Interrogé par Radio Vatican à l’occasion de la publication très médiatisée de l’évangile de Judas, le P. Marc Leroy, de l’Ecole biblique de Jérusalem, rappelle la nature gnostique de ce texte.
Quelle valeur accorder à « l’Evangile selon Judas », un texte qui revient régulièrement faire débat sur la scène publique ? Le titre est vendeur, le texte est bien connu des spécialistes. Benoît XVI a rappelé la trahison de Judas, le père Cantalamessa, a dénoncé ouvertement une “littérature pseudo-historique “. Tous deux ont donc coupé court à toute prise en compte de ce texte. Pour parler de son contenu, nous avons joint le père Marc Leroy, dominicain, spécialiste des textes apocryphes à l’Ecole biblique de Jérusalem. Il nous explique tout d’abord quels critères déterminent la qualification d’un texte comme apocryphe.
M. Leroy – Le mot apocryphe vient du grec “apókruphos” qui veut dire “caché”, mais ce n’est pas dans le sens qu’on l’entend souvent, d’évangile ou d’écrit que l’Eglise aurait caché pour ne pas le transmettre au fidèle. Il faut entendre caché dans le sens “qui n’appartient pas au canon”, qui n’a pas été reçu dans la liste canonique. Ces évangiles apocryphes viennent de communautés gnostiques, très souvent, c’est le cas de l’Evangile de Judas dont on parle dernièrement, c’est le cas aussi de l’Evangile de Thomas, et d’autres évangiles encore.
RV – Qu’apportent-ils, même s’ils ne font pas partie du Canon, au lecteur, et au lecteur chrétien particulièrement ? Est-ce qu’il apporte une source en plus ?
M. Leroy – L’évangile de Judas est surtout intéressant pour l’histoire comparée des religions. Il ne nous apprend rien sur le personnage historique “Judas”, puisque à travers cet évangile, c’est surtout la pensée gnostique qui est dévoilée.
RV – Comment s’est-elle développée, en parallèle ou en opposition aux premiers chrétiens ?
M. Leroy – A la même époque des premières communautés chrétiennes qui naissent, on voit se développer ad extra d’autres communautés gnostiques. Ces communautés gnostiques – le terme vient de la “gnosis”, la connaissance – reprennent certains éléments du Nouveau ou de l’Ancien Testament, mais vont développer un enseignement ésotérique, c’est-à-dire que seulement quelques uns, les initiés, peuvent atteindre la connaissance de Dieu. Et les gnostiques pensaient qu’il y avait un dieu du bien et un dieu du mal et qu’on retrouvait cette opposition en tout homme, avec l’opposition du corps et de l’esprit. Et donc tout le but des gnostiques est de libérer l’âme du corps, pour retrouver le dieu du bien. Et une particularité du mouvement gnostique, tel qu’on peut le voir dans l’évangile de Judas, c’est de reprendre un certain nombre de personnages qui ont été condamnés dans l’Ancien Testament et d’essayer de les réhabiliter. C’est le cas de Judas pour le Nouveau Testament, mais dans l’Ancien c’est le cas de Caïn ; c’est le cas du frère de Jacob, Ésaü ; c’est le cas de Coré, qui s’est rebellé contre Moïse.
RV – Aujourd’hui alors que nous sommes en plein Triduum pascal, quelles réflexions peut apporter cette redécouverte – ou cette médiatisation – de l’évangile de Judas et les évangiles apocryphes pour les chrétiens ?
M. Leroy – Je crois que c’est aussi l’occasion pour le chrétien de s’interroger : pourquoi est-ce que Judas a trahi Jésus ? Judas, on peut penser qu’il a voulu choisir Jésus de façon tout à fait honnête, et puis il s’est rendu compte que Jésus n’était pas ce messie politique devant rétablir le royaume qu’il attendait. Plutôt que de voir là un suicide du Christ, je crois que ça nous renvoie à ce messianisme éngimatique de Jésus. A la fois il récuse le titre de Messie ou en tout cas il ne veut pas se conformer à ce Messie politique attendu, mais les premiers chrétiens, après la résurrection, vont reconnaître en Jésus le Christ et le Seigneur. Au fond, c’est aussi la question de l’accomplissement des écritures. Et les premiers chrétiens vont voir dans la mort et la résurrection de Jésus l’accomplissement des oracles prophétiques.