Considérations éthiques sur l’euthanasie. Par l’Académie pontificale pour la vie, le 9 décembre 2000.
1. À partir des années soixante-dix, et débutant dans les pays du monde les plus développés, une campagne insistante a commencé à se diffuser en faveur de l’euthanasie comprise comme un acte ou une omission qui, de par sa nature et dans ses intentions, provoque l’interruption de la vie du grand malade, ou celle du nouveau-né mal formé. La raison habituellement invoquée est de vouloir ainsi épargner au patient même des souffrances considérées comme inutiles.
C’est ainsi que se sont développées au niveau international des campagnes et des stratégies soutenues par des associations pro-euthanasie, ces campagnes présentaient des manifestes publics signés par des intellectuels et des hommes de science, des publications favorables à de telles propositions – certaines accompagnant même des instructions destinées à enseigner aux malades et aux bien-portants les différentes méthodes pour mettre fin à la vie lorsque celle-ci était considérée comme insupportable -, des enquêtes recueillant les opinions de médecins ou de personnes bien connues du public et favorables à l’euthanasie et, enfin, des propositions de loi soumises aux parlements, sans parler des tentatives afin de pousser les tribunaux à des sentences susceptibles d’établir de fait une pratique de l’euthanasie ou, du moins, l’impossibilité juridique d’infliger une peine dans une telle situation.
2. Le cas récent des Pays-Bas, où depuis quelques années déjà existait une sorte de réglementation selon laquelle le médecin pratiquant l’euthanasie à un patient qui lui en faisait la demande n’était pas poursuivi par la justice, établit une véritable légalisation de l’euthanasie sur demande, même si celle-ci est limitée aux cas de maladies graves et irréversibles, accompagnées par la souffrance, et à condition qu’une telle situation soit soumise à un contrôle médical extrêmement rigoureux.
Le fondement de la justification que l’on veut invoquer et faire valoir devant l’opinion publique repose principalement sur deux idées essentielles :
le principe de l’autonomie du sujet qui aurait le droit de disposer de sa vie d’une manière absolue ;
la conviction plus ou moins explicite du caractère insupportable et inutile de la douleur qui peut parfois accompagner la mort.
3. L’Église a suivi avec appréhension le développement de cette pensée. Elle y a reconnu l’une des manifestations de l’affaiblissement spirituel et moral quant à la dignité de la personne mourante et une voie « utilitariste » de désengagement face aux véritables besoins des patients.
Tout au long de sa réflexion, elle est restée constamment en contact avec le personnel et les spécialistes de la médecine, en s’efforçant de rester fidèle aux principes et aux valeurs de l’humanité, valeurs partagées par la plupart des hommes, et ce à la lumière de la raison éclairée par la foi, et en publiant des documents qui ont été reçus favorablement par les spécialistes et une grande partie de l’opinion publique. Nous rappellerons ici la Déclaration sur l’euthanasie (1980) publiée il y a 20 ans, par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi; le document du Conseil pontifical « Cor Unum » : Quelques questions d’éthique relatives aux grands malades et aux mourants (1981); l’Encyclique Evangelium vitae (1995) de Jean-Paul II (en particulier n. 64 et 67 et la Charte des personnels de la santé, rédigée par le Conseil pontifical pour la Pastorale de la Santé (1995).
Ces documents du Magistère ne se sont pas limités à définir l’euthanasie comme moralement inacceptable, « en tant que meurtre délibéré (…) d’une personne humaine » innocente (cf. EV, 65). La pensée de l’Encyclique est précisée au n. 57, permettant d’interpréter correctement le passage du n. 65 (cité ci-dessus), ou comme action « honteuse » (cf. Concile Vatican II, GS 27); mais il a également été offert un itinéraire d’assistance au malade gravement atteint et au mourant, itinéraire qui, sous le profil de l’éthique médicale ou bien spirituel et pastoral, s’inspire de la dignité de la personne, du respect de la vie et des valeurs de la fraternité et de la solidarité, en demandant aux individus et aux institutions de répondre par des témoignages concrets aux défis actuels d’une culture de mort de plus en plus répandue.
Tout récemment, après un travail préparatoire qui a duré plusieurs mois, l’Académie pontificale pour la Vie a consacré l’une de ses Assemblées générales à ce même thème, en en publiant ensuite les Actes dans le volume intitulé « La dignité du mourant » (2000).
4. Il est utile de rappeler ici, en renvoyant également aux documents cités, que la douleur des patients, douleur dont il est question et par laquelle on veut en quelque sorte justifier et rendre quasiment nécessaires l’euthanasie et le suicide assisté, est, aujourd’hui plus que jamais, une douleur pouvant être soignée grâce aux moyens adéquats de l’analgésie et des soins palliatifs proportionnés à la douleur elle-même; celle-ci, si elle est accompagnée d’une assistance humaine et spirituelle appropriée, peut être adoucie et soulagée dans un climat de soutien affectif et psychologique.
D’éventuelles demandes de mourir émanant de personnes souffrant profondément (comme le démontrent les enquêtes menées parmi les patients ainsi que les témoignages de personnel de santé connaissant bien la situation des mourants) traduisent presque toujours une demande indirecte du patient pour recevoir davantage d’attention et d’intérêt de la part des personnes qui l’entourent, en plus des soins appropriés : deux éléments qui font parfois défaut dans les hôpitaux d’aujourd’hui. La considération déjà proposée dans la Charte des personnels de la santé n’en est que plus vraie: « Le malade qui se sent entouré d’une présence affectueuse, humaine et chrétienne, ne tombe pas dans la dépression et dans l’angoisse comme celui qui, au contraire, se sentant abandonné à son destin de souffrance et de mort, demande à en finir avec la vie. C’est pourquoi l’euthanasie est une défaite pour qui la théorise, la décide et la pratique » (n. 149).
À ce sujet, on en vient à se demander si, par hasard, ne se cache pas au contraire, sous la justification du caractère intolérable de la douleur pour le patient, l’incapacité des personnes en « bonne santé » à accompagner le mourant dans son travail difficile de souffrance, de donner un sens à la douleur humaine – qui ne peut toutefois jamais être totalement éliminée de la vie humaine terrestre – et une sorte de refus de l’idée même de la souffrance, qui est toujours plus répandu dans notre société de bien-être et d’hédonisme.
On ne peut pas non plus exclure que, derrière certaines campagnes « pro-euthanasie », se cachent des questions de dépenses publiques, considérées comme impossibles à soutenir et inutiles lorsque certaines maladies se prolongent.
5. C’est en déclarant que la douleur peut être soignée (au sens médical) et en proposant, comme engagement de solidarité, d’assister le malade souffrant, que l’on peut affirmer le véritable humanisme: la douleur humaine a besoin d’amour et de partage solidaire, et non de la violence hâtive de la mort anticipée.
D’autre part, ce qu’on appelle principe d’autonomie par lequel on veut parfois exacerber le concept de liberté individuelle, en le poussant au-delà de ses limites rationnelles, ne peut certainement pas justifier la suppression de sa propre vie ou de celle d’autrui: en effet, l’autonomie personnelle présuppose le fait d’être vivant, et implique la responsabilité de l’individu, qui est libre de faire le bien selon la vérité; il réussira à s’affirmer, sans contradiction, seulement en reconnaissant (et ce, également dans une perspective purement rationnelle) qu’il a reçu sa vie en don et qu’il ne peut donc pas en être le « maître absolu »; en définitive, supprimer la vie, c’est détruire les racines mêmes de la liberté et de l’autonomie de la personne.
Et lorsque la société réussit à rendre légitime la suppression de l’individu – quel que soit le stade de la vie où il se trouve, ou quel que soit le degré de dégradation de sa santé -, elle renie sa finalité et le fondement même de son existence, ouvrant la voie à des iniquités toujours plus graves.
Enfin, la légitimation de l’euthanasie induit une complicité perverse du médecin qui, de par son identité professionnelle et en vertu des exigences déontologiques incontournables auxquelles elle est liée, est toujours appelé à soutenir la vie et à soigner la douleur, et jamais, au grand jamais, à donner la mort, même sur l’insistance attentionnée de qui que ce soit (cf. Serment d’Hippocrate); cette conviction éthique et déontologique a traversé les siècles sans que sa substance se trouve altérée, ainsi que le confirme, par exemple, la Déclaration de l’Association médicale mondiale sur l’Euthanasie (XXXIX Assemblée, Madrid 1987): « L’euthanasie, c’est-à-dire l’acte consistant à mettre fin, de façon délibérée, à la vie d’un patient, que ce soit à la demande du patient lui-même ou bien à la demande de sa famille, est un acte immoral. Ce qui n’empêche pas le docteur de respecter le désir d’un patient de permettre que le processus naturel de la mort suive son cours dans la phase finale de la maladie ».
La condamnation de l’euthanasie, exprimée dans l’Encyclique Evangelium vitae, parce qu’il s’agit d’une « grave violation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne humaine » (n. 65), renferme le poids de la raison éthique universelle (qui est fondée sur la loi naturelle) et l’instance élémentaire de la foi en Dieu, Créateur et gardien de chaque personne humaine.
6. La ligne de conduite à adopter à l’égard du grand malade et du mourant devra donc s’inspirer du respect de la vie et de la dignité de la personne; elle devra avoir pour objectif de rendre disponibles les thérapies adaptées, sans toutefois s’abandonner à certaines formes « d’acharnement thérapeutique » ; elle devra s’informer de la volonté du patient à l’égard des thérapies extraordinaires ou à risque – auxquelles, sur le plan moral, il n’est pas obligatoire d’accéder – ; elle devra toujours assurer les soins ordinaires (y compris l’alimentation et l’hydratation, même artificielles) et s’attacher à fournir les soins palliatifs, en particulier le traitement adéquat contre la douleur, en favorisant toujours le dialogue avec le patient et son information.
À l’approche d’une mort désormais inévitable et imminente, « il est licite, en toute conscience, de décider de renoncer à des traitements qui ne feraient que prolonger la vie, de façon précaire et pénible » (cf. Déclaration sur l’euthanasie, IV partie), car il existe une grande différence éthique entre « donner la mort » et « permettre la mort » : la première attitude refuse et nie la vie; la seconde en accepte la réalisation naturelle.
7. Les formes d’assistance à domicile – de plus en plus développées aujourd’hui, en particulier pour les patients souffrant d’un cancer -, le soutien psychologique et spirituel de la famille du malade, celui du personnel spécialisé et des volontaires peuvent et doivent transmettre la conviction que chaque moment de la vie et chaque souffrance peuvent être habités par l’amour et sont précieux aux yeux des hommes comme pour Dieu. L’atmosphère de solidarité fraternelle dissipe et vient à bout de l’atmosphère de solitude, ainsi que de la tentation du désespoir.
L’assistance religieuse en particulier – qui est un droit et une aide précieuse pour chaque patient, et pas seulement dans la phase finale de la vie – transfigure, lorsqu’elle est accueillie, la douleur elle-même en un acte d’amour rédempteur et la mort en une ouverture vers la vie en Dieu.
Les brèves considérations qui ont été offertes ici se situent dans le cadre de l’enseignement permanent de l’Eglise qui, en s’efforçant d’être fidèle au mandat qui est le sien, « d’actualiser » dans l’histoire le regard d’amour de Dieu pour l’homme, surtout lorsque celui-ci est faible et souffrant, continue d’annoncer avec force l’Evangile de la vie, persuadée – comme elle l’est – que cet Évangile peut résonner et être accueilli dans le cur de chaque personne de bonne volonté; en effet, ne sommes-nous pas tous invités à faire partie du « peuple de la vie et pour la vie »! (cf. Evangelium vitae, n. 101).