Cette vieille expression lyonnaise imagée permet d’inviter à retrouver une contenance plus naturelle pour ceux qui ne savent pas trop quelle mine, gaie, triste ou déconfite, ils doivent adopter.
Un mot d’abord pour expliquer ce que sont les “bugnes” dans le parler lyonnais: il s’agit de délicieux beignets gonflés, légers et dorés, ailleurs on les nomme plus pompeusement des “merveilles” ou “guenilles”, que traditionnellement les mères de famille confectionnent pour le mardi-gras c’est à dire à la veille du mercredi des cendres qui marque l’entrée en carême.
Le carême n’est pas un temps de tristesse, bien au contraire. Il s’agit de préparer la fête de Pâques c’est à dire de la Résurrection du Christ d’entre les morts, de la victoire de la vie sur la mort. Le renouveau de la prière, l’insistance sur le partage, l’entraînement à la maîtrise de soi, tout spécialement recommandés pour le temps du carême nous invitent à la joie. Le ressurgissement printanier de la vie, végétale et animale, après la plus ou moins longue léthargie du repos hivernal ont tout naturellement accompagné ce temps liturgique pendant plus de dix siècles de chrétienté en Europe.
Dans l’hémisphère sud, où les saisons sont à l’inverse de ce qui est observé en Europe, dans la partie nord de la planète, ainsi les grandes vacances scolaires d’été commencent en décembre et finissent avec la rentrée scolaire de février. Ce symbolisme de la reprise de la végétation au printemps qui illustre le temps du carême comme préparation à la fête de Pâques et les textes poétiques qui l’expriment fonctionne à contre temps, c’est à dire à contre saison puisque chez nous, Pâques est une fête d’automne même s’il arrive aux chorales de chanter sans trop réfléchir:
“Comme le printemps sur nous se lève un jour nouveau
Comme le printemps le Christ est revenu
”. (Fiche I-13)
A y réfléchir un peu, les “pères Noël” chaudement vêtus et transpirant abondamment sous le soleil tropical que l’on voit réapparaître chaque année à l’ombre de sapins artificiels poudrés de neige également artificielle sont encore bien plus incongrus et caricaturaux. Et cet exercice de dépaysement est bien utile de remonter aux sources évangéliques au delà des expressions trop marquées par l’inculturation de la foi chrétienne dans le contexte des pays de l’Europe occidentale. Cette inculturation, légitime en elle-même, peut devenir envahissante surtout lorsque, non consciente d’elle-même, elle devient incapable de se relativiser et de faire place à d’autres inculturations pas moins légitimes qu’elle.
Reprenons donc l’invitation de Jésus telle qu’elle est rapportée dans l’Évangile de Saint Matthieu
« Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre, comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. Pour toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage, pour ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra ». Mt 6, 16-18.
Les guides spirituels vraiment qualifiés se méfient à juste titre des pénitences spectaculaires et hors du commun qui marquent une recherche de soi bien identifiée aussi par la psychologie moderne Que ce soit pour le jeûne en vue du partage avec les plus pauvres, que ce soit pour la prière afin de se mettre en présence du Seigneur, que ce soit pour les démarches de pardon et de réconciliation afin de retrouver l’unité des enfants de Dieu dispersés, toutes les démarches du carême chrétien doivent être vécue dans une atmosphère de simplicité et de joyeuse espérance sinon elles risquent de se dénaturer et de nous renfermer sur nous-même au lieu de nous ouvrir au Seigneur Ressuscité qui apporte la lumière et le salut.
Notre époque attentive aux performances sportives obtenues sans recourir au dopage et qui se veut soucieuse d’écologie peut très bien comprendre la nécessité de l’entraînement du carême pour retrouver naturellement la maîtrise de soi. Une description de l’ascèse chrétienne très explicitement référé à l’entraînement en vue des compétitions du stade est évoquée par St Paul dans la Première lettre aux Corinthiens (1Cor 9, 24-27): « Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous courent, mais un seul obtient le prix? Courez donc de manière à le remporter. Tout athlète se prive de tout; mais eux, c’est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable. Et c’est bien ainsi que je cours, moi, non à l’aventure; c’est ainsi que je fais du pugilat, sans frapper dans le vide. Je meurtris mon corps au contraire et le traîne en esclavage, de peur qu’après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois moi-même disqualifié ».
A tous, je souhaite donc un carême simple, vivifiant et plein d’espérance !