L’espérance, ce n’est pas un truc de rêveur. C’est voir le réel avec les yeux de Dieu, être lucide et vrai sur nos vies, sans pour autant nous laisser tenter par le désespoir. Extrait du dernier numéro de Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens, un entretien avec le P. Philippe Marsset, familier de la Bible
Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens : Comment Jésus a-t-il parlé de l’espérance ?
Philippe Marsset : Les désespérances des gens à l’époque de Jésus sont du même ordre que les nôtres. Occupés par les Romains, ils attendent un messie qui les en libère rapidement. Ils vivent aussi des catastrophes : la tour de Siloé (1) par exemple qui s’effondre. De nombreuses personnes y trouvent la mort. Le monde est injuste. Leur actualité, c’est la nôtre. Jésus vient mettre de l’espérance là où il n’y en a plus et prononce pour ce monde les Béatitudes (2).
“Bienheureux les curs purs car ils verront Dieu”. Quand Jésus prononce ces paroles, il est au bord du lac de Tibériade où vit Marie de Magdala. Une femme de mauvaise vie qui va être complètement saisie par le message du Christ. Jésus n’annonce pas l’Evangile à des gens qui sont parfaits, sans problèmes et plein d’espérance ! Au contraire, il proclame les Béatitudes à des gens qui ont des difficultés, des gens pauvres, malades, dont la vie n’est pas pure ! Il pose un autre regard sur leur humanité : “Moi qui suis Jésus, fils de Dieu, je te regarde à partir de ces endroits où tu ne t’aimes pas, où tu crois que rien n’est possible”. L’espérance, c’est le regard du Christ sur nous. Et la foi est l’acceptation de ce regard. Quand Jésus regarde Marie de Magdala, il l’espère. Il la regarde sans la condamner et sans avaliser ses péchés. Et cette femme sera la première à voir Jésus Ressuscité au matin de Pâques (3). Elle sera la première à voir Dieu.
CAJC : Qu’est ce que l’espérance chrétienne ?
PM : A l’échelle humaine, nous avons des espoirs. L’espérance, elle, renvoie à Dieu lui-même. L’espérance est donc, d’une certaine manière, dépendante de la profondeur de notre foi, car elle est une promesse. Lors de sa crucifixion, Jésus est entouré de deux bandits. Il se met à dialoguer avec celui que l’on appelle le bon larron et lui dit Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis (4). Cet homme désespéré, qui a voué sa vie à voler, entre alors dans une dynamique d’espérance (et sans doute d’apaisement) parce qu’il met à ce moment sa foi en Jésus. Ce n’est pas lui qui se dit à lui-même son espoir. Son espérance, il la reçoit du Christ.
Si l’espérance est conditionnée par la foi, c’est parce qu’elle suppose un regard de foi sur un monde dur. Aujourd’hui, nous sommes saturés d’informations désespérantes. Que Dieu donne de l’espérance n’est plus du tout évident. Souffrance, mort, injustice, voilà ce qui l’est.
Le contraire de la foi, ce n’est pas l’athéisme mais le désespoir ! Tant que nous n’avons pas purifié notre rapport à Dieu, réalisé son amour et la confiance qu’il a en nous, il est difficile d’espérer. L’espérance chrétienne, c’est donc de croire que notre vie va vers Dieu et non vers le néant.
CAJC : Pourquoi ce décalage entre nos espérances et ce que nous offre Dieu ?
PM : Les juifs attendaient de Jésus qu’il les libère des Romains et il n’en a rien fait
Car il n’est pas venu pour faire notre volonté, mais pour faire celle de son Père. La vraie libération que Jésus apporte n’utilise pas les forces et les moyens humains. Elle est d’ordre spirituel. Il ne faut pas réduire notre espérance à nos espoirs humains, car ils sont souvent naïfs ou égoïstes.
Dans l’Evangile, quand on veut le faire roi, Jésus s’échappe. Ce n’est qu’à la Croix qu’il accepte qu’on inscrive sur un écriteau : “cet homme est le roi des juifs”. Le vrai lieu de sa royauté, c’est sa Croix. Et c’est dans la Croix que réside l’espérance de la résurrection. Car le royaume de Dieu ne s’incarnera jamais sur la terre. “Ma royauté n’est pas de ce monde” proclame-t-il à Pilate (5). En revanche, en donnant son message et en se donnant lui-même, il permet aux hommes de connaître le goût du bien, de l’amour et du pardon.
CALC : Mais si le salut n’est pas de ce monde, cela veut-il dire que nous n’avons aucune espérance à avoir pour le monde dans lequel nous vivons ?
PM : Au contraire ! La foi et l’espérance ne nous détournent pas du réel. Elles nous donnent la force de le regarder tel qu’il est et, malgré tout, de ne pas en désespérer. Souvent nos espoirs et nos projections sont un peu le fantasme d’un monde idéalisé, où il n’y aurait pas de pauvres et que des premiers de classe. Ce n’est pas la réalité ! La réalité, c’est le chômage, c’est la pauvreté à notre porte. C’est à l’intérieur de toute cette souffrance que nous sommes appelés à mettre de l’espérance et non pas à créer un monde artificiel.
Prenez Mère Térésa. Cette femme avait les yeux ouverts sur la souffrance du monde. Mais parce qu’elle avait l’espérance et la foi en Dieu, elle arrivait à trouver les forces pour aimer. L’un des aspects de la souffrance, c’est qu’elle tétanise parce qu’elle est partout. La tentation est grande de se dire “qu’est-ce que je peux y faire tout seul dans mon coin”. L’espérance permet de ne pas rester les bras ballants. Elle aide à relever ses manches.
En Dieu se trouvent non pas la réponse à toutes les souffrances, mais la force pour les combattre. L’espérance chrétienne c’est d’être lucide et vrai sur nos vies, sans pour autant nous laisser tenter par le désespoir. Dieu nous donne une espérance autrement plus belle, plus motivante et plus haute que la nôtre, laissée à elle-même.
CAJC : Dans la construction de l’espérance quelle place le Christ donne-t-il au prochain ?
Nous avons besoin des autres pour vivre l’espérance. Dans aimez-vous les uns, les autres , il y a espérez-vous les uns les autres ! . La vraie espérance n’est pas que pour l’au-delà, elle est aussi dans ma manière d’être avec celui qui est en face de moi. Pouvoir dire à mon prochain : Je crois en toi, tu es capable de faire autre chose, d’être différent. Ceux qui sont dans le désespoir ont besoin de personnes qui posent sur eux un regard d’espérance, qui ne les enferment pas dans leur pauvreté, dans leur suffisance ou dans leur insuffisance, des gens qui disent : Je crois en toi et je t’espère. En vérité, c’est l’autre qui donne de l’espérance. Les autres ce n’est pas l’enfer mais bien le paradis !
Pour que croisse l’espérance, il faut grandir dans la confiance en Dieu, en l’autre et en soi. Les trois sont liées.
(1) Luc 13, 4
(2) Mt. 5
(3) Jean 20, 1-2
(4) Luc 23, 43
(5) Jean 18, 36