On lit parfois que l’Eglise aurait longtemps interdit de fait la lecture de la Bible aux fidèles, et que c’est seulement avec le Concile Vatican II que cela aurait changé. Est-ce vrai ?
La question pourrait figurer en bonne place dans le dictionnaire des idées reçues. Car le préjugé circule, et depuis longtemps. En 1907 déjà, le Pape Pie X évoquait dans une lettre “ce préjugé selon lequel l’Église voit de mauvais œil et entrave la lecture de l’Ecriture Sainte en langue vulgaire”. En pratique, les faits contredisent largement cette affirmation, qui relève moins de l’histoire que d’une forme d’idéologie encline à rejeter tout ce qui a précédé le Concile Vatican II.
Dans son Encyclique Divino Afflante Spiritu sur les études bibliques, Pie XII rappelle les actions de ses prédécesseurs pour recommander “l’étude ou la prédication des Saintes Ecritures, comme aussi leur pieuse lecture et leur méditation” :
– Pie X, qui approuva la Société de Saint-Jérôme “qui s’applique à recommander aux fidèles la si louable coutume de lire et de méditer les saints Evangiles et à rendre, par tous les moyens, cette pratique plus facile.”
– Benoît XV, qui exhorta par l’Encyclique Spiritus Paraclitus (15 septembre 1920) “tous les enfants de l’Église, et principalement les clercs, au respect en même temps qu’à la lecture pieuse et à la méditation assidue de la Sainte Ecriture” ; il les engagea à “chercher dans ces pages la nourriture qui alimente la vie spirituelle et la fait avancer dans la voie de la perfection”.
Reste alors la question de la traduction dans laquelle il convenait de lire la Bible. Ce point a en effet toujours fait l’objet d’une grande attention de l’Église. On entend parfois dire à ce propos que le Concile de Trente aurait interdit toute autre version que la Vulgate. Rien n’est plus faux. Pie XII s’en explique clairement dans son encyclique : “Si le Concile de Trente a voulu que la Vulgate fût la version latine “que tous doivent employer comme authentique”, cela, chacun le sait, ne concerne que l’Église latine et son usage public de l’Écriture, mais ne diminue en aucune façon – il n’y a pas le moindre doute à ce sujet – ni l’autorité ni la valeur des textes originaux. […] L’autorité de la Vulgate en matière de doctrine n’empêche donc nullement – aujourd’hui elle le demanderait plutôt – que cette doctrine soit encore justifiée et confirmée par les textes originaux eux-mêmes et que ces textes soient appelés couramment à l’aide pour mieux expliquer et manifester le sens exact des Saintes Lettres. Le décret du Concile de Trente n’empêche même pas que, pour l’usage et le bien des fidèles, en vue de leur faciliter l’intelligence de la parole divine, des versions en langue vulgaire soient composées précisément d’après les textes originaux, comme Nous savons que cela a déjà été fait d’une manière louable en plusieurs régions avec l’approbation ecclésiastique.”
Mais alors, n’y a-t-il pas de fumée sans feu ? Il est un fait que la recommandation de l’usage du texte latin (la Vulgate) dans la liturgie a conduit à ce que l’Écriture sainte soit peu accessible aux fidèles qui ne la fréquentaient pas autrement que dans le cadre des célébrations, et qui ne parlaient pas latin. Sur ce point, la lecture de la Bible en langue vernaculaire dans le cadre de la liturgie reste un progrès objectif. Même si l’on en peut que souhaiter qu’aucun chrétien ne se contente d’entendre quelques trop courts extraits de la Bible lors de la messe, mais que chacun approfondisse par ailleurs sa connaissance des Écritures.
Mais on est en tout cas loin, très loin, de l’accusation qu’on lit parfois même sur des sites catholiques (hélas) selon laquelle l’Église aurait interdit la lecture de la Bible. Elle n’a jamais cessé d’encourager les fidèles à écouter et méditer la parole de Dieu. Cependant, elle l’a toujours fait en ayant le souci que les fidèles puissent accéder à une version fiable du texte. Et qui pourrait le lui reprocher ? Qu’on se souviennent en effet de la polémique qui suivi la publication de la “Bible des Peuples” vers 1995 : le petit monde médiatico-intellectuel s’était empressé d’en appeler à l’Église pour qu’elle dénonce cette version jugée antisémite. Preuve, s’il en était besoin, qu’il est non seulement légitime mais absolument nécessaire que l’Église puisse se prononcer sur la valeur des traductions de la Bible, et d’en indiquer la ou les plus sûres parmi les nombreuses versions existantes.
Finissons en rappelant cet extrait du décret du 8 avril 1546 du Concile de Trente :
“Le même Saint Concile, considérant qu’il ne sera pas d’une petite utilité à l’Église de Dieu, de faire connaître entre toutes les Éditions Latines des saints Livres qui se débitent aujourd’hui, quelle est celle qui doit être tenue pour authentique, déclare et ordonne, que cette même Edition Ancienne et Vulgate, qui a déjà été approuvée dans l’Église par le long usage de tant de siècles, doit être tenue pour authentique dans les Disputes, les Prédications, les Explications, et les Leçons publiques, et que personne, sous quelque prétexte que se puisse être, n’ait assez de hardiesse, ou de témérité, pour la rejeter.”