A l’occasion de la 29e “rencontre européenne de jeunes” organisée par la communauté de Taizé, du 28 décembre 2006 au 1er janvier 2007, à Zagreb, capitale de la Croatie, frère Alois publie une lettre à son retour de Calcutta. En voici des extraits.
Poursuivant le « pèlerinage de confiance sur la terre » qui rassemble des jeunes de nombreux pays, nous comprenons toujours plus profondément cette réalité : tous les humains constituent une seule famille et Dieu habite chaque personne humaine, sans exception.
En Inde, comme ailleurs en Asie, nous avons découvert combien l’attention si naturelle portée à la présence de Dieu dans toute la création implique un respect de l’autre personne et de ce qui est sacré pour elle. Aujourd’hui, dans les sociétés modernes, il est tellement important de raviver cette attention à Dieu et ce respect pour l’homme.
Pour Dieu, tout être humain est sacré. Le Christ a ouvert les bras sur la croix pour rassembler toute l’humanité en Dieu. S’il nous envoie transmettre l’amour de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre, c’est d’abord par un dialogue de vie. Il ne nous place jamais au niveau d’un rapport de force avec ceux qui ne le connaissent pas.
Tant de jeunes à travers le monde sont prêts à rendre plus visible l’unité de la famille humaine. Ils se laissent travailler par une question : comment résister aux violences, aux discriminations, comment dépasser des murs de haine ou d’indifférence ? Ces murs existent entre les peuples, les continents, mais aussi tout près de chacun de nous et jusqu’à l’intérieur du cœur humain. À nous alors de faire un choix : choisir d’aimer, choisir l’espérance.
Les immenses problèmes de nos sociétés peuvent alimenter un défaitisme. En choisissant d’aimer nous découvrons un espace de liberté pour créer un avenir pour nous-mêmes et pour ceux qui nous sont confiés.
Avec peu de moyens, Dieu nous rend créateurs avec lui, même là où les circonstances ne sont pas favorables. Aller vers l’autre, parfois les mains vides, écouter, essayer de comprendre ; et déjà une situation bloquée peut se transformer.
Dieu nous attend chez ceux qui sont plus pauvres que nous. « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » I
Au Nord comme au Sud, d’immenses inégalités entretiennent une peur de l’avenir. Certains, avec courage, consacrent leurs énergies à modifier des structures d’injustice.
Tous, laissons-nous interroger sur notre mode de vie. Simplifions notre existence. Et nous trouverons une disponibilité et une ouverture du cœur pour les autres.
Aujourd’hui il existe de multiples initiatives de partage accessibles à chacun. Un commerce inventif et plus équitable ou le micro-crédit ont démontré que croissance économique et soli-darité avec les plus pauvres pouvaient aller de pair. Il en est qui sont attentifs à ce qu’une par-tie de leur argent contribue à rétablir une plus grande justice.
Pour que nos sociétés prennent un visage plus humain, donner notre temps est précieux. Chacun peut chercher à écouter et à soutenir ne serait-ce qu’une seule personne : un enfant délaissé, un jeune sans travail ni espoir, quelqu’un qui est démuni, une personne âgée.
Choisir d’aimer, choisir l’espérance. En persévérant sur ce chemin, nous découvrons avec étonnement que, avant toute démarche de notre part, Dieu nous a choisis, chacune, chacun de nous : « Ne crains pas, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Je suis ton Dieu, tu comptes beaucoup à mes yeux et je t’aime. » II
Dans la prière, nous nous mettons, nous et ceux qui nous sont confiés, sous le regard bienveillant de Dieu. Il nous accueille tels que nous sommes, avec ce qui est bon, mais aussi avec nos contradictions intérieures, et même nos fautes. L’Évangile nous l’assure : nos fragilités peuvent devenir une porte par laquelle l’Esprit Saint entre dans notre vie.
Voici trente ans, frère Roger écrivait à Calcutta : « La prière est pour toi une source pour aimer. Dans une infinie gratuité, abandonne-toi de corps et d’esprit. Chaque jour, sonde quelques paroles des Écritures, pour être placé face à un autre que toi-même, le Ressuscité. Laisse dans le silence naître en toi une parole vivante du Christ pour la mettre aussitôt en pratique. »
Et en quittant Calcutta, il ajoutait :
« Nous repartons après avoir découvert, au cœur de profondes détresses, la vitalité sur-prenante d’un peuple et avoir rencontré des témoins d’un autre avenir pour tous. Pour contribuer à cet avenir, le peuple de Dieu a une possibilité qui lui est spécifique : répandu sur toute la terre, il peut construire dans la famille humaine une parabole de partage. Cette parabole contiendra assez de force pour se propager jusqu’à ébranler les structures les plus immobiles et créer une communion dans la famille humaine. » III
Cet appel de frère Roger prend aujourd’hui une nouvelle actualité. Dispersés à travers le monde, les chrétiens peuvent soutenir une espérance pour tous en vivant de cette nouvelle inouïe : après la résurrection du Christ, notre humanité n’est plus fragmentée.
Comment être témoins d’un Dieu d’amour sur la terre si nous laissons durer nos séparations entre chrétiens ? Osons aller vers l’unité visible ! Quand nous nous tournons ensemble vers le Christ, quand nous nous rassemblons dans une prière commune, l’Esprit Saint déjà nous unit. Humblement, dans la prière, nous apprenons sans cesse à appartenir les uns aux autres. Aurons-nous le courage de ne plus agir sans tenir compte des autres ?
Plus nous nous approchons du Christ et de son Évangile, plus nous nous approchons les uns des autres.
Par l’accueil réciproque, un échange de dons se fait. L’ensemble de ces dons est aujourd’hui nécessaire pour rendre audible la voix de l’Évangile. Ceux qui ont mis leur confiance dans le Christ sont appelés à offrir leur unité à tous. Et la louange de Dieu peut éclater.
Alors se réalise la belle parabole de l’Évangile : le petit grain de sénevé devient la plus grande des plantes du jardin, au point que les oiseaux du ciel viennent y faire leurs nids.IV Enracinés dans le Christ, nous nous découvrons une capacité d’ouverture envers tous, aussi envers ceux qui ne peuvent croire en lui ou qui lui sont indifférents. Le Christ s’est fait le serviteur de tous, il n’humilie personne.
Plus que jamais, nous avons aujourd’hui les possibilités de vivre une communion audelà des frontières des peuples. Dieu nous donne son souffle, son Esprit. Et nous le prions : « Guide nos pas sur le chemin de la paix. »V (…)
(I) Matthieu 25, 40.
(II) Isaïe 43, 1-4.
(III) Frère Roger, Lettre au peuple de Dieu, 1976.
(IV) Voir Luc 13, 18-21.
(V) Voir Luc 1, 79.