Spontanément, nous pensons souvent que ces questions sociales, et surtout politiques, ne concernent pas la foi, qui, elle, serait plus intime et plus personnelle. Une catéchèse de Mgr Defois, à quelques jours du centenaire des Semaines Sociales à Lille (23 – 26 septembre 2004)
Du 23 au 26 septembre 2004 se sont tenues à Lille les Semaines Sociales. Elles célèbreront leur centenaire et, pour la première fois, réuniront des chrétiens et des citoyens venus de toute l’Europe, en particulier d’Allemagne, Pologne, Italie, Espagne, Belgique, Hollande, Hongrie. Ce rassemblement de quelque 3000 personnes mettra en dialogue des enseignants, des hommes politiques, des syndicalistes, des chefs d’entreprise, des jeunes et des sans abri… Durant quatre journées, ils entendront des acteurs très divers proposer des réflexions sur une question capitale pour notre avenir commun : L”Europe, une société à inventer.
Un siècle de propositions sur la société.
Dans la deuxième partie du dix-neuvième siècle, des chrétiens, des évêques et le pape Léon XIII se sont inquiétés de la situation inhumaine faite aux travailleurs de la première industrialisation de l’Europe. Le Pape écrivit une lettre encyclique, Rerum Novarum, pour moraliser le travail et l’emploi à l’heure où des enfants très jeunes, des femmes, des adultes mis en des situations dangereuses dans les mines et les usines connaissaient une existence particulièrement précaire : bas salaires, pénibles conditions de travail, longs horaires de travail, logements insalubres. Le Pape insiste sur le droit à une vie familiale, à des rémunérations décentes et à des temps de repos, y compris pour la vie religieuse. Déjà, des travailleurs étrangers étaient déplacés, depuis la Pologne et l’Italie, pour réaliser des profits et des productions intensives, et cela au détriment de leur santé.
Par ailleurs le marxisme et le socialisme révolutionnaire prônaient une lutte des classes mettant en péril la paix sociale : ces courants directement anti-religieux menaient des campagnes et des grèves souvent violentes; des conflits et des affrontements entraînaient des morts d’hommes. Nous savons ce qui en a résulté jusqu’au totalitarisme soviétique et au mur de Berlin, à la suite de deux guerres mondiales.
À de multiples reprises les papes ont publié des encycliques qui proposaient des voies de solutions pour humaniser le travail et la vie ouvrière, permettre aux ouvriers de s’unir pour défendre leurs droits et fonder des contrats de travail sur des règles objectives. Jean-Paul II a donné des perspectives très neuves sur la question sociale dans son encyclique Centesimus annus pour le centenaire de la lettre de Léon XIII, de 1991. C’est la base de l’enseignement social de l’Église.
Les Semaines Sociales, une parole de chrétiens laïcs
Mais, pour que la parole du pape et des évêques soit relayée, des chrétiens de Lyon et de Lille ont voulu créer une université sociale où les principes moraux prenaient corps dans une pensée structurée sur les réalités économiques et sociales. Ils cherchaient à ce qu’elle soit prise en compte par des acteurs de la vie économique et par des politiques ou des industriels engagés dans l’action. Les Semaines Sociales ont créé un courant d’éthique dans la société du vingtième siècle, très au fait des modifications que la modernisation des techniques de production, d’échanges et de consommation apportait au jour le jour. Elles ont permis une liberté de recherche et de parole en lien avec la pensée du pape et avec la parole de Dieu. Si les participants n’étaient pas tous des catholiques pratiquants, ils se situaient dans le sillage d’une fidélité aux valeurs et aux uvres, syndicats ou mouvements chrétiens qui exprimaient une lecture chrétienne des événements sociaux et politiques du temps. C’est en sens qu’à l’heure de l’Europe, des chrétiens venus de divers pays de l’Union Européenne estiment urgent que cette Europe soit celle des hommes et non seulement une construction économique pour produire des biens de consommation et de l’argent.
L’Evangile, programme social ?
Spontanément, nous pensons souvent que ces questions sociales, et surtout politiques, ne concernent pas la foi, qui, elle, serait plus intime et plus personnelle. Nous lisons trop souvent l’évangile comme une uvre spirituelle, un engagement du cur. En rester là serait oublier de nombreuses paraboles où Jésus, à la suite des prophètes de l’Ancien Testament d’ailleurs, souligne les responsabilités communes du peuple d’Israël dans la fidélité à Dieu. Cela va depuis l’idolâtrie qui asservit l’esprit dans le culte de l’argent et même de la Loi ou de César, jusqu’à des questions de société comme la situation des pauvres, le traitement social des paralysés et des malades, le rôle du Temple, l’éthique du commerce, l’assistance aux orphelins, la place des enfants dans la société, l’accueil des étrangers, l’honnêteté des emprunts financiers, etc
Il ne s’agit pas de programme politique, certes, mais de points de vues inspirés par la relation au Dieu créateur, sauveur de l’humanité et de la dignité de l’homme.
En ce sens l’engagement des chrétiens dans la société est fondamental pour que la Bonne Nouvelle de l’Évangile soit exprimée dans les réalités personnelles et sociales de notre monde. Une vie chrétienne qui s’arrêterait aux seuls contours de la conscience individuelle serait infidèle à cette volonté du salut total qui est au cur de la Révélation chrétienne. Les Semaines Sociales en sont la traduction dans l’actualité d’une société particulièrement marquée par la mondialisation et par la constitution d’une Europe accueillante aux multiples traditions des 25 États qui y adhèrent. Sans oublier le sort des peuples du Tiers-Monde qui aspirent à participer à nos échanges économiques pour conquérir une indépendance réelle. La civilisation de l’amour dont le Pape Jean-Paul II parlait encore à Lourdes, le 15 août dernier, demande notre participation intellectuelle et morale aux débats d’avenir de notre société. L’Évangile, s’il n’est pas un programme, une troisième voie entre les camps politiques, est néanmoins un ferment pour nourrir nos responsabilités et nos solidarités communes. Si quelqu’un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, et qu’il se ferme à toute compassion, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui? Mes petits enfants, n’aimons pas en paroles, avec des mots, mais avec des actes et en vérité. (Première épître de Saint Jean 3,17-1).