Le site domuni, le portail des sciences humaines et religieuses, vous propose un exposé approfondi sur la question de l’Eglise dans le livre des Actes des Apôtres. En voici l’introduction.
Peut-on être chrétien et négliger ou même se désintéresser de l’Église ? Beaucoup aujourd’hui le pensent et le disent. On peut voir un écho de cette position dans la distinction classique «croyants» et «pratiquants» : le croyant non-pratiquant est souvent celui qui se dit chrétien, mais refuse d’en induire un lien quelconque avec l’Église. Il se dit en général ainsi plus libre.
On peut s’interroger sur la réalité de ce désintérêt affiché pour l’Église. On a peut-être rarement autant parlé d’elle dans les journaux, sans doute pour la mettre en accusation, mais qui ne sait pas que l’on s’en prend d’abord à ceux qui sont proches… Un enfant peut bien fermer la porte du foyer de ses parents, il n’en reste pas moins attaché à eux par quelque fibre secrète.
Ainsi, que les croyants le veuillent ou non, ils sont toujours «de» l’Église, s’ils ne sont pas toujours «dans» l’Église, du fait de leur volonté expresse. Au moins dans la civilisation chrétienne qui est la nôtre.
Nous nous voulons tout à la fois, du moins je l’espère, «de» et «dans» l’Église. Autrement dit, nous souhaitons connaître notre mère, apprendre à vivre avec elle même si ce n’est pas toujours facile. Je me propose de voir avec vous comment d’autres chrétiens, les premiers que la terre ait comptés, ont eux-mêmes entrepris de répondre à ces exigences.
Il ne s’agit pas simplement de faire un cours simpliste d’archéologie. L’archéologie qui a un sens n’est pas celle qui se contente de rapporter des faits, mais qui cherche à les interpréter, à définir de la sorte des lignes de continuité. Agir ainsi, c’est apprendre à lire l’histoire, une histoire qui nous concerne, l’histoire de l’Église, une histoire qui nous permette de nous situer en elle, de définir nos propres lignes de continuité. Si mes «parents» n’ont pas de passé, j’aurai du mal moi-même à en avoir un ; si je leur en trouve un, je pourrai me situer par rapport aux lignes de force de ce passé.
Voilà donc brièvement justifié mon propos. Reste à justifier sa pertinence dans les textes: est-il possible de reconstituer une histoire de l’Église primitive ? A partir de quels documents ? Dans quelles conditions ?
Ne pensons pas la question résolue si facilement. C’est une chose bien connue en effet que le terme grec ekklêsia est presque totalement absent des évangiles ; presque, parce qu’on le rencontre en fait à trois reprises, en Mt 16,18 et 18,17 (x2). Dès lors, ce terme semble s’introduire pratiquement par effraction dans le reste du Nouveau Testament, en particulier dans les Actes. C’est sans doute ce que voulait signifier Rénan dans sa célèbre boutade : «Les chrétiens attendaient le Royaume de Dieu, et c’est l’Église qui est venue».
De fait, Jésus n’a pas annoncé la venue de l’Église, mais celle du Royaume de Dieu : Mt 3,12 ; 4,17 ; 9,3s ; 11,12 etc. Autrement dit, la fin du monde, de «ce monde-ci», était proche aux yeux de Jésus comme elle le fut aux yeux des premiers disciples, comme elle l’était à l’époque avec une attente apocalyptique très grande (cf. H. Cazelles, L’attente du Messie). Il n’existait donc pas de place pour le “temps de l’Église” et l’on comprend quelque peu Rénan. Parcequ’en fait, on peut se demander si la venue de l’Église était vraiment contraire à la prédication de Jésus, ou seulement absente de cette prédication, et non pas plutôt contraire à la seule attente des premières générations chrétiennes. Ce qui veut dire qu’il n’est pas sûr qu’on doive interpréter l’annonce de l’imminence du Règne de Dieu comme exclusif de la venue de l’Église, sans confondre pour autant, comme voudrait le faire Carmignac, Église et Règne de Dieu.
En tout état de cause, même si l’Église est de quelque manière un fruit du «retard de la Parousie», elle est une réalité qui, aujourd’hui, demande d’être comprise, étudiée, là où elle se présente d’abord. Ce n’est pas dans les Actes, mais chez Paul que l’on trouve les attestations les plus anciennes ; toutefois, dans la mesure où saint Luc, comme on le verra, a thématisé cette venue de l’Église, a réfléchi sur elle, l’a éventuellement justifiée, c’est dans les Actes que je me propose de l’étudier.