Déclaration du président de la conférence des évêques de France, Mgr Jean-Pierre Ricard, le lundi 27 janvier 2003
Le Parlement a repris le débat sur le “projet de loi relatif à la bioéthique”. Le texte élaboré après beaucoup d’hésitations et adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale a été soumis à un examen attentif par la Commission sénatoriale qui en avait la charge. La presse a largement rendu compte des auditions publiques organisées à cette fin, et en a souligné la qualité.
Le projet de loi porte sur de multiples questions qui témoignent de la place prise par les innovations biomédicales dans notre société. A la suite du pape Jean-Paul II, nous pouvons tous reconnaître en la médecine et ses innovations, telles que les greffes de tissus et d’organes, “une forme sublime de service de l’homme” [1], dans la mesure où est gardé le souci constant de l’homme, de sa vie, de sa dignité et de sa liberté.
Il faudrait cependant se demander si aujourd’hui une place trop grande n’est pas accordée dans notre pays aux technosciences biomédicales, au détriment de l’accueil et du soin des malades chroniques, des personnes très avancées en âge ou d’autres encore atteintes d’anomalies ou de déficiences sources de handicaps. La plupart de ces personnes ont besoin d’autre chose que de traitements médicaux hautement spécialisés. Or, la grandeur d’une société peut se mesurer au souci qu’elle a de ses membres les plus vulnérables.
Au nom de la Conférence des évêques de France, j’apporte tout mon soutien à la fermeté des positions inscrites dans le projet de loi et dans la proposition du Gouvernement à l’encontre de ce qui est couramment appelé “clonage reproductif”. Dans un tel procédé, il ne s’agit plus de procréation humaine, où l’enfant qui est conçu est le fruit de l’union d’un homme et d’une femme, union dans laquelle sera fondée la relation de filiation. Le clonage est un mode de reproduction à l’identique d’une seule personne ; il produit de plus un véritable brouillage des générations et réalise une mainmise sur des éléments essentiels de l’identité d’un futur être humain. Un tel mode d’appel à l’existence et une telle prise de pouvoir sur l’identité d’autrui sont très gravement attentatoires à la dignité humaine, et témoignent d’un total manque de respect pour l’enfant qui en serait issu.
Le projet de loi aborde aussi des questions très délicates qui concernent le respect dû à l’embryon humain. En sa forme actuelle, il tend à récuser toute forme de création d’embryon en vue d’une utilisation comme matériau de recherche ou source de cellules à utilité thérapeutique. Comment ne pas s’en féliciter ? Une telle création d’embryons, que ce soit par rencontre de cellules sexuelles ou par “clonage”, réduirait en effet totalement l’embryon humain au rang de chose. Le projet de loi ne va cependant pas jusqu’au bout de cette logique, et fait place à la création d’embryons en vue d’expérimenter de nouvelles méthodes d’assistance à la procréation. On peut espérer qu’une telle disposition, si regrettable, sera rejetée par le Parlement.
En son état actuel, le projet de loi prévoit que des recherches pourront être menées sur des embryons qui auraient initialement été constitués dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. De telles recherches sont actuellement envisagées, pour mettre au point des thérapies nouvelles au bénéfice de personnes atteintes de maladies aujourd’hui incurables. L’objectif est pleinement louable. Mais se pose la question des moyens.
Dans la mesure où ces recherches lèsent les embryons ainsi utilisés au point qu’ils ne pourront ensuite qu’être rejetés, nous ne pouvons qu’y voir, là aussi, une réduction de ces embryons au rang d’objets. Or, l’embryon humain n’est pas et ne doit pas être traité comme une chose [2]. Le faire serait une grave transgression. Pour la première fois, un être humain en gestation serait légalement chosifié. La porte s’ouvrirait à de graves dérives car nous savons les pressions économiques considérables qui s’exercent sur de telles recherches.
Il est essentiel de considérer tout embryon comme appartenant à l’humanité. Le stade embryonnaire est le commencement d’une vie dont l’épanouissement, s’il n’est pas entravé, se traduira par la naissance d’un enfant.
Tout embryon est déjà un être humain. Il n’est donc pas un objet disponible pour l’homme. Il n’est pas possible de décider d’un seuil au delà duquel l’embryon serait humain et en deçà duquel il ne le serait pas. Nul n’a le pouvoir de “fixer les seuils d’humanité d’une existence singulière”[3]. Si la loi fixait d’une manière ou d’une autre un seuil d’humanité au commencement de la vie, comment cela ne conduirait-il pas à récuser l’humanité de ceux qui, à l’autre terme de la vie, auraient perdu certaines des qualités prétendument nécessaires à la reconnaissance de l’humain ?
Les bénéfices que l’on peut raisonnablement attendre des recherches envisagées sur l’embryon humain demeurent aléatoires. D’autres voies de recherche pourraient d’ailleurs être plus explorées qu’elles ne le sont actuellement. Mais, surtout, porter atteinte à l’être humain au tout début de son existence risquerait d’amener à avoir la même attitude envers les personnes qui, en raison de leur état de santé ou des déficiences entraînées par la maladie ou le vieillissement, pourraient être considérées comme ne vivant pas une “vie vraiment humaine”. Ce serait une brèche dans la reconnaissance du respect inconditionnel dû à l’humanité.
A Paris, le lundi 27 janvier 2003
1. JEAN-PAUL II, Le médecin au service de la personne, Discours du 3 octobre 1982
2 . Cf. la déclaration du Conseil permanent de la Conférence des Évêques de France du 25 juin 2001, “L’embryon humain n’est pas une chose.”
3. JEAN-PAUL II, Les aspects légaux et éthiques du Projet Génome humain, Discours du 20 novembre 1993.