«La maternité suppose nécessairement la paternité et, réciproquement, la paternité suppose nécessairement la maternité: c’est le fruit de la dualité accordée par le Créateur à l’être humain “dès l’origine”»
[…] Le thème de la paternité, que vous avez choisi pour l’actuelle Assemblée plénière, fait référence à la troisième année de préparation au grand Jubilé [1999, ndlr], consacrée précisément au Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Il s’agit d’un thème sur lequel il convient de réfléchir, dans la mesure où aujourd’hui, la figure du père dans le domaine de la famille tend à s’atténuer, voire même à disparaître. A la lumière de la paternité de Dieu, «de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom» (Ep 3, 15), la paternité et la maternité humaines acquièrent tout leur sens, leur dignité et leur grandeur. «Tout en étant biologiquement semblables à celles d’autres êtres de la nature, la paternité et la maternité humaines ont en elles-mêmes, d’une manière essentielle et exclusive, une “ressemblance” avec Dieu, sur laquelle est fondée la famille entendue comme communauté de vie humaine, comme communauté de personnes unies dans l’amour (communio personarum)» (Gratissimam sane, n. 6).
2. Nous sentons encore vif dans notre âme l’écho de la récente célébration de la Pentecôte, qui nous conduit à proclamer avec espérance l’affirmation de saint Paul: «En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu» (Rm 8, 14). De même qu’il est l’âme de l’Eglise, (cf. Lumen gentium, n. 7), L’Esprit Saint doit être aussi celui de la famille, petite église domestique. Il doit être pour tout noyau familial un principe intérieur de vitalité et d’énergie, qui maintient toujours ardente la flamme de l’amour conjugal dans le don réciproque des conjoints.
C’est l’Esprit Saint qui nous conduit au Père céleste et qui fait jaillir de nos curs la prière confiante et joyeuse: «Abba, Père!» (Rm 8, 15; Ga 4, 6). La famille chrétienne est appelée à se distinguer en tant que milieu de prière partagée, dans laquelle, avec une liberté de fils, l’on s’adresse à Dieu en l’appelant avec le nominatif affectueux de «Notre Père!». L’Esprit Saint nous aide à découvrir le visage du Père comme modèle parfait de la paternité dans la famille.
Depuis quelques temps se répètent les attaques contre l’institution familiale. Il s’agit d’atteintes d’autant plus dangereuses et insidieuses qu’elles méconnaissent la valeur irremplaçable de la famille fondée sur le mariage. On arrive à proposer de fausses alternatives à celui-ci en en sollicitant la reconnaissance législative. Mais lorsque les lois qui devraient être au service de la famille, bien fondamental pour la société, se tournent contre elle, elles acquièrent une alarmante capacité destructrice.
Ainsi, dans certains pays, l’on veut imposer à la société ce que l’on appelle les «unions de fait», renforcées par une série d’effets légaux qui érodent le sens même de l’institution familiale. Les «unions de fait» sont caractérisées par la précarité et par l’absence d’un engagement irréversible qui engendre des droits et des devoirs et respecte la dignité de l’homme et de la femme. On veut conférer, en revanche, une valeur juridique à une volonté éloignée de toute forme de lien définitif. Avec de telles prémices, comment peut-on espérer en une procréation véritablement responsable, qui ne se limite pas à donner la vie, mais qui comprenne également l’apprentissage et l’éducation que seule la famille peut garantir dans toutes ses dimensions? De telles positions finissent par représenter un grave danger pour le sens de la paternité humaine, de la paternité dans la famille. C’est ce qui a lieu de diverses façons lorsque les familles ne sont pas bien constituées.
3. Lorsque l’Eglise expose la vérité sur le mariage et la famille, elle ne le fait pas seulement sur la base des données de la Révélation, mais également en tenant compte des postulats du droit naturel, qui sont à la base du véritable bien de la société elle-même et de ses membres. En effet, il n’est pas sans importance pour les enfants de naître et d’être éduqués dans un foyer constitué par des parents unis dans une alliance fidèle.
Il est possible d’imaginer d’autres formes de relations et de cohabitation entre les sexes, mais aucune d’elles ne constitue, malgré l’avis contraire de certains, une authentique alternative juridique au mariage, mais plutôt un affaiblissement de celui-ci. Dans les soi-disant «unions de fait», on remarque une carence plus ou moins grave d’engagement réciproque, un désir paradoxal de maintenir intacte l’autonomie de la volonté au sein d’un rapport qui devrait être relationnel. Ce qui manque dans les cohabitations en dehors du mariage, est, en somme, l’ouverture confiante à un avenir à vivre ensemble, qu’il revient à l’amour d’activer et de fonder et qui est du devoir spécifique du droit de garantir. En d’autres termes, c’est précisément le droit qui manque, non pas dans sa dimension extrinsèque de simple ensemble de normes, mais dans sa plus authentique dimension anthropologique de garantie de la coexistence humaine et de sa dignité.
En outre, lorsque les «unions de fait» revendiquent le droit à l’adoption, elles montrent clairement qu’elles ignorent le bien supérieur de l’enfant et les conditions de base qui lui sont dues pour une formation adéquate. Les «unions de fait» entre homosexuels constituent d’autre part une déplorable distorsion de ce qui devrait être une communion d’amour et de vie entre un homme et une femme, dans un don réciproque ouvert à la vie.
4. Aujourd’hui, en particulier dans les nations les plus riches sur le plan économique, se diffuse, d’une part, la peur d’être parent et, de l’autre, l’ignorance du droit qu’ont les enfants à être conçus dans le contexte d’un don hu- main total, présupposé indispensable pour leur croissance sereine et harmonieuse.
C’est ainsi qu’est affirmé un prétendu droit à la paternité-maternité à tout pris, dont on recherche la réalisation à travers des intermédiaires à caractère technique, qui comportent une série de manipulations illégales sur le plan moral.
Une autre caractéristique du contexte social dans lequel nous vivons est la propension de nombreux parents à renoncer à leur rôle pour prendre celui de simples amis de leurs enfants, s’abstenant des rappels à l’ordre et des corrections, même lorsque celles-ci seraient nécessaires pour éduquer dans la vérité, avec certes toute l’affection et la tendresse possibles. Il est donc opportun de souligner que l’éducation des enfants est un devoir sacré et une tâche solidaire des parents, que ce soit du père ou de la mère: il exige la chaleur, la proximité, le dialogue, l’exemple. Les parents sont appelés à représenter dans le foyer domestique le bon Père des cieux, unique modèle parfait dont on doit s’inspirer.
Paternité et maternité, par la volonté de Dieu-même, se placent dans un rapport de participation intime à son pouvoir créateur, et ont, par conséquent, une relation réciproque intrinsèque. J’ai écrit à ce propos dans la Lettre aux Familles: «La maternité suppose nécessairement la paternité et, réciproquement, la paternité suppose nécessairement la maternité: c’est le fruit de la dualité accordée par le Créateur à l’être humain “dès l’origine”» (Gratissimam sane, n. 7).
C’est également pour cette raison que la relation entre l’homme et la femme constitue le noyau des liens sociaux: tout en étant la source de nouveaux êtres humains, celle-ci lie étroitement entre eux les conjoints, devenus une seule chair et, à travers eux, les familles respectives.