmi les offrandes il garde pour lui les meilleures de celles qu’il présente à Dieu ; soit que l’oblation soit distribuée à un profane ou à quelque personne qui n’y a pas droit.
Il est difficile à dire sur lequel de ces points Caïn a déplu à Dieu. Mais comme l’apôtre Jean dit à propos de ses frères : N’imitez pas Caïn qui était du malin et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? parce que ses uvres étaient mauvaises et celles de son frère étaient justes, on voit que si Dieu se détourne de l’offrande de Caïn, c’est qu’il la partageait mal, donnant à Dieu quelque chose de ses biens ; mais sa personne, il la gardait pour lui.
Ainsi agissent tous ceux qui ne cherchent pas la volonté de Dieu mais la leur, ne vivant pas avec un cur droit mais pervers, et qui pourtant offrent à Dieu leurs présents, s’imaginant par là acheter ses faveurs non pour guérir leurs passions dépravées, mais pour les satisfaire. Tel est le propre de la cité terrestre : honorer Dieu ou les dieux afin de régner par leur secours dans les victoires et la paix terrestre, non par la charité qui se dévoue mais par la passion qui domine. Car les bons usent du monde pour jouir de Dieu : les méchants, au contraire, pour jouir du monde veulent user de Dieu : ceux-là du moins qui croient soit que Dieu existe soit qu’il prend soin des choses humaines. Car il en est de pires, ceux qui ne croient même pas.