Le vendredi 15 juin, l’Église fête le Sacré Coeur de Jésus. Pour nous aider à entrer dans la compréhension de cette fête, voici des extraits d’une lettre adressée par Benoît XVI en 2006 au responsable général des jésuites à l’occasion du 50ème anniversaire de l’encyclique promouvant le culte du Coeur de Jésus.
Au Très Révérend Père
PETER-HANS KOLVENBACH, S.J.
Préposé général de la Compagnie de Jésus
Les mots du prophète Isaïe – “Vous puiserez de l’eau avec joie aux sources du salut” (Is 12, 3) – qui ouvrent l’Encyclique dans laquelle Pie XII rappelait le premier centenaire de l’extension de la fête du Sacré-Coeur de Jésus à toute l’Eglise – n’ont rien perdu, aujourd’hui, 50 ans plus tard, de leur signification. En promouvant le culte du Cœur de Jésus, l’Encyclique Haurietis aquas exhortait les croyants à s’ouvrir au mystère de Dieu et de son amour, en se laissant transformer par lui. À cinquante ans de distance, continuer d’approfondir leur relation avec le Coeur de Jésus, de façon à raviver en eux-mêmes la foi en l’amour salvateur de Dieu en l’accueillant toujours mieux dans leur propre vie demeure pour les chrétiens un devoir toujours actuel.
Le flanc transpercé du Rédempteur est la source à laquelle l’Encyclique Haurietis aquas nous renvoie: nous devons puiser à cette source pour parvenir à la vraie connaissance de Jésus-Christ et expérimenter plus profondément son amour. Nous pourrons ainsi mieux comprendre ce que signifie connaître l’amour de Dieu en Jésus Christ, l’expérimenter en ayant le regard fixé sur Lui, jusqu’à vivre complètement de l’expérience de son amour, pour pouvoir ensuite le témoigner aux autres. En effet, pour reprendre une expression de mon vénéré prédécesseur Jean Paul II, “près du Coeur du Christ, le coeur humain apprend à connaître le sens vrai et unique de la vie et de son propre destin, à comprendre la valeur d’une vie chrétienne authentique, à se garder de certaines perversions du coeur, à unir l’amour filial envers Dieu à l’amour envers le prochain. Ainsi – et c’est la vraie réparation requise par le Coeur du Sauveur – la civilisation du Coeur du Christ pourra être édifiée sur les ruines accumulées par la haine et la violence” (Enseignements, vol. IX/2, 1986, p. 843).
Connaître l’amour de Dieu en Jésus-Christ
Dans l’Encyclique Deus caritas est, j’ai cité l’affirmation de la première lettre de saint Jean: “Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru”, pour souligner qu’à l’origine du fait d’être chrétien, il y a la rencontre avec une Personne (cf. N° 1). Puisque Dieu s’est manifesté de la manière la plus profonde à travers l’incarnation de son Fils en le rendant “visible” en Lui, c’est dans la relation avec le Christ que nous pouvons reconnaître qui est vraiment Dieu (cf. Enc. Haurietis aquas, 29-41; Enc. Deus caritas est, N° 12-15). Et encore: puisque l’amour de Dieu a trouvé son expression la plus profonde dans le don que le Christ a fait de sa vie pour nous sur la Croix, c’est surtout en contemplant sa souffrance et sa mort que nous pouvons connaître d’une façon toujours plus claire l’amour sans limites que Dieu a pour nous: “Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais possède la vie éternelle” (Jean 3, 16).
Par ailleurs, ce mystère de l’amour de Dieu pour nous ne constitue pas seulement le contenu du culte et de la dévotion au Coeur de Jésus: c’est, de la même façon, le contenu de toute vraie spiritualité et dévotion chrétienne. Il est donc important de souligner que le fondement de cette dévotion est aussi ancien que le christianisme lui-même. En effet, il n’est possible d’être chrétien que le regard tourné vers la Croix de notre Rédempteur, “vers Celui qu’ils ont transpercé” (Jean 19, 37; cf. Zach 12, 10). Avec raison, l’Encyclique Haurietis aquas rappelle que la blessure du flanc ainsi que celles qui ont été laissées par les clous ont été, pour d’innombrables âmes, les signes d’un amour ayant marqué leur vie d’une façon toujours plus incisive (cf. 52). Reconnaître l’amour de Dieu dans le Crucifié est devenu pour ces âmes une expérience intérieure qui leur a fait confesser, avec Thomas: “Mon Seigneur et mon Dieu!” (Jean 20, 28), en leur permettant de parvenir à une foi plus profonde, dans l’accueil sans réserves de l’amour de Dieu (cf. Enc. Haurietis aquas, 49).
Expérimenter l’amour de Dieu en tournant le regard vers le Coeur de Jésus-Christ
La signification la plus profonde de ce culte de l’amour de Dieu ne se manifeste que si l’on considère plus attentivement son apport non seulement à la connaissance, mais aussi, et surtout, à l’expérience personnelle de cet amour dans le dévouement confiant à son service (cf. Enc. Haurietis aquas, 62). Evidemment, expérience et connaissance ne peuvent pas être séparées entre elles: l’une fait référence à l’autre. Par ailleurs, il faut souligner qu’une vraie connaissance de l’amour de Dieu n’est possible que dans le contexte d’une attitude d’humble prière et de généreuse disponibilité. En partant de cette attitude intérieure, le regard posé sur le flanc transpercé par la lance se transforme en une adoration silencieuse. Le regard vers le flanc transpercé du Seigneur, d’où s’écoulent “du sang et de l’eau” (cf. Jean 19, 37) nous aide à reconnaître la multitude des dons de la grâce qui en proviennent (cf. Enc. Haurietis aquas, 34-41) et il nous ouvre à toutes les autres formes de dévotion chrétienne comprises dans le culte du Cœur de Jésus.
La foi comprise comme fruit de l’amour de Dieu expérimenté est une grâce, un don de Dieu. Mais l’homme ne pourra expérimenter la foi comme une grâce que dans la mesure où il l’accepte en lui comme un don, dont il cherche à vivre. Le culte de l’amour de Dieu, auquel l’Encyclique Haurietis aquas invitait les fidèles (cf. ibid., 72) doit nous aider à nous rappeler constamment qu’Il a pris sur lui cette souffrance volontairement “pour nous”, “pour moi”. Lorsque nous pratiquons ce culte, non seulement nous reconnaissons avec gratitude l’amour de Dieu, mais nous continuons à nous ouvrir à cet amour de sorte que notre vie en soit toujours mieux modelée. Dieu, qui a répandu son amour “dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné” (cf. Rom 5,5), nous invite inlassablement à accueillir son amour. L’invitation à se donner entièrement à l’amour salvateur du Christ et à se vouer à lui (cf. ibid., 4) a donc pour premier objectif le rapport avec Dieu. Voilà pourquoi ce culte, totalement adressé à l’amour de Dieu qui se sacrifie pour nous est d’une telle importance irremplaçable pour notre foi et pour notre vie dans l’amour.
Vivre et témoigner l’amour expérimenté
Celui qui accepte l’amour de Dieu intérieurement est façonné par lui. L’amour de Dieu expérimenté est vécu par l’homme comme un “appel” auquel il doit répondre. Le regard tourné vers le Seigneur, qui “a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies” (Mat 8, 17) nous aide à devenir plus attentifs à la souffrance et au besoin des autres. La contemplation adorante du flanc transpercé par la lance nous rend sensibles à la volonté salvatrice de Dieu. Elle nous rend capables de nous confier à son amour salvateur et miséricordieux et, en même temps, elle nous renforce dans le désir de participer à son oeuvre de salut en devenant ses instruments. Les dons reçus du flanc ouvert, d’où s’écoulent “du sang et de l’eau” (cf. Jean 19, 34) font en sorte que notre vie devienne même pour les autres une source d’où émanent des “fleuves d’eau vive” (Jean 7, 38) (cf. Enc. Deus caritas est, N° 7). L’expérience de l’amour atteinte par le culte du flanc transpercé du Rédempteur nous protège du risque du repliement sur nous-mêmes et nous rend plus disponibles à la vie pour les autres. “Voici à quoi nous avons connu l’amour: Il a livré sa vie pour nous, et nous devons, nous aussi, livrer notre vie pour nos frères” (1 Jean 3, 16) (cf. Enc. Haurietis aquas, 38).
La réponse au commandement de l’amour n’est rendue possible que par l’expérience du fait que cet amour nous avait déjà été donné par Dieu (cf. Enc. Deus caritas est, N° 14). Le culte de l’amour qui est rendu visible dans le mystère de la Croix représenté lors de chaque célébration eucharistique constitue donc le fondement de notre vocation à devenir des personnes capables d’aimer et de se donner (cf. Enc. Haurietis aquas, 69), en devenant des instruments entre les mains du Christ: c’est seulement ainsi que nous pouvons être des hérauts crédibles de son amour. Cependant cette ouverture à la volonté de Dieu doit se renouveler à tout moment: “L’amour n’est jamais “achevé” et complet” (cf. Enc. Deus caritas est, N° 17). Le regard vers le “flanc transpercé par la lance” dans lequel resplendit la volonté illimitée de salut de la part de Dieu ne peut donc pas être considéré comme une forme passagère de culte ou de dévotion: l’adoration de l’amour de Dieu, qui a trouvé son expression historique et cultuelle dans le symbole du “coeur transpercé” demeure une adoration dont il faut absolument tenir compte pour un rapport vivant avec Dieu (cf. Enc. Haurietis aquas, 62)(…).
Du Vatican, le 15 mai 2006
Benoît XVI