Face à la crise que traverse la France, garder “la tête froide” et prendre du recul est indipensable. Nous vous proposons, pour alimenter la réflexion contre le spectre du nationalisme, un texte de Jean Paul II sur le thème de la Nation.
Discours de Jean Paul II aux Nations Unis, 5 octobre 1985, extraits
[ ] Actuellement, le problème des nationalités se situe dans une perspective mondiale nouvelle, caractérisée par une forte “mobilité” qui rend les frontières ethniques et culturelles des différents peuples toujours moins nettement tracées, sous l’influence de nombreux facteurs comme les migrations, les moyens de communication sociale et la mondialisation de l’économie. Et pourtant, dans cette perspective d’universalité, nous voyons ressurgir avec force les requêtes des particularismes ethniques et culturels, presque comme une exigence impérieuse d’identité et de survie, comme une sorte de contrepoids aux tendances à l’uniformisation. C’est un fait qu’il ne faut pas sous-estimer, comme s’il ne s’agissait que d’une survivance du passé; cela demande plutôt à être analysé, dans une réflexion approfondie d’ordre anthropologique, éthique et juridique.
Cette tension entre le particulier et l’universel, en effet, peut être considérée comme immanente à l’être humain. En raison de leur communauté de nature, les hommes sont poussés à se sentir membres d’une seul grande famille, et ils le sont. Mais, à cause du caractère historique concret de cette même nature, ils sont nécessairement attachés de manière plus intense à des groupes humains particuliers, avant tout à la famille, puis aux divers groupes d’appartenance, jusqu’à l’ensemble du groupe ethnique et culturel désigné, non sans motif, par le terme de “nation” qui évoque la “naissance”, tandis que, si on l’appelle “patrie ” (“fathertand”), il évoque la réalité même de la famille. La condition humaine est ainsi placée entre ces deux pôles l’universel et le particulier -, en tension vitale entre eux, tension inévitable, mais singulièrement féconde si elle est vécue dans un équilibre paisible.
[ ] Mais, si les “droits de la nation” traduisent les exigences vitales de la “particularité”, il n’est pas moins important de souligner les exigences de l’universalité, exprimées par une conscience forte des devoirs que les nations ont à l’égard des autres et de toute l’humanité. Le premier de tous est certainement le devoir de vivre dans une disposition pacifique, respectueuse et solidaire à l’égard des autres nations. Ainsi l’exercice des droits des nations, équilibré par l’affirmation et la pratique des devoirs, entraîne un “échange de dons” fécond, qui renforce l’unité entre tous les hommes.
[ ] pendant mes pèlerinages pastoraux auprès des communautés de l’Église catholique, j’ai pu entrer en dialogue avec les nations et les cultures de toutes les parties du monde, dans leur riche diversité. Malheureusement, il faut encore que le monde apprenne à vivre dans la diversité, ainsi que l’ont douloureusement rappelé les évènements récents des Balkans et d’Afrique centrale. La réalité de la “différence” et la particularité de l'”autre” peuvent parfois être ressenties comme un poids, ou même comme une menace. Amplifiée par des ressentiments d’origine historique et exacerbée par les manipulations de personnages sans scrupules, la peur de la “différence” peut conduire à nier l’humanité même de l'”autre”; le résultat est alors que les personnes entrent dans une spirale de violence qui n’épargne personne, pas même les enfants.
[ ] Par d’amères expériences, nous savons donc que la peur de la “différence”, surtout quand elle s’exprime dans un nationalisme étroit et exclusif qui nie tout droit à l'”autre”, peut conduire véritablement à l’horreur de la violence et de la terreur. Et pourtant, si nous nous efforçons d’apprécier objectivement la réalité, nous sommes en mesure de constater que, au-delà de toutes les différences qui caractérisent les individus et les peuples, il y a entre eux une affinité fondamentale, étant donné que les diverses cultures ne sont en réalité que des manières différentes d’aborder la question du sens de l’existence personnelle. C’est justement là que nous pouvons mettre en évidence une source du respect qui est dû à toute culture et à toute nation: n’importe quelle culture est un effort de réflexion sur le mystère du monde et, en particulier, de l’homme: elle est une manière d’exprimer la dimension transcendante de la vie humaine. Le coeur de toute culture est constitué par son approche du plus grand des mystères, le mystère de Dieu.
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] Faire abstraction des diversités réelles – ou, pire encore, tenter d’abolir ces diversités -, cela revient à se priver de la possibilité de sonder la profondeur du mystère de la vie humaine. La vérité sur l’homme est le critère immuable de jugement qui s’applique aux cultures; mais toute culture a quelque chose à enseigner sur l’une ou l’autre dimension de cette vérité complexe. C’est pourquoi la “différences” que certains trouvent si menaçante, peut devenir, grâce à un dialogue respectueux, la source d’une compréhension plus profonde du mystère de l’existence humaine.
Dans cette perspective, il faut clarifier la différence essentielle qui existe entre une forme insensée de nationalisme, qui prône le mépris des autres nations ou des autres cultures, et le patriotisme, qui est au contraire l’amour légitime du pays dont on est originaire. Un véritable patriotisme ne cherche jamais à promouvoir le bien de la nation aux dépens d’autres nations. De fait, cela finirait par nuire aussi à sa propre nation, avec des effets néfastes autant pour l’agresseur que pour la victime. Le nationalisme, en particulier dans ses expressions les plus radicales, est donc contraire au patriotisme véritable, et nous devons nous efforcer aujourd’hui de faire en sorte que le nationalisme exacerbé ne continue pas à reprendre sous de nouvelles formes les aberrations du totalitarisme. Cela vaut aussi, évidemment, dans le cas où l’on prendrait comme fondement du nationalisme le principe religieux lui-même, comme malheureusement cela se produit dans certaines manifestations de ce qu’on appelle le “fondamentalisme” ( … ).
Nous ne devons pas avoir peur de l’avenir. Nous ne devons pas avoir peur de l’homme. Ce n’est pas par hasard que nous nous trouvons ici. Toute personne a été créée à “l’image et à la ressemblance” de Celui qui est à l’origine de tout ce qui existe. Nous sommes capables de sagesse et de vertu. Avec ces dons et avec l’aide de la grâce de Dieu, nous pouvons construire [ ] une vraie culture de la liberté. Nous pouvons et nous devons le faire ! Et, en le faisant, nous pourrons nous rendre compte que les larmes de ce siècle ont préparé la voie d’un nouveau printemps de l’esprit humain.
Jean Paul II,
5 octobre 1985, discours aux Nations Unis