Si un homme te frappe sur la joue droite, tend lui encore l’autre joue (Matthieu 5, 39). La religion chrétienne serait-elle une religion pour les faibles ? Ce qui est sûr, c’est que la force dont parle l’Évangile n’a rien à voir avec la réussite intellectuelle ou la force physique. Ce qui importe avant tout, c’est la qualité de l’être. Un extrait d’un numéro de Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens.
Histoire vraie
Dans un pays en guerre civile, il y a un village composé de deux ethnies, l’une majoritaire et l’autre moins bien représentée. Un jour des soldats de l’armée nationale presque exclusivement composée de personnes de l’ethnie majoritaire sont arrivés au village et ont commencé à séparer les villageois en deux groupes selon leur appartenance. Dans ce village tout le monde se connaît et l’on sait bien qui est qui. Mais la vie était paisible, faite de bons voisinages et de respect mutuel. Les soldats ont alors choisi dix hommes de l’ethnie minoritaire et les ont alignés contre un mur devant les villageois de l’autre ethnie rassemblés de force. Le chef de la bande armée a alors pris un villageois de ce groupe et lui a dit :
– Tu vois ces hommes alignés contre le mur, ils ne sont pas de notre groupe, tue-les, ils sont mauvais.
Le villageois répondit :
– Pourquoi devrai-je les tuer, je les connais tous. Ce sont mes voisins, je n’ai rien contre eux. Leur vie vaut autant que la mienne quelle que soit leur ethnie.
Alors le chef dit :
– Tu refuses ! Va contre le mur .
L’homme y alla, et le chef de la milice le tua avant d’exécuter les autres innocents.
Si Jésus avait vécu à notre époque, il aurait pu raconter cette histoire et demander à ceux qui l’interrogent : À ton avis, lequel de ces deux hommes a été le plus fort ?
Cette terrible histoire, par ailleurs véridique, peu importe qu’elle se soit passée en Bosnie, au Rwanda, au Cambodge ou durant la guerre d’Espagne. Elle nous apprend, que la force ou la faiblesse, être fort ou être faible, sont des mots qui n’ont pas toujours le même sens selon la manière dont on les utilise.
Disons le donc d’emblée : le message de Jésus ne peut jamais se confondre avec celui de l’exaltation de la force violente et de la brutalité. Ce rejet est radical, il mène loin. Aussi loin que cet homme qui a refusé de laisser l’idéologie de la haine briser sa conscience, aussi loin que Jésus qui n’a pas rendu le mal pour le mal.
En revanche, si l’on veut parler de la force intérieure, de la conscience droite, de la fidélité à des valeurs universelles, l’Évangile a quelque chose à dire. Ainsi peut-on être fort et vulnérable en même temps. À l’exemple de celles et ceux qui assument la vieillesse ou la maladie avec une force d’âme et une espérance en la vie soulevant l’admiration. Ceci n’est pas le propre des chrétiens, mais il en est beaucoup qui puisent dans leur foi au Christ l’énergie d’un tel combat où le mal, tout en réduisant le corps, n’écrase pas pour autant le souffle de vie, l’esprit.
Face à Dieu, pas de compétition possible
Tout dépend donc du regard que l’on porte ! Et c’est à la transformation du regard et du coeur que l’Évangile ne cesse d’appeler. Pour que ce qui paraît faible et petit aux yeux des hommes, soit regardé du point de vue de Dieu. C’est-à-dire du point de vue de l’amour. Ce renversement est au coeur de l’expérience chrétienne. Il ne cesse de gêner surtout, lorsque le système, les habitudes ou la culture dominante exaltent la réussite, la beauté, le bien-dans-sa-peau, et quelques fois à n’importe quel prix. Mais il faut le dire bien fort : on n’est pas fort en christianisme comme on est fort en maths ou en sport ! La force de l’Évangile n’a rien à voir avec l’exploit sportif. Parce que face à Dieu, il n’y a pas de compétition possible !
Allons même plus loin. Le succès ou l’échec qui normalement sanctionnent le fait d’être fort ou faible, n’a pas grand chose à voir avec la religion chrétienne. Ce qui importe du point de vue de l’Évangile de Jésus, c’est d’abord et avant tout la qualité de l’être. Et celle-ci peut se révéler aussi bien en situation d’échec que de réussite ! Le message de Jésus déchaîne des tempêtes, il avance souvent à contre courant parce qu’au fond nous n’aimons pas beaucoup entendre certains impératifs qu’il nous lance comme par exemple : aimez vos ennemis (1). Et lorsque le croyant pousse ce cri de la foi : Seigneur, prend pitié ! , il n’est ni faible, ni lâche. Il reconnaît simplement ce qu’il est dans la confiance en Dieu qui soutient et guérit. Ainsi, l’apôtre Paul peut-il s’exclamer avec audace : Car le Seigneur m’a déclaré : Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse . C’est de grand cur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ ( ) car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. (2)
Forts à la manière de Jésus
En effet la vie chrétienne, c’est-à-dire la suite de Jésus, ce que l’on appelle aussi la vie selon l’Esprit, n’est pas sans effet sur le croyant ! Il existe un terme du Nouveau Testament qui permet de dépasser les qualificatifs de fort et de faible : en grec on parlera de la parresia. La vie dans l’Esprit produit progressivement cette assurance tranquille, cette audace de la parole, cette franchise, cette affirmation de soi sereine et respectueuse des autres. Tout cela s’appelle la parresia, et signifie être fort à la manière de Jésus !
Lorsque le Christ annonce à ses disciples que la fin de son aventure sera sûrement dramatique, il le fait ouvertement avec assurance. Pierre parlant aux foules de la résurrection de Jésus, ou Pierre et Jean assumant devant le tribunal les reproches injustes qu’on leur fait, ou Appolos enseignant l’Évangile dans une synagogue ou Paul déjà assigné à résidence dans Rome mais continuant d’enseigner le message: tous(3) sont habités intérieurement de cette parresia. Cette force intérieure.
Et il y a là comme une constante dans l’histoire du Christianisme. Qu’il s’agisse de Blandine devant les lions, ou de Jeanne d’Arc devant le tribunal ecclésiastique, ou de Bernadette Soubirous rapportant les paroles de la belle Dame devant le curé de Lourdes plutôt sceptique, et qui finit par lui dire : Je suis chargée de vous l’annoncer, pas de vous convaincre ! .
Un corps qui défaille, qui tremble, mais un message qui fait mouche ! Tout est question de regard. Les uns y voient l’image affligeante d’un vieillard qui naufrage, d’autres y voient l’assurance d’un homme qui par-delà la maladie sait ce qu’il doit dire
et avec quelle audace : À vous les femmes, il revient d’être sentinelles de l’Invisible ! À vous tous frères et soeurs, je lance un appel pressant pour que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour que la vie, toute la vie, soit respectée depuis la conception jusqu’à son terme naturel
Être soi, parce qu’on vit d’un Autre
Oui, il y a un fruit de l’Esprit Saint qui rend fort, sûr de soi, mais à la manière de Jésus. Sans arrogance, sans mépris de l’autre : être soi
parce que l’on vit d’un Autre. Et il en faut de la parresia aujourd’hui pour être jeune chrétien ! Ce que disait très bien un jour un étudiant : Assumer devant les autres sa foi, ce n’est pas évident. Accepter d’agir différemment, de dire non quelques fois, et en même temps être avec les autres, sans peur
c’est un peu fatiguant tout de même
Un tel doute est bien naturel, il est au cur de la foi. Car la liberté de l’Esprit a un prix. Et pourtant l’Évangile continue de bouleverser des vies. En fait tout commence par un tel doute ! En effet, on en vient à se demander quel chemin choisir, et il devient alors possible de se décider à le prendre résolument. Être soi-même, libre et confiant, tel est le cadeau qu’offre l’existence selon l’Esprit de Jésus-Christ. Un magnifique cadeau pour aujourd’hui !
(1) Matthieu 5, 44
(2) 2 Corinthiens 12, 9-10).
(3) Marc 8, 32, Actes 2, 23, Actes 4, 13, Actes 18, 26 et Actes 28, 31.