En février 1999, la commission sociale des évêques de France publiait un texte intitulé “réhabiliter la politique”
Introduction
[…]
2 – Solidaires du genre humain, les chrétiens et les chrétiennes ne peuvent se détourner des réalités de ce monde engagé dans une mutation rapide et sans précédent en tous domaines. Ils participent, avec tous, à la construction continue de l’avenir de leur cité, de leur région, de leur nation, de l’Europe, de la communauté des nations et de l’humanité entière.
En France, nous vivons dans une société laïque. Cette situation n’implique nullement que la dimension religieuse et la dimension éthique soient écartées de l’espace public. Les catholiques participent comme tous les citoyens aux débats politiques. Il est légitime qu’ils prennent la parole pour défendre leurs propres convictions chrétiennes dans le respect de celles des autres.
3 – La politique est une oeuvre collective, permanente, une grande aventure humaine. Elle a des dimensions sans cesse nouvelles et élargies. Elle concerne à la fois la vie quotidienne et le destin de l’humanité à tous les niveaux. L’image qu’elle a dans notre société a besoin d’être revalorisée. Elle est une activité noble et difficile. Les hommes et les femmes qui s’y engagent, ainsi que tous ceux et celles qui veulent contribuer au ” vivre ensemble “, méritent notre encouragement.
Un regard lucide sur la réalité politique
[…]
Poursuivre le bien commun
9 – L’organisation politique existe par et pour le bien commun, lequel est plus que la somme des intérêts particuliers, individuels ou collectifs, souvent contradictoires entre eux. Il ” comprend l’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus facilement. “. Aussi doit-il être l’objet d’une recherche inlassable de ce qui sert au plus grand nombre, de ce qui permet d’améliorer la condition des plus démunis et des plus faibles. Il se doit de prendre en compte non seulement l’intérêt des générations actuelles, mais également, dans la perspective d’un développement durable, celui des générations futures.
Maîtriser la violence
10 – La violence est au cur de la condition humaine. L’un des buts de la politique est de la maîtriser partout où elle est présente : délinquances, criminalité, prises d’otages, terrorisme, injustices flagrantes, conflits d’intérêts, guerres renaissantes, menaces pour la paix intérieure ou extérieure… Afin de sortir de l’animalité de la violence brute, elle réserve à l’Etat le monopole de la contrainte physique légitime et contrôlée. Elle cherche à substituer à cette violence le droit et la parole. Elle met en place des institutions et des procédures de médiation qui préservent l’homme lui-même de ses propres dérives, en particulier en cherchant un juste équilibre entre pouvoir judiciaire et pouvoir politique, pour assurer la liberté de chaque citoyen.
Ainsi pourront vivre ensemble et se reconnaître comme êtres égaux et différents, dans la sécurité assurée, des citoyens et des citoyennes que distinguent, et souvent opposent, le sexe, l’âge, la classe sociale, l’origine, la culture, les croyances …
Le politique est en quelque sorte ” l’englobant majeur ” des différents secteurs de la vie en société : économie, vie familiale, culture, environnement. Elle est en tout, mais n’est pas tout. On tomberait vite dans un totalitarisme si l’Etat prétendait assumer la charge directe de l’ensemble des activités quotidiennes.
Valoriser la tâche politique
11 – La noblesse de l’engagement politique est indéniable. Les abus qui existent ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt de tous ceux qui, animés par le souci de la justice et de la solidarité, se dépensent pour le bien commun et conçoivent leur activité comme un service et non comme un moyen de satisfaire leur ambition personnelle. Dénoncer la corruption, ce n’est pas condamner la politique dans son ensemble, ni justifier le scepticisme et l’absentéisme à l’égard de l’action politique.
La lumière dela foi chrétienne
[…]
La foi chrétienne donne des repères
14 – Notre foi chrétienne nous donne également des repères qui éclairent notre réflexion et inspirent notre action.
§ 1 – le primat de la dignité de la personne humaine. Toute institution, toute société est au service de la promotion de l’homme, appelé à prendre la parole et à participer. ” Le sabbat est pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ” (Evangile de Marc 2,27).
§ 2 – l’attention toute particulière donnée au pauvre, au faible, à l’opprimé, vivantes images du Christ incarné : ” ce que vous faites à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites ” (Evangile de Matthieu 25, 40). C’est la grandeur de la politique de reconnaître, d’intégrer et de promouvoir les plus démunis, les exclus et d’éradiquer les conditions d’existence déshumanisantes.
§ 3 – le pouvoir conçu comme un service , non comme une domination : ” Que celui qui gouverne parmi vous se comporte comme celui qui sert ” (Evangile de Luc 22, 26)
§ 4 – le respect de l’adversaire : il a, lui aussi, sa part de vérité. L’Evangile nous invite même à aller au-delà : ” Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ; ainsi vous serez fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ” (Evangile de Matthieu 5, 44-45).
§ 5 – l’ouverture à l’universalisme, notamment par le dépassement de tout nationalisme et de tout racisme. ” Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ; mais quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l’adorent et font ce qui est juste ” (Livre des Actes des Apôtres 10, 34-35).
§ 6 – Le partage et la destination universelle des biens. ” Si quelqu’un, jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ” (Première lettre de Jean 3, 17) ? Dieu n’a-t-il pas ” destiné la terre et tout ce qu’elle renferme à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon les règles de la justice, inséparable de la charité ” ?
Vivre ensemble en démocratie
[…]
Les exigences de la démocratie
19 – La démocratie a besoin de vertu, pour les dirigeants comme pour les citoyens eux-mêmes. Elle a besoin d’une éthique qui repose sur un système de valeurs essentielles : la liberté, la justice, l’égale dignité des personnes – ce que nous appelons le respect des droits de l’homme.
Une vigilance s’impose devant certains types de fonctionnement démocratique qui semblent saper progressivement ces vertus mêmes dont la démocratie a besoin : c’est particulièrement le cas lorsque l’on estime qu’une décision est valable du seul fait qu’elle est le fruit d’un vote majoritaire .
Il est également urgent de comprendre que les droits de chacun constituent les devoirs de tous. La notion de citoyenneté, dont il est tant question aujourd’hui, ne se réduit pas au seul contrôle, à intervalles réguliers, des responsables politiques choisis au rythme d’élections successives. Chacun est porteur d’une fécondité sociale à valoriser. Passer du stade de citoyen -consommateur à celui de citoyen-acteur est un objectif majeur. La politique est l’uvre de tous. Il est vain d’attendre de la classe politique, des chefs d’entreprises, des policiers, des magistrats et des détenteurs de pouvoir … un civisme qui ne serait pas celui de l’ensemble de la population.
[…]
Source : SNOP n° 1111