“Noël, l’Epiphanie nous rajeunissent chaque année pour naître et grandir à Dieu : Gloria in excelsis Deo, c’est le moment de le chanter.” Une catéchèse de Mgr Le Gall
Au commencement… Les fêtes de Noël culminent dans la proclamation solennelle du Prologue de l’Evangile selon saint Jean qui nous place à l’origine et à la fin de tout : ” Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. ” (Jn 1, 1). Ce commencement nous attire tous comme notre aboutissement, car ce Verbe qui était auprès de Dieu s’est fait chair pour habiter parmi nous (14) et nous dire qui est son Père, car il est de toujours en son sein (18) : il nous révèle le Père et nous conduit à lui. La Nativité humaine de Jésus n’est en plénitude (16) une Bonne Nouvelle, un ” évangile “, que si elle est reliée dans la même personne à sa naissance éternelle dans le sein du Père comme Fils unique (14) : double naissance qui nous invite à renaître, à rajeunir pour toujours.
Avant nous, devant nous, pour nous, se découvre le mystère d’une jeunesse ou d’une enfance à laquelle nous aspirons tous : ” Tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. ” (12) Cette enfance divine, elle ne vient ni du sang ni de la chair ni de l’homme, même si elle s’inscrit en notre sang, en notre chair, mais elle vient de Dieu : nous sommes conçus par Dieu et pour Dieu. Dès les premières pages de la Bible, au début de la Genèse, quand Eve conçoit son premier enfant, Caïn, elle s’écrie : ” J’ai acquis un homme de par le Seigneur ! ” (4, 1), ce qui montre que toute conception vient de Dieu ; c’est d’ailleurs pourquoi on parle de ” procréation ” pour exprimer l’union féconde de l’homme et de la femme. Notre destin de fond est de naître pleinement de Dieu et à Dieu.
” Les adolescents se fatiguent et s’épuisent, les jeunes ne font que chanceler, écrit le prophète Isaïe que l’on relu pendant l’Avent, mais ceux qui espèrent dans le Seigneur renouvellent leur force, ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils courent sans s’épuiser, ils marchent sans se fatiguer. ” (40, 30-31) Notre jeunesse est devant nous, car nous ne sommes pas encore pleinement nés. Pour les premiers chrétiens, le martyre, parfaite ” suite ” (sequela) du Christ, était le dies natalis, le vrai ” jour de naissance “. ” Comme l’aigle se renouvelle ta jeunesse “, chante un psalmiste qui a de l’expérience et qui sait la précarité humaine (Ps 102, 5).
Oui, le mystère du Verbe-Enfant, c’est-à-dire de la Parole encore incapable de parler, nous ramène au mystère de l’enfance et nous y mène, car il est plus au-devant de nous que derrière nous. Le temps perdu de l’enfance doit devenir le temps retrouvé, pour reprendre les titres célèbres de Marcel Proust, cet analyste génial de l’âme humaine : ces retrouvailles sont signées par une joie surprenante dont il recherche les causes jusque dans ” ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. ” (A la recherche du temps perdu, Gallimard, Pléiade, 1989, t. 4, p. 610).
Le Verbe qui est à jamais dans le sein du Père, nous l’adorons à Noël porté dans ses bras par sa Mère, la Vierge Marie : double quiétude exprimée par un joyau de psaume : ” Je tiens mon âme en paix et silence ; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi. ” (Ps 130, 2) Bernanos a su donner à la vieille Prieure dans son Dialogue des Carmélites, à propos du petit pâtre qui prie en gardant ses moutons, des paroles qui sont un appel à l’enfance éternelle au terme de l’existence : ” Cette simplicité de l’âme, ce tendre abandon à la Majesté divine qui est chez lui une inspiration du moment, une grâce, et comme l’illumination du génie, nous consacrons notre vie à l’acquérir, ou à la retrouver, si nous l’avons connu, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance… Une fois sorti de l’enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit, on retrouve une autre aurore. Suis-je redevenue enfant ?… ” (uvres romanesques suivies de Dialogue des Carmélites, Gallimard, Pléiade, 1961, p. 1586)
Venu dans le monde par le mystère de sa Nativité humaine, Jésus, le Verbe fait chair, est venu prendre sur lui notre vieillissement : il est l’Agneau qui porte nos péchés par ses souffrances et sa mort ; il est aussi l’Aigle qui renouvelle notre jeunesse. Il est le Pasteur qui nous conduit aux sources de la vie, lui qui dira à la Samaritaine : ” Qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. ” (Jn 4, 14) L’eau vive, qui est aussi Fleuve de Vie (Ap 22, 1), symbolise le mystère de l’Esprit Saint, Don de l’Amour divin : Jésus et son Père nous donnent leur Esprit, qui est source authentique de jouvence.
Puisque, dans les Ecritures, les textes s’appellent les uns les autres et s’éclairent mutuellement, laissons chanter un autre psalmiste : ” Envoie ta lumière et ta vérité : elles me guideront, me mèneront à ta montagne sainte, jusqu’en tes Demeures. Et j’irai vers l’autel de Dieu, jusqu’au Dieu qui réjouit ma jeunesse. ” (Ps 43, 3-4 dans la version grecque) Le Prologue nous le révèle : Jésus est la lumière véritable qui éclaire tout homme (Jn 1, 9) ; il est aussi ” plein de grâce et de vérité ” (1, 14) comme Fils unique. En lui, nous pouvons devenir enfants de Dieu, nous réjouir dans une jeunesse qui ne se flétrira pas.
Le mystère de Noël trouve son déploiement dans celui de l’Epiphanie, ” manifestation ” ou ” apparition ” de Jésus, la Lumière du monde. Pour rester jeune, pour redevenir enfant, nous avons besoin de nous exposer longuement à cette lumière de vie et d’amour, pour la diffuser à notre tour. C’est pour cela que Jean, le disciple que Jésus aimait, nous écrit : ” Voyez quelle manifestation d’amour le Père nous a donnée, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. ” (1 Jn 3, 1-2)
Noël, l’Epiphanie nous rajeunissent chaque année pour naître et grandir à Dieu : Gloria in excelsis Deo, c’est le moment de le chanter.