Une conférence de Mgr Jean Pierre Ricard, Président de la Conférence des évêques de France prononcée mardi 4 octobre au Centre Saint Louis des Français à Rome. Mgr Ricard y souligne “l’engagement dans une pastorale des jeunes renouvelée” comme un des signes d’espérance.
“Mesdames, Messieurs,
Je me propose de vous parler ce soir de l’Eglise catholique dans la société française, non pas pour en faire une simple description mais pour me risquer à faire un diagnostic sur sa propre vitalité. Je ne me situerai ni en sociologue, ni en historien, ni en politologue mais en praticien, c’est-à-dire en pasteur qui doit analyser la situation, se donner des lignes d’action et prendre des décisions.
L’Eglise catholique a toujours entretenu des rapports complexes avec la société dans laquelle elle vit. Il y eu des moments où l’évolution de la société s’est montrée favorable à l’appartenance ecclésiale (cf. L’Eglise de Pologne et le désir de liberté et de libération de la société polonaise) et d’autres moments où cette évolution a agi en sens contraire. C’est le cas de la France aujourd’hui. L’évolution de notre société depuis une quarantaine d’années représente par beaucoup de ses aspects un véritable défi pour l’Eglise.
I – L’Eglise au défi
Observons tout d’abord quelques traits marquants de l’évolution de la société française.
Traits marquants de l’évolution de notre société française.
Il y aurait beaucoup à dire. Je ne relève que quelques traits marquants de cette évolution :
La crise de 1968 a été profonde. Au-delà des événements politiques eux-mêmes qui ont été relativement brefs, nous avons assisté à un bouleversement culturel profond. Toute une génération a été marquée par la remise en question des institutions et des appartenances sociétaires ainsi que par une valorisation de l’individu. Nous assistons aujourd’hui à une revendication très forte d’une reconnaissance légale du droit que pense avoir chaque individu : droit d’avoir un enfant comme je veux et quand je veux ; droit à la reconnaissance des unions homosexuelles et à l’adoption par deux personnes du même sexe ; droit à l’enfant. Beaucoup ne voient pas quelle considération objective pourrait remettre en question cette revendication subjective de ce qui apparaît comme un droit.
Cette valorisation de l’individu a été relayée par le développement de la société de consommation : c’est l’individu qui ressent des besoins (et si ce n’est pas le cas, la publicité lui en crée), qui choisit, qui achète. L’image du caddy dans une grande surface est bien le signe emblématique qui caractérise le comportement de beaucoup dans notre société. Même si la publicité et la présentation des produits nous conditionnent fortement, nous avons l’impression d’être libres et de choisir nous-mêmes. C’est l’individu qui fait son marché dans tous les domaines, y compris dans le domaine spirituel et religieux. Un nouveau produit chasse l’autre : pourquoi vouloir fixer son choix sur ce produit une fois pour toutes ? N’est-ce pas se priver de tous ceux qui pourront venir, bien plus attirants et performants que celui sur lequel pourrait se porter votre choix aujourd’hui ? Signalons cependant que cette valorisation de l’individu s’accompagne aussi paradoxalement dans notre société par l’imposition (en particulier par les médias) de modes de pensée et vivre. On se veut tolérant mais on peut être féroce envers ceux qui ne se plient pas à la pensée unique. Bien des jeunes qui veulent témoigner de l’originalité de leur foi en savent quelque chose.
Les influences de la crise culturelle de 1968 et de la société de consommation ont amplifié un mouvement beaucoup plus ancien de sécularisation de notre société française. Ce mouvement tend à distendre les liens de réalités sociales diverses avec une appartenance religieuse ou une influence ecclésiale (sécularisation des hôpitaux, des cliniques, des syndicats, des uvres de jeunesse, des maisons de retraite ) Sa tendance est de renvoyer les Eglises et les religions dans le pur domaine du privé, dans celui des opinions ou des convictions personnelles. Certaines tendances laïques militantes plaideront pour une non intervention des religions ou une non prise en compte des religions dans l’espace public. En 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat avait consacré la laïcité de l’Etat. Aujourd’hui, certains militeraient pour une laïcité de la société elle-même. La peur de l’Islam après les attentats terroristes et la dénonciation des fondamentalismes religieux, d’où qu’ils viennent, ont renforcé ces temps derniers cette tendance.
Répercussions de cette évolution sur la vie ecclésiale
Inutile de dire que cette évolution de notre société française (mais dont on peut aussi retrouver certains de ces traits marquants dans d’autres pays industrialisés et en particulier de l’Europe de l’Ouest) n’a pas été sans répercussions sur la vie de l’Eglise catholique en France. On peut relever les conséquences suivantes :
L’affaiblissement d’une transmission familiale du patrimoine chrétien.
La crise de transmission des valeurs qui a touché tous les milieux et toutes les familles de pensée (les milieux « laïques » par exemple) a été durement ressentie dans les familles catholiques. On ne peut plus dire : les grands-parents étaient catholiques, les parents le sont, les enfants le seront (comme j’ai pu encore le constater dans certaines familles maronites) A partir d’une même éducation, le choix des enfants peut être différent, par rapport à la foi, à l’appartenance ecclésiale ou à la demande de sacrements : mariage religieux ou pas, mariage civil ou pas, baptême pour les enfants ou pas. Tout ceci est ressenti très fortement par les différentes générations familiales. Ceci contribue à une baisse du nombre des baptêmes (69%), de 432 701 en 1993 à 385 460 en 2002, des mariages (132 128 en 1993 à 110 409 en 2002 sur 288 000 mariages civils), des militants, des pratiquants.
La baisse de la pratique dominicale. Elle est variable suivant l’implantation des paroisses. Mais on constate une baisse des pratiquants. Les statisticiens considèrent d’ailleurs aujourd’hui comme pratiquant régulier celui qui va au moins une fois par mois à la messe. La crise de la transmission familiale, le rythme du week-end (où on est en famille et où on dort le dimanche matin), l’approche subjective de la participation eucharistique (j’y vais quand j’en ai envie) et le regroupement paroissial pour la célébration dominicale ont eu pour effet de réduire le nombre des pratiquants.
La baisse du nombre de prêtres et des vocations sacerdotales et religieuses. Le nombre de prêtres est passé en France de 30 909 en 1992 à 25 542 en 2002. Et cette baisse ne rend pas compte du vieillissement de ce corps sacerdotal. Si le nombre d’ordinations est resté stable pendant ces dix dernières années (120 en moyenne par an), le nombre des séminaristes est passé 1172 en 1994 à 773 en 2003. On a dit que le pourcentage des vocations sacerdotales et religieuses comparé au nombre des jeunes rencontrés était resté identique au cours des années
mais c’est le nombre de jeunes touchés par une activité apostolique qui a fortement baissé. La difficulté de l’engagement à vie là aussi se fait sentir. Le statut du prêtre est aujourd’hui en France peu valorisant. De plus les familles peu nombreuses ont du mal à penser qu’un appel pourrait s’adresser à un de leurs enfants. Les vocations sont comme les autoroutes. On en dit le besoin, mais à condition qu’elles passent chez les autres. Des jeunes rentrent plus âgés au séminaire. Beaucoup ont fait des études supérieures. On constate que la plupart des vocations viennent des villes, et en particulier des villes universitaires. Ce qui est un problème redoutable pour les diocèses essentiellement ruraux.
Par contre, le diaconat permanent progresse puisqu’il passe de 853 diacres en 1993 à 1850 diacres en 2003.
Beaucoup de jeunes ne fréquentent pas l’Eglise ou même sont devenus étrangers à la foi chrétienne. Ils manquent cruellement de culture religieuse. Dans les collèges et les lycées, les aumôneries font du bon travail, mais les effectifs dans les lycées sont très faibles. De plus, dans certains établissements la création d’une aumônerie a été refusée par le chef d’établissement (ou le conseil d’établissement) par peur d’avoir à donner la même autorisation aux musulmans. C’est l’effet pervers de la loi sur les signes religieux : faire de l’établissement public un sanctuaire où les religions n’entrent pas. Dans l’Enseignement catholique, l’ouverture à tous les jeunes, le respect des opinions de chacun se sont souvent accompagnés d’une proposition de la foi réduite au minimum. La non motivation de certains professeurs ou de certains parents n’a pas contribué à modifier sensiblement les données du problème. D’où l’insatisfaction d’autres parents dans tel ou tel établissement. Il y aurait aussi bien des choses à dire sur la pastorale étudiante et la situation des mouvements apostoliques et des mouvements éducatifs (comme les différents scoutismes par exemple)
L’influence de l’environnement social sur les catholiques n’a pas simplement une dimension quantitative (en termes de « baisse ») Elle s’exerce aussi sur les mentalités. Les catholiques sont marqués également par l’évolution de la société dans laquelle ils vivent. Ils sont touchés par la fragilité de la vie familiale (avec ses divorces et ses familles recomposées) Ils sont influencés par la mentalité ambiante. Certains se trouvent ainsi en dissension avec l’enseignement de l’Eglise, sur les questions d’éthique personnelle en particulier. Je signale en particulier un trait de la mentalité actuelle : autrefois, il y avait la loi et la casuistique qui permettait de résoudre des cas particuliers de conflits de devoirs. Aujourd’hui, il n’y a que la loi et le cas singulier. Pour justifier sa situation personnelle, on souhaite tout simplement changer la loi.
Devant cette situation, on comprend que des observateurs du phénomène religieux ont pu parler de déclin de l’Eglise catholique dans notre pays. Certains chroniqueurs ont vu dans la prise en compte de ces phénomènes la mort annoncée du catholicisme. Vous ne vous étonnerez pas si je vous dis que je ne partage pas cette analyse et ce diagnostic.
Je pense que l’accueil de l’Evangile n’est jamais acquis une fois pour toutes dans une société et ceci depuis le début de l’aventure évangélique. Jean nous parle de cette crise qui traverse le groupe naissant des disciples. Il écrit : « A partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en allèrent et cessèrent de marcher avec lui » (Jn 6, 66) et on comprend que Jésus pose à ses proches la question de confiance : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (id v. 67) Et Pierre de répondre : « A qui irions-nous, Seigneur ? C’est toi qui as les paroles de la vie éternelle. » (v.68) Ce cri de foi de Pierre est particulièrement éclairant. Au cours de son histoire, l’Eglise n’a pu répondre aux crises qui la touchaient que par un sursaut de foi, une prise au sérieux de l’appel à la sainteté et une vigueur missionnaire renouvelée. La reconstruction de l’Eglise en France au lendemain de la Révolution en est un bel exemple. Je crois que c’est ce qui nous est demandé de vivre aujourd’hui. Je pense d’ailleurs que l’Eglise est, certes, confrontée à un terrible défi mais qu’elle n’est pas sans ressources pour l’affronter positivement. Ma conviction est que l’Eglise qui est touchée par cette crise vit aujourd’hui beaucoup plus une réelle mutation qu’un lent effritement.
II La relève déterminée et sereine de ce défi
Devant ce défi, l’Eglise qui est en France ne baisse pas les bras. Elle veut résolument et sereinement le relever. Elle répond à la crise qu’elle rencontre par une évangélisation renouvelée, par une pratique du dialogue et par une réorganisation de ses structures. C’est ce qu’il nous faut voir maintenant.
une évangélisation renouvelée
La Lettre aux catholiques de France que nous avons publiée en 1996 a beaucoup insisté sur la nécessité aujourd’hui de « proposer la foi », et de la proposer à nouveaux frais. Il faut prendre ces termes non dans un sens faible (« on a peut-être un produit qui vous intéresse si vous avez envie, vous pouvez venir voir ») mais au sens fort : mettre en contact avec l’Evangile comme puissance d’illumination, de motivation et de transformation intérieure. Je trouve cette proposition de la foi mise en uvre de multiples manières dans la vie de l’Eglise. Citons-en quelques-unes :
le soutien de l’engagement des catholiques dans la prise en charge de la vie ecclésiale. On peut constater depuis une quarantaine d’années un fort investissement des catholiques pour prendre en charge la vie et la mission des communautés chrétiennes. Certes la diminution du nombre de prêtres a été souvent le facteur déclanchant de cet investissement des laïcs (aujourd’hui un curé seul pour 15 paroisses
ne peut plus porter tout seul la charge curiale, que ce soit dans la prise en charge des services, des relais paroissiaux, de la mission pastorale elle-même) mais ce n’est pas la seule motivation. Il y a la redécouverte des responsabilités de la vie baptismale mais aussi la nécessité de proposer des communautés chaleureuses, priantes, célébrantes, fraternelles, missionnaires comme soutien d’une réelle évangélisation. Certains catholiques partent sur la pointe des pieds, vont vers des Eglises évangéliques en plein essor ou vers les sectes par défaut de fraternité dans certains de nos lieux d’Eglise. Cette prise en charge de la vie ecclésiale se vit aussi bien dans la présence à la pastorale des obsèques que dans l’animation des aumôneries scolaires, qu’elles soient dans le public ou dans le privé.
Une prise de conscience se fait aussi chez beaucoup de ces catholiques qu’il y a une proposition publique de la foi qui est à faire, une invitation à lancer, sans provocation ou prosélytisme intempestif, mais avec confiance. Je pense à ce qu’a représenté la semaine d’évangélisation de Toussaint 2004 à Paris. Tout un travail est encore à faire sur ce point. Dans nos méthodes apostoliques, il faut joindre au levain enfoui dans la pâte la lampe qu’on met sur le lampadaire et qui brille pour toute la maison.
Le développement de la formation et le ressourcement spirituel. Ces chrétiens engagés, mais aussi tous ceux qui sont confrontés aux multiples questions que pose notre société à la foi chrétienne et à l’Eglise, ont une demande forte de formation. La réponse à cette demande peut revêtir différentes formes : catéchèse d’adultes, formation plus théologique ou de type universitaire, formation plus spécifiée à des tâches ecclésiales. Dans la plupart des diocèses ont été mis en place des centres ou des instituts de formation. On constate que cette demande de formation, loin de se tarir, va en s’amplifiant.
Mais à côté de cette demande de formation, on a vu apparaître plus récemment un besoin de ressourcement spirituel, d’accompagnement spirituel. On se rencontre qu’il s’agit moins de se noyer dans le faire mais de grandir dans l’existence spirituelle. Ceci me paraît être d’ailleurs une réponse non narcissique au besoin d’épanouissement personnel de l’individu, à son besoin de parler, de se confier, de discerner les chemins par lesquels une fidélité au Christ et à l’Evangile lui demande de passer. Je suis frappé de voir comment les mouvements de jeunes intègrent cette nécessité de répondre à ce besoin d’accompagnement spirituel demandé par des jeunes. Mais citons aussi dans ce domaine du ressourcement spirituel l’importance des récollections (paroissiales, de catéchistes, d’animateurs pastoraux), des retraites (par ex. celles proposées par la Communauté de l’Emmanuel l’été à Paray-le-Monial), des pèlerinages (comme occasion de conversion ou de renouvellement spirituel) et de la fréquentation de grands sanctuaires.
l’engagement dans une pastorale des jeunes renouvelée. On constate dans tous les diocèses un réel engagement pour soutenir une pastorale des jeunes. Certes, le défi est grand je l’ai dit plus haut- mais il veut être relevé, même si les résultats en cette matière restent numériquement modestes. 85 évêques français ont participé aux Journées mondiales de la Jeunesse et plus de 65 ont souhaité être présents la première semaine avec leur délégation de jeunes dans les diocèses allemands d’accueil. On sent un certain nombre de jeunes aujourd’hui plus loin de l’Eglise, moins familiers du langage et des murs de la tribu, mais aussi moins critiques, plus disposés à écouter une parole, à condition que celle-ci éveille quelque chose en eux. Beaucoup de jeunes ont une attente spirituelle, se posent des questions sur leur vie. Ils ont besoin de points de repère, d’une parole qui déploie une intelligence et une cohérence de la foi chrétienne. Les évêques ont été frappés de la qualité d’écoute des jeunes pour les catéchèses dans le cadre des JMJ. On se rend compte que pour vivre en chrétiens dans une société sécularisée, il est important de proposer à des jeunes un enracinement ecclésial, une nourriture spirituelle et un accompagnement personnel, une formation chrétienne solide et l’apprentissage à savoir rendre compte de sa foi. Je constate que le choc que représente la rencontre avec des jeunes musulmans convaincus, sûrs et fiers de leur foi, peut provoquer un déclic bénéfique chez un certain nombre de jeunes catholiques.
Le développement d’une pastorale de l’initiation. On se rend compte que nous sommes de plus en plus dans une situation de première évangélisation. Des jeunes, des enfants, des adultes arrivent dans des groupes ecclésiaux sans aucun éveil préalable à la foi.
Il n’y a plus chez un certain nombre d’enfants la première sensibilisation qui se faisait dans le cadre des familles (par la grand-mère souvent) La catéchèse doit se penser aujourd’hui dans une dynamique missionnaire : comment contacter des familles ? Faire la promotion du catéchisme ? Accueillir des enfants qui n’ont eu aucune première approche de la vie chrétienne ? Comment les faire entrer dans les différentes dimensions de cette vie : expérience ecclésiale, écoute de la Parole, initiation à la prière et la vie eucharistique, apprentissage de la conversion à laquelle appelle l’Evangile ? Comment animer une catéchèse avec ces enfants (qui arrivent d’ailleurs à différents moments de leur parcours scolaire) mais aussi avec des enfants qui ont déjà reçu, en particulier dans le cadre de leur famille, toute une formation ? Comment éviter de leur donner, sous prétexte d’initiation une formation allégée, voire nettement insuffisante ? Voici des questions sur lesquelles nous réfléchissons et sur lesquelles nous allons poursuivre notre réflexion lors de notre prochaine assemblée plénière à Lourdes en novembre prochain.
Mais il n’y a pas que les enfants ou les jeunes qui frappent à la porte. Il a aussi des adultes qui souhaitent se remettre en route sur le chemin de la foi, à cause d’une interrogation personnelle, d’un événement qui les a fait réfléchir, de l’éducation religieuse de leurs enfants. Comment les différentes communautés chrétiennes vivent leur propre responsabilité d’accueil et d’accompagnement dans la foi ? Celles-ci ont aussi une responsabilité d’engendrement dans la foi. Nous travaillons comme évêques à cette prise de conscience si nécessaire.
Il est important de noter aussi l’augmentation du nombre de catéchumènes, du nombre d’enfants ou de jeunes qui demandent le baptême en âge scolaire mais aussi du nombre de jeunes adultes qui demandent le baptême, souvent après être passés par des itinéraires très compliqués Quel moment fort pour un évêque que celui de la rencontre avec ces catéchumènes lors de l’appel décisif !
accueillir l’aiguillon des communautés nouvelles. Les communautés nouvelles sont dans nos Eglises diocésaines une source de dynamisme communautaire, de vitalité spirituelle et d’élan d’évangélisation. Elles invitent à ne pas rester au sein de nos groupes ecclésiaux mais à risquer à l’extérieur une annonce explicite du message évangélique. Leur intégration dans la vie des diocèses se fait bien mieux qu’il y a quelques années. Si leurs relations sont bonnes avec les autres composantes de l’Eglise diocésaine, elles peuvent être un aiguillon précieux pour l’ensemble de la vie du diocèse. Il faut cependant remarquer qu’un certain nombre de ces communautés ont une implantation urbaine et que des zones rurales (ou des diocèses ruraux) sont moins touchées par elles.
Le courage d’une parole et une pratique du dialogue
Les catholiques en France doivent résister à deux tentations qui sont exprimées dans l’Eglise par deux courants antagonistes : celle de la forteresse assiégée où l’Eglise est surtout occupée à se défendre et oublie qu’elle est porteuse d’un message pour tous et celle de l’alignement sur la mentalité actuelle. Dans ce dernier cas, on tolère mal une Eglise qui ne pense pas comme tout le monde. L’Eglise, dit-on, si elle ne veut pas se marginaliser, doit se convertir à la modernité (supprimer le célibat des prêtres, se taire sur les questions d’éthique sexuelle, celles-ci étant vues comme appartenant au domaine de la vie privée, uniquement régi par la conscience individuelle, revenir à un évangile délesté, pense-t-on de son armature dogmatique cf. Le livre sur Marie de Jacques Duquesne) Ce courant oublie que la mentalité moderne n’est pas la norme de la foi mais que celle-ci se trouve dans l’Evangile lu à la lumière de toute l’expérience ecclésiale.
Dans une société sécularisée et pluraliste, il est important de parler, à la fois pour témoigner de cette foi qui nous fait vivre mais aussi pour partager la conception de l’homme qui nous habite, une conception qui n’est pas une position strictement confessionnelle mais qui peut être partagée avec d’autres qui ne sont pas forcément catholiques ou croyants. Il nous faut parler « à temps et à contre temps » comme le dit saint Paul, en faisant attention à ne pas nous réfugier paresseusement dans le contretemps pour justifier une non écoute ou un manque de communication avec les hommes de notre temps.
Cela nous invite à inscrire notre parole dans une pratique de dialogue et de compagnonnage. Il y a le dialogue quotidien dans les multiples engagements que l’on peut avoir. Les enquêtes mettent rarement en valeur un fait pourtant marquant : le nombre important de catholiques engagés dans des domaines très divers (éducatif, social, professionnel, politique, présence dans des cités difficiles), mais aussi dans la vie associative (organisations de quartiers ; organismes de solidarité ou de secours ; aide et présence au Tiers-monde..)
Ce dialogue se vit avec les autres Eglises chrétiennes (je pourrais être témoin du travail qui se fait dans le Conseil d’Eglises chrétiennes en France), avec le Judaïsme et les organisations juives. Nous sommes redevables sur ce point à tout ce qui a été fait par le Cal Decourtray, le Cal Etchegaray et le Cal Lustiger et par bien des acteurs de l’ombre. Depuis 2 ans, nous avons pris l’initiative de colloques avec le Congrès juif mondial et des rabbins (en particulier des universités juives orthodoxes) à New York. Mais il a aussi ce qui se fait en France avec le CRIF. Nous sommes en relation avec le monde de l’Islam mais la difficulté d’avoir des partenaires à l’autorité reconnue rend plus difficiles (je ne dis pas impossible) des contacts réguliers.
Nous vivons aussi un dialogue régulier avec les pouvoirs publics dans le respect d’une laïcité bien comprise : à savoir la reconnaissance de la non confessionnalité de l’état et de sa neutralité religieuse. Autonomie, neutralité ne veulent cependant pas dire ignorance ou manque de relations. Il est de la responsabilité de l’Etat d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes. Il doit veiller à ce que chaque Eglise ou religion puisse exercer ses activités non seulement dans la sphère privée des consciences mais aussi dans l’espace public comme organisation. Nous sommes reconnaissants à l’Etat d’avoir mis en place, depuis février 2002, une instance officielle de dialogue avec l’Eglise catholique.
Une réorganisation ecclésiale nécessaire
Pour faire face aux conséquences des évolutions de notre société sur notre vie ecclésiale l’Eglise en France a souhaité revoir son propre fonctionnement institutionnel.
Au niveau des diocèses, on a vu dans la plupart d’entre eux se mettre en place une réforme des paroisses face à l’émiettement de la vie paroissiale ou des célébrations eucharistiques. On a rassemblé des paroisses, non pas simplement pour modifier une carte géographique qui tient compte de la diminution du nombre de prêtres, mais pour aider à ce que se créent de véritables communautés, avec des services divers qui doivent permettre une certaine qualité et plus de tonus à la vie paroissiale. On assiste aujourd’hui à une mutation, c’est le quadrillage territorial qui semble disparaître au profit de pôles vivants de vie ecclésiale.
Au niveau de la Conférence des Evêques de France, on a souhaité travailler en provinces ecclésiastiques. Celles-ci ont succédé aux régions apostoliques. Celles-ci étaient neuf, les provinces quinze. Elles sont plus petites. Le but de la réforme entreprise est non seulement de permettre un échange entre évêques mais aussi de rendre possible une entraide entre diocèses, des collaborations communes, des prises en charge interdiocésaines. Il faut noter que dans les années qui viennent certains diocèses n’auront sans doute plus les forces apostoliques nécessaires (prêtres et laïcs) pour fonctionner de façon purement autonome.
La réforme de la conférence a contribué à doubler l’assemblée plénière, en Novembre et en avril. Les évêques ont souhaité se retrouver tous plus souvent pour réfléchir ensemble sur tous les défis qui se posent à eux aujourd’hui et dont j’ai esquissé une rapide présentation- et avoir une méthode de travail plus réactive pour aborder plus rapidement des questions de fond qui se posent à l’Eglise aujourd’hui.
Il est temps de conclure. On me pose souvent la question : n’êtes-vous pas angoissé devant l’avenir ? Je réponds : non, je suis soucieux mais pas angoissé. Je suis soucieux en pensant à l’équilibre nécessaire à sauvegarder pour les laïcs entre leur engagement ecclésial et leurs responsabilités dans le monde, aux vocations sacerdotales et religieuses, à l’investissement des chrétiens dans le domaine de la culture, à l’équilibre de vie et de ministère des prêtres, à la possibilité de survie de certains diocèses dans les années qui viennent, à ce que peut entraîner comme déséquilibres dans nos sociétés le terrorisme international.
Mais je ne suis pas angoissé. Je suis habité par l’expérience forte de l’Evangile. Celle-ci est au-delà des chiffres et des stratégies. Elle est toujours une expérience neuve pour celui qui la vit. Le Christ vient nous dire : tu es aimé, tu es unique aux yeux de Dieu. Laisse-toi aimer. Si tu accueilles cet amour, tu feras l’expérience d’une transformation intérieure, d’une lumière, d’une flamme, d’un souffle, d’une source d’eau vive au cur de ta propre vie. Et si tu es aimé, tu es appelé à ton tour à aimer. Prends cette route de l’amour. Tu feras l’expérience qu’elle te conduira à la vie, à la vraie vie, à celle qui ne déçoit pas.
Je crois que cette Bonne Nouvelle est aujourd’hui beaucoup plus actuelle et attendue qu’on ne croit.