“Pour vous, qui suis-je ?” (Matthieu 16,15) était le sujet du concours général de théologie qui a eu lieu le 1er février, une bonne occasion pour chacun d’essayer de répondre à cette question du Christ lui – même
“Pour vous, qui suis-je ?” (Matthieu 16,15)
Ami qui lis ces lignes, si tu veux répondre au mieux à cette question tu vas devoir te plonger avec délectation dans la recherche théologique ! Un conseil cependant: n’oublie pas qu’avant d’être un objet d’études, le Christ Jésus est d’abord une personne vivante, et qu’on ne peut le saisir qu’en se laissant soi-même saisir par lui. En ce sens, il n’y a sans doute pas de question plus subjective et personnelle que celle-ci.
Pour autant, n’enferme pas le mystère du Christ dans les seules limites de ta foi subjective. Écoute aussi la foi de Pierre et des apôtres. Écoute la réponse que l’Église, guidée par l’Esprit Saint, a formulée au fil des siècles, et tout spécialement au fil des cinq premiers siècles.
On imagine mal, aujourd’hui, l’extraordinaire travail “d’inculturation” qu’il a fallu à nos aînés dans la foi pour exprimer le mystère du Christ en concepts qui sonnent juste. Car enfin, comment dire en mots humains une réalité totalement inédite jusque là : la divine humanité du Christ ?
Les apôtres, qui étaient juifs, ont repris le vocabulaire dont ils disposaient, ce vocabulaire que des siècles de Révélation avaient, si l’on peut dire, “préformaté”. A la longue phrase de “l’Ancien Testament”, il manquait un verbe, et c’est en terre hébraïque que ce Verbe prit chair. Voilà pourquoi, même s’il fallut le “dilater” pour qu’il accueillît la plénitude de la Révélation, le langage biblique fut, pour la première annonce de la foi, une terre familière.
Il n’en fut plus de même lorsque l’Église”passa aux païens” : elle dut apprendre à dire le paradoxe du Christ en des mots nouveaux, des mots façonnés par une culture grecque qui n’était pas d’emblée perméable à la Révélation. Ainsi, l’expression de St Jean “et le Verbe s’est fait chair” ne résonnait pas de la même manière en terre hellénique qu’en terre hébraïque; au risque de dénaturer la foi.
Pour que les chrétiens puissent donc interpréter le même chant de foi, en tout lieu et en tout temps, sans que chacun se compose un Christ à son image, il fallut d’abord en écrire la partition. L’Église mit cinq siècles pour composer cette partition. Avec des versions successives, depuis le symbole des apôtres jusqu’à la formulation de Chalcédoine (451) en passant par le Credo de Nicée Constantinople. Pendant cinq siècles, l’Esprit Saint a peu à peu inspiré à l’Église ce qu’on pourrait appeler la symphonie de la foi. Car il s’agit bien de symphonie. “La Vérité est symphonique”(H.U.Von Balthasar) La Vérité du Christ est trop riche pour n’être chantée qu’à une seule voix, mais elle se déploie dans les multiples harmoniques de la foi professée en Église.
Malheureusement, aux voix mélodieuses des grands ténors de la foi, comme Athanase ou le pape Léon, se mêlèrent les voix discordantes des dissidents de la foi, ceux qui professaient ce qu’on appelle les hérésies. Les hérésies christologiques sont des choix unilatéraux qui déséquilibrent l’harmonie de la foi en la personne du Christ.
Ainsi, dans la symphonie de la foi, il faut tenir tout ensemble les deux harmoniques de la divinité et de l’humanité du Christ. Si je dis que Jésus est vraiment Dieu, mais qu’il n’est pas vraiment homme, ma voix va détoner dans le concert ecclésial. C’est ce qui s’est passé avec les chrétiens qui ont professé le docétisme ( = l’humanité du Christ n’est qu’une apparence). A l’inverse, si je dis que Jésus est vraiment homme mais pas vraiment Dieu, je déséquilibre tout autant l’harmonie de la foi ecclésiale. L’adoptianisme fut une hérésie de ce genre (= Jésus n’est pas le Fils éternel, mais c’est un homme qui a été adopté par Dieu à son baptême).
Dans la symphonie de la foi, il faut également faire retentir ces deux harmoniques : Jésus n’est pas le Père, mais pourtant il est égal en divinité avec le Père au point de ne plus faire qu’un avec lui. Si je dis par exemple que Jésus, en tant que Fils éternel, est bien distinct du Père (ce qui est vrai) mais qu’il n’est pas égal au Père, qu’il lui est inférieur en divinité( ce qui est faux), je fais fausser l’Église en professant l’hérésie qu’on appelle le subordinatianisme. Si à l’inverse, je dis que le Père et le Fils sont bien égaux en divinité (ce qui est vrai), mais si j’ajoute (ce qui est faux) que, finalement, Jésus et le Père ne sont qu’une même personne divine (monarchianisme) se présentant à nous sous deux modalités différentes (modalisme), de telle sorte qu’ au lieu de dire que Jésus est né, a souffert, est mort, on pourrait tout aussi bien dire que le Père est né, a souffert, est mort (patripassianisme), si j’ajoute cela, je fais fausser l’Église.
Ami qui lis ces lignes en 2003, tu pourrais te dire :” voilà des théories un peu étranges qui n’ont plus cours aujourd’hui !” N’en crois rien. Ces théories expriment en fait une tentation permanente de l’esprit : celle de vouloir réduire le mystère du Christ en le faisant entrer vaille que vaille dans les limites étroites de notre raison humaine.
A cette tentation, il n’est qu’une issue : demeurer dans le chur de l’Église et joindre sa voix à la symphonie de la foi.
Bon chant !
1- Lorsque le Fils éternel du Père entre dans notre monde, il vient vivre notre vie humaine. Mais en même temps, il reste Dieu. Si bien qu’on ne peut pas dire de lui ce qu’on dit de tout homme. Sa situation est unique et exceptionnelle. Au fond, il ne peut pas vivre complètement notre condition humaine. Bien sûr, il a une conscience humaine, mais c’est une conscience qui se surajoute à sa conscience divine. Bien sûr, il a un corps humain, mais ce n’est qu’un vêtement qui recouvre son être divin. Il est Dieu qui revêt notre humanité par dessus sa gloire divine, comme un riche endosserait un habit de pauvre par dessus ses habits rutilants. Ce ne serait qu’apparence (Docétisme)
2- Jésus est un homme exceptionnel, d’une qualité d’existence hors norme. Mais c’est d’abord un homme qui, pendant trente ans, a vécu une vie cachée à Nazareth, la vie d’un enfant, d’un adolescent, d’un adulte comme un autre. A trente ans, il a vécu une expérience spirituelle très intense, lors de son baptême par son cousin, Jean, dans le Jourdain. Dieu, à ce moment, lui a fait comprendre qu’il l’avait choisi, lui spécialement, depuis toujours, pour partager son expérience intime, pour vivre humainement la vie de Dieu, pour être dans l’humanité son visage, sa voix, ses mains, son cur.
A son baptême, Dieu a adopté Jésus comme son Fils divin. (adoptianisme)
3- Juifs et chrétiens, nous sommes tous monothéistes. Nous croyons tous qu’il n’y a qu’un seul Dieu. En professant Dieu en trois personnes, nous ne voulons absolument pas dire qu’il y a trois dieux
(trithéisme). Il n’y a qu’un seul Dieu, mais qui se manifeste sous trois modalités. (Le mot “personne”, à l’origine, désigne le masque que porte l’acteur de théâtre.)
On dit que Dieu est Père lorsqu’il crée le monde, lorsqu’il suscite son peuple Israël et qu’il prend soin de lui pendant des siècles, lui manifestant peu à peu son cur de Père.
On dit que Dieu est Fils lorsqu’il s’incarne, qu’il prend un corps humain, qu’il se manifeste sous les traits de l’homme pleinement ouvert à ses frères et à son Père, sous les traits de l’homme parfait, le Fils véritable.
On dit que Dieu est Esprit, lorsque, ayant cessé de se manifester sous forme humaine à l’Ascension, il continue à manifester sa présence permanente à l’intime de l’esprit des croyants.
Parler des trois personnes divines, c’est en fait parler des trois modes de manifestation du Dieu unique et éternel. (Modalisme)
4- C’est pourquoi, l’on peut vraiment dire que le Fils (Jésus) et le Père, c’est finalement, au fond du fond, la même personne. Prier Jésus, ou le Père, ou l’Esprit, finalement, c’est prier la même personne : Dieu. (Monarchianisme)
5- Et c’est pourquoi aussi l’on peut dire qu’à Bethléem, c’est le Père qui naît; on peut dire que sur la croix, c’est le Père qui souffre et meurt; et on peut dire qu’à Pâques, c’est le Père qui ressuscite. Puisque le Père, le Fils, l’Esprit, ce ne sont que trois noms de Dieu. (Modalisme)
6- Il n’y a qu’un seul Dieu, celui qu’on appelle le Père, car il est, de toute éternité, la source jaillissante de vie et d’amour. Il n’y a pas d’autre Dieu que lui. Il n’a ni commencement ni fin. Tout vient de lui. Tout être est tiré de son Amour. Y compris le Fils et l’Esprit.
L’Esprit et le Fils existent depuis toujours, avant la création du monde. Certes, le Fils est venu en ce monde à un moment du temps. Mais il existait auparavant dans l’éternité.
Cependant, parce qu’ils sont tirés de l’Amour du Père, le Fils et l’Esprit ne sont pas exactement au même niveau d’égalité que le Père qui est la source de leur existence. (Subordinatianisme)
7- Dieu est le seul Dieu, mais il n’est pas solitaire
De toute éternité le cur du Père est habité par un amour infini, débordant, pour une autre personne (comment appeler cette personne ? La Révélation la nomme Parole, Fils; mais aucun nom ne peut vraiment nommer celui qui est l’Autre du Père). Le Père n’est qu’élan vers ce Fils éternel. Et le Fils n’est qu’élan vers le Père. Et celui qui porte cet élan (faut-il dire “celle”, car en hébreu on le nomme d’un nom féminin : ruah ? mais Dieu n’est ni masculin, ni féminin
ni neutre), c’est une troisième personne, l’Esprit, qui habite éternellement le cur des deux premières, et qui n’est que bondissement et danse de l’Amour.
Ces trois personnes n’existent pas l’une sans l’autre : elles ne sont que relations éternelles à l’autre. Elles sont tellement unies les unes aux autres, elles sont tellement dépossédées d’elles-mêmes, elles sont tellement transparentes et totalement livrées à l’autre, qu’elles ne font qu’un seul être. Tel est l’Amour trinitaire.