La Commission nationale consultative des droits de l’homme a décidé d’examiner le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe modifiant la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.
Avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe
1- En premier lieu, la CNCDH entend rappeler l’importance primordiale de l’universalité des droits de l’homme, qui transcende, sans les nier, les différences entre les êtres humains. « Face à l’universalité de la souffrance humaine, nous affirmons l’universalité des droits eux-mêmes. Les droits de l’homme, fondés sur la dignité inhérente à toute personne humaine, sont le patrimoine de tous et sont placés sous la responsabilité de chacun »[1]. Parce que c’est l’être humain en tant que tel, et non en raison de certains traits de sa personne, qui doit être respecté et protégé, la CNCDH émet des réserves sur la multiplication de catégories de personnes nécessitant une protection spécifique.
Cette segmentation de la protection des droits de l’homme remet en cause leur universalité et leur indivisibilité. Légiférer afin de protéger une catégorie de personnes, risque de se faire au détriment des autres, et à terme, de porter atteinte à l’égalité des droits. Cette méthode empruntée à la tradition juridique anglo-saxonne, fondée sur le traitement des cas est peu compatible avec le système juridique français, fondé sur la notion de principes. Favoriser ainsi les lois de circonstance ne pourra que réduire finalement les droits et libertés de tous. De plus, s’il est indéniable que l’Etat doit assurer une protection aux personnes vulnérables de la société, il semble que ce principe n’a pas matière à s’appliquer en ce qui concerne l’homophobie. L’affirmation du contraire consisterait à ériger l’orientation sexuelle en composante identitaire au même titre que l’origine ethnique, la nationalité, le genre sexuel, voire la religion, et donc à segmenter la société française en communautés sexuelles, accentuant ainsi l’émergence de tendances communautaristes en France. En outre, il n’est pas démontré que l’orientation sexuelle d’une personne ou d’un groupe d’individus génère une vulnérabilité nécessitant une protection spécifique de l’Etat.
2-En deuxième lieu, la CNCDH entend rappeler son attachement à la liberté de la presse et d’opinion fondée sur la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et les textes internationaux ratifiés par la France. Elle souligne le rôle de référence pour les démocraties émergentes de la loi de 1881 et s’inquiète de ces modifications qui risquent d’en dénaturer le principe.
La CNCDH estime en effet que ce projet de loi est à contre-courant de son avis rendu le 2 mars 2000 et de la loi du 15 juin 2000 qui, dans le même esprit, supprimait les peines de prison pour les délits de presse, sauf en cas de motivations racistes.
Ce projet est également à contre-courant du mouvement qui s’est depuis développé, à l’exemple de la France et sous l’impulsion de l’Union européenne, et qui conduit des Etats, notamment africains, à se doter de législations plus respectueuses de la liberté d’expression.
Enfin ce texte est à contre-courant de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui se fonde davantage sur le principe de la liberté d’expression (affirmé dans le premier alinéa de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme) que sur les restrictions apportées à ce principe.
3- La CNCDH reconnaît la réalité et la gravité des discriminations sexistes et/ou liées à l’orientation sexuelle des personnes, mais elle estime que c’est par l’éducation, par l’information et par le débat que l’on combattra le plus efficacement l’intolérance et non en restreignant les libertés. C’est par “la libre communication des pensées et des opinions ( ) un des droits les plus précieux de l’homme” (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) et non par la répression, que la société française a progressé et continuera à progresser vers l’acceptation des différences et le respect de la dignité de chaque être humain.
Pour toutes ces raisons, la CNCDH estime que le projet de loi doit être retiré.