Le dernier concile a remis en évidence la diversité des ministères dont parle l’apôtre Paul (1 Co 12,5) au service d’une même mission: l’annonce du règne de Dieu. Par leur baptême, qui les rend participants à la fonction sacerdotale du Christ, c’est tous les baptisés qui sont appelés à cette mission qui est avant tout un service ! Voici une catéchèse sur la spécificité du ministère presbytéral resitué dans la perspective de Vatican II, par Mgr Ulrich.
Ce fut d’une certaine façon une grande nouveauté. Les prêtres avaient l’habitude d’être les hommes à tout faire dans l’Eglise, et au fond on distinguait chez eux l’activité et la consécration personnelle. Ils étaient choisis pour être des témoins privilégiés du Christ, ayant pouvoir spécial pour célébrer la messe, donner le pardon, réconforter les malades, préparer les mourants, catéchiser : voilà pour la consécration. Mais par ailleurs, ils pouvaient exercer des activités très diverses : diriger une paroisse, enseigner, être chercheur scientifique, musicien, conférencier, apiculteur voire agronome… Le modèle de la vie rurale, au rythme des saisons, où chacun a sa place marquée, et dans laquelle le célibat, assez fréquent, n’empêche pas de vivre en communauté, en grande famille, était adapté à ce style de vie des prêtres.
Tout d’un coup, les modes de vie de tous, dans nos sociétés, se sont mis à changer. Davantage d’activités, une vie plus éparpillée sur des lieux différents et donc des déplacements, une certaine individualisation de la vie de chacun, et la réduction de la vie de famille à la cellule parents enfants, tout cela détermine des modifications nécessaires. Cela crée de la perturbation chez beaucoup, une crise des modes de vie qui n’est pas réglée certes et qui touche forcément les prêtres en particulier. Et cela provoquera deux mouvements aussi légitimes l’un que l’autre, et vécus souvent en même temps chez chacun. D’une part, un désir d’autonomie plus grand (travail professionnel, voire engagement social et politique pour ne pas perdre le lien avec le monde tel qu’il vit), et d’autre part un désir de partage (vie communautaire, partage du travail apostolique en équipe, fraternités sacerdotales) . Il me semble que la requête du mariage pour les prêtres s’est aussi située dans ce cadre-là du moins en partie.
La réflexion théologique variée de la deuxième moitié du vingtième siècle va honorer ces recherches d’une nouvelle situation des prêtres en insistant sur le fait que la mission apostolique des prêtres se vivra au mieux en accentuant l’aspect fraternel et communautaire de leur vocation. On ne cherche pas à en faire tous des religieux qui vivent en communauté, mais on insiste sur le fait qu’ils peuvent partager leurs réflexions et leurs projets apostoliques en équipe, qu’ils peuvent appartenir à des associations de prêtres qui s’entraident et se soutiennent dans la mission et l’engagement personnel, qu’ils peuvent même vivre à plusieurs sous le même toit
Le Concile de Vatican II (la réunion de tous les évêques du monde, convoquée par le Pape, à l’époque Jean XXIII puis Paul VI, de 1962 à 1965) retiendra des éléments essentiels de ces recherches. On peut en relire deux paragraphes importants tirés de la constitution sur l’Eglise, Lumen Gentium (n°28), et du décret sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis , (n°8).
On parle des prêtres, et non du prêtre
Je résume les points contenus dans ces deux passages. Les prêtres sont, par le ministère des évêques successeurs des apôtres, et à l’image du Christ prêtre par excellence, « consacrés pour prêcher l’évangile, être pasteurs des fidèles et célébrer le culte divin ».
Il faut probablement traduire : ils sont faits pour ( « ordonnés à ») rendre présent et visible le don du Christ aux hommes, rassembler la famille de Dieu avec autorité sur une part d’entre elle, et annoncer la Parole de Dieu avec conviction, non seulement en paroles mais par la fidélité de leur vie.
Ils sont unis aux évêques dont ils dépendent pour leur ordination et leur mission ; ils partagent avec les évêques le même sacrement d’ordination ; ils sont unis également aux diacres puisqu’ils ont reçu le même sacrement d’ordination ; ils expriment l’unité du Corps du Christ en constituant entre eux un collège uni, fraternel au milieu des diversités de personnes et de missions.
Ils exercent naturellement des ministères variés. Et le Concile décline une brève liste qui pourrait être allongée : ministère paroissial ou supra paroissial, chercheur ou enseignant, au travail professionnel ouvrier.
L’unité, il leur faut la vivre par l’amitié entre eux, la coopération dans le ministère, la concélébration (eucharistique). Ils peuvent vivre en équipe, sous le même toit ou non, partageant des repas, des temps de détente, ils se soutiennent spirituellement et moralement, ils s’exercent à une vie simple. Ce témoignage d’unité qu’ils cherchent à donner sert à développer chez les hommes le sens de l’unité de la famille humaine qui est la vraie vocation à laquelle elle est appelée, et vers laquelle Dieu la conduit.
Dans le dernier numéro d’une revue spécialisée concernant les prêtres («Prêtres diocésains » n°1401, janvier 2003), on peut lire quatre témoignages de prêtres différemment situés : aumônier des gitans, moine et aumônier de prison, membre de la communauté de l’Arche, prêtre en paroisse et metteur en scène de théâtre !
Sur quels terrains peut-on attendre les prêtres aujourd’hui ?
D’abord sur celui de la liberté. Ils ont un mode de vie qui peut étonner ; on doute parfois de la vérité de leur engagement… Est-ce que cela dérange ? Bien sûr qu’il y a des échecs, mais les nombreux divorces n’empêchent pas le mariage de rester une valeur pour l’humanité. Sur l’engagement à vie (engagement par amour du Christ et des hommes) qui nous met dans la situation d’aventuriers peut-être, sur l’engagement au célibat qui plaide pour une fraternité en réponse à l’amour de Dieu, sur la confiance faite à la Parole de Dieu et l’écoute d’une autre voix dans ce monde, les prêtres peuvent modestement donner un témoignage de liberté intérieure. Saint François de Sales, notre savoyard ( !), champion de la douceur évangélique, avait dû s’opposer au désir de son père qui le voulait magistrat honorable ou homme de loi pour bien veiller aux intérêts patrimoniaux… et pourtant ce père était croyant et pratiquant, comme on dit ! Aujourd’hui, ceux qui s’engagent sur ce chemin peuvent avec simplicité et douceur dire qu’il existe d’autres voies que celles de la réussite sociale et professionnelle.
Ensuite sur celui de l’espérance. Le monde dans lequel nous sommes pousse à l’individualisation des chances et des réussites. Par ailleurs, il a tendance à toujours mettre en avant le conflit, la division, le drame, ou l’exceptionnel et le divergent. Les prêtres sont chargés, par vocation et mission confiée, de favoriser la construction d’un signe (l’Eglise) d’unité, de cohésion, de fraternité. C’est un travail de patience et de courage, parce que les forces de division agissent aussi dans l’Eglise. C’est surtout le témoignage d’une belle espérance que c’est Dieu qui appelle et attire les hommes vers l’unité et la réconciliation : « le cœur de l’homme étudie sa route, mais c’est le Seigneur qui affermit ses pas » (Proverbes 16,9).
Et encore sur le terrain de la vérité, et de la profondeur. Nous ne sommes pas les seuls bien sûr, et nous n’y réussissons pas toujours certes. Mais dans tant et tant de rencontres, nous savons que nous aidons des personnes à faire la vérité en eux ; nous savons que nous les aidons à parler de sujets qu’elles n’abordent jamais, nulle part, avec personne : la vie, l’amour, la mort, la maladie, l’honnêteté, le pardon… tous les jours, nous avons des assurances de ce genre. Nous n’avons pas à nous vanter de tout cela ; et nous savons bien aussi que nous portons notre poids d’erreurs, d’imperfections, de déceptions données aux autres et à nous-mêmes. Mais surtout nous sommes témoins, émerveillés des chemins qui se font dans le cœur des hommes.
Existera-t-il d’autres façons d’être prêtres ?
On pense bien sûr à l’ordination d’hommes mariés, et à l’ordination de femmes dans l’Eglise catholique. Il ne faut pas se cacher que ces deux voies, espérées par nombre de nos contemporains y compris dans notre Eglise catholique, sont aujourd’hui fermées.
J’avoue sur ces points partager nettement les convictions de Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, exprimées notamment dans son livre Libres d’être prêtres, éditions de l’atelier 2001. Si l’on avait, il y a cinquante ans, laissé la possibilité d’ordonner des hommes mariés, on aurait contribué probablement au développement d’un ministère de prêtre principalement liturgique au service des besoins de la pratique sacramentelle, et l’on aurait empêché la participation des laïcs à l’annonce de l’évangile ; on aurait certainement morcelé l’Eglise en petites communautés, plutôt que de leur donner cette possibilité de s’ouvrir les unes aux autres, comme cela a été le cas.
Quant à l’ordination de femmes, si l’on peut comprendre les raisons qui militent dans ce sens, on peut bien imaginer que l’Eglise n’est pas unanime sur ce sujet. Il faudrait bien un concile de tous les évêques catholiques, voire un concile complètement œcuménique, c’est-à-dire regroupant toutes les Eglises chrétiennes.
Reste donc la voie de l’appel au ministère de prêtre, adressé à des hommes qui conçoivent leur vie dans l’engagement au célibat. Cet engagement peut paraître hors normes, mais il ne l’est pas tant que cela : plus de douze millions de Français adultes vivent seuls… pour toutes sortes de raisons qui n’ont pas à voir avec le célibat librement consenti, j’en conviens. Mais en tout cas, ce n’est pas aujourd’hui que l’on peut dire que la vie en solitaire est impossible ! D’autant que le célibat choisi par amour du Christ et pour le service des autres est un mode de vie qui ne fait pas de nous des isolés, loin de là. Parfois on nous voit surchargés, et l’on se dit que ce n’est pas une vie (mais nous ne sommes pas les seuls à l’être, c’est une maladie de l’époque !) ; en fait nous sommes investis dans beaucoup de relations, nous en sommes plutôt heureux : pourquoi ne sommes-nous pas compris ?
Ce qui est premier
La première de ces relations c’est celle que le Christ tisse avec nous. Il tisse relation avec tout homme ; et avec tout croyant, tout fidèle. Cette relation est déterminante pour toute personne qui la reconnaît. Et c’est évidemment vrai pour les prêtres : c’est en réponse à la Parole de Jésus qu’ils acceptent de vouer leur vie à ce qu’il soit reconnu et aimé. Le choix de telle forme de vie et des activités variées qui composeront le ministère vient de la connaissance de cet appel, de cette relation. « L’amitié est une vocation, et la vocation est une amitié ».
C’est, je l’espère, sur le terrain de la fraternité que l’on peut encore attendre les prêtres. En raison de l’amour de Dieu qui nous veut libres de toute entrave, et réconciliés, les prêtres sont porteurs d’un message de pardon. Par l’écoute des frères qui veulent se confier, par l’annonce de la Parole de Dieu, et parfois dans les sacrements, ils sont ministres de réconciliation. Ils invitent à la réconciliation avec soi-même : ta foi t’a sauvé ! à la réconciliation avec les frères : tu vaux mieux que ce que tu as pu faire de mal ! à la réconciliation avec ce monde difficile : Dieu l’a créé, il l’aime et veut le sauver ! à la réconciliation avec Dieu même : Il n’est pas ton adversaire, mais ton guide !