Catéchèse de Mgr Brunin aux pèlerins des JMJ, le vendredi 26 juillet 2002, sur le thème : “Soyez réconciliés avec Dieu”.
« Le salut est arrivé pour cette maison le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » : Zachée a accueilli le Christ chez lui. S’il est devenu capable de changer de regard sur sa vie et décider e la conduire de façon nouvelle, c’est parce que le Christ est venu chez lui. Nul ne peut découvrir son besoin d’être sauvé si le Christ ne vient le lui révéler. L’homme qui méconnaît Dieu et Sa Parole, ne peut avoir conscience de devoir être sauvé. Nous touchons ici au mystère de l’homme, au drame de l’existence humaine qui, selon la Bible, se noue dès l’origine !
Le drame de l’homme pécheur
Dans la lumière de la foi, nous confessons un Dieu Unique, créateur du tout créé. Au sommet de la création, il y a l’humanité. Celle-ci a une unique origine dans l’acte créateur de Dieu qui l’appelle à l’existence et lui offre Son Alliance.
Dans le récit de Genèse ( chapitres 2 et 3 ), il nous est dit que le péché de l’origine, c’est le refus de consentir à Dieu et à accepter l’offre de Son Alliance. Le serpent propose à la femme de manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. En transgressant l’interdit, l’homme et la femme choisissent de décider pour eux-mêmes, par eux-mêmes. Ils cèdent à l’invitation du serpent : vous serez comme des dieux, vous déterminerez vous-mêmes, à partir de vous mêmes, ce qui est bien ou mal. Ils veulent se passer de Dieu. Le péché fondamental, c’est le refus de consentir à l’Alliance proposée par Dieu, à tenir compte de Lui pour conduire sa vie et se laisser déterminer dans l’existence. L’homme, dès l’origine, refuse que son existence soit référée à la Parole aimante d’un Autre que lui-même.
Tous, nous avons été appelés à l’existence par l’Amour de Dieu. Tous, nous advenons dans une humanité blessée dès l’origine. Tous, nous avons besoin d’être réconciliés et sauvés. Livrés à nous-mêmes, à nos seules forces intellectuelles et même morales, nous sommes des êtres clivés, écartelés. La réalité quotidienne nous fait éprouver ce que saint Paul décrit admirablement. C’est le tragique de l’homme pécheur, en attente de réconciliation :
« Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais
Je sais qu’en moi, le bien n’habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. » ( Romains 7, 15
19 ).
Le péché de l’homme est source de désordre
Le tragique de la situation de l’homme s’étend à l’ensemble du monde créé. Ici encore, laissons-nous instruire par la Parole de Dieu en Genèse qui nous introduit au mystère de notre existence humaine.
En refusant Dieu, l’homme se trouve plongé dans un désordre relationnel qui conduit finalement à la mort. La terre devient hostile et produit des mauvaises herbes, la relation entre l’homme et les animaux perd son harmonie, l’homme domine sa femme, la femme séduit son mari. De façon paradoxale, l’homme se cache, cherche à se soustraire au regard de Dieu, ami de l’homme ; il a peur de Celui qui l’a appelé à l’existence par Amour. Le péché, dès l’origine, est source de désordre et de dysharmonie. Il génère la peur, la méfiance, la jalousie et la violence.
Ce désordre relationnel évoqué par le texte de Genèse est un véritable processus de déshumanisation. Le monde prend visage de l’inhumain, et l’homme dans ce monde est en danger de déshumanisation.
Le Saint-Père, dans son exhortation apostolique « Reconciliatio et paenitentia », évoque de façon concrète un tel monde marqué par le péché.
« Certaines réalités que nous avons tous sous les yeux font apparaître le visage malheureux de la division dont elles sont le fruit, et font ressortir sa gravité indéniable dans la réalité. Parmi tant d’autres phénomènes sociaux douloureux de notre temps, on peut rappeler :
– le fait de fouler aux pieds les droits fondamentaux de la personne humaine, à commencer par le droit à la vie et à une digne qualité de vie, ce qui est d’autant plus scandaleux que l’on n’a jamais fait autant de discours sur ces mêmes droits ;
– les pièges tendus et les pressions exercées contre la liberté des individus et des groupes, sans oublier la liberté, plus atteinte même et plus menacée que d’autres, d’avoir sa propre foi, de la professer et de la pratiquer ;
– les diverses formes de discrimination : raciale, culturelle, religieuse, etc. ;
– la violence et le terrorisme ;
– l’accumulation des armes conventionnelles ou atomiques [
]
– la répartition injuste des ressources du monde et des biens de la civilisation, qui atteint son sommet dans un type d’organisation sociale où la distance entre les conditions humaines des riches et celles des pauvres s’accroît toujours davantage.»
Nous sommes souvent impressionnés par ces désordres et ces injustices qui causent tant de souffrances à l’homme et qui le défigurent. Bien des jeunes sont bouleversés devant le spectacle d’un monde complexe et dur. Mais le Saint-Père nous invite à affiner notre regard pour identifier leur racine : celle-ci se trouve dans une blessure au cur même de l’homme .
Le Christ est notre réconciliation
Toi qui es tenté de perdre cur et de désespérer devant le spectacle de ta vie qui est parfois galère, ou face à une société déshumanisante qui malmène l’homme de l’état embryonnaire au stade ultime de son existence, reçois à nouveau la Bonne Nouvelle de la fidélité de Dieu envers toi qu’Il a appelé à l’existence, comme envers tout homme et tout l’univers créé. Tu n’es pas jeté dans l’existence, fruit du hasard ou jouet d’un destin aveugle, tu es appelé à l’existence par l’Amour. Fais-en une histoire d’Alliance avec Celui qui t’appelle chaque jour à vivre, à t’ouvrir à Sa Vie et à te risquer dans la rencontre des autres. Avec eux, le Seigneur t’appelle à faire histoire. La fidélité de Dieu à Sa Parole première qui t’appelle à l’existence, ne cesse de te régénérer et de te recréer en Christ par l’Esprit qui nous est donné.
Le refus de l’Alliance et les infidélités du peuple élu [ le péché et les péchés ! ] n’ont pas eu raison de la fidélité tenace et patiente de Dieu. Nos tiédeurs, nos défections, nos refus, nos divisions, tout ce qui défigure en nous l’humanité que Dieu veut susciter, n’auront jamais raison de Sa fidélité .
« Car Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère, dit l’apôtre Paul, mais à posséder le salut par notre Seigneur Jésus-Christ, mort pour nous »
(1 Thess 5 / 9).
En Christ, la réconciliation avec Dieu et entre nous, est réalisée pleinement. L’apôtre Paul nous le rappelle encore :
« Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous qui jadis étiez loin, vous avez été rendus proches par le sang du Christ. C’est Lui, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la Croix ; là, il a tué la haine … Et c’est grâce à Lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père » Ephésiens 2, 13
18.
Désormais, pour ceux qui sont en Christ, il n’y a plus ni Juif, ni grec, ni esclave, ni homme libre, ni l’homme, ni la femme ( Gal 3 / 28 ). Cela ne signifie pas qu’il n’y ait plus de différences entre nous. Nous ne sommes pas dans l’uniformité ni l’indistinction, mais nos différences sont à resituer sans cesse dans cette unité profonde que Christ a réalisée dans Sa personne.
Se laisser visiter par le Christ
C’est l’expérience vécue par Zachée telle que l’évangéliste Luc nous la rapporte : « Zachée, aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer dans ta maison
». Et ceux qui connaissent Zachée s’enferment dans leur jugement négatif, ils se révèlent incapables de comprendre la démarche de Jésus. Ils récriminent : « Il est allé loger chez un pécheur ».
Quel visage surprenant de Dieu nous est ici révélé par Jésus : il vient chez nous, s’asseoir à notre table pour que notre vie devienne plus belle, plus juste, finalement plus humaine ! Cette parole du Christ retentit aujourd’hui, cette démarche du Christ se réalise aujourd’hui encore pour nous. Oui, Dieu visite notre humanité, il s’invite chez les hommes. Son appel retentit comme une nécessité inhérente de l’amour qu’Il porte à l’homme : « il faut que j’aille demeurer chez toi ».
« Dieu, riche en miséricorde’, ne ferme son cur à aucun de ses enfants. Il les attend, les cherche, les rejoint là où le refus de la communion les enferme dans l’isolement et la division, les appelle à se regrouper autour de sa table, dans la joie de la fête du pardon et de la réconciliation »
Nous n’avons rien d’autre à faire que de le laisser entrer dans notre vie, dans notre monde
Lui ouvrir toutes grandes les portes de notre existence, sans rien dissimuler à son regard. Face à des détracteurs qui niaient l’humanité réelle du Fils de Dieu, les pères de l’Eglise insistaient en affirmant que seul ce qui a été assumé de notre humanité par le Fils de Dieu-fait-homme, peut être sauvé. Dans la même ligne, nous pouvons dire que seul ce qui est visité par le Christ peut être réconcilié et sauvé. C’est pourquoi le Saint-Père ne cesse de répéter depuis le début de son pontificat : « Ouvrez votre porte au Christ ». Lui seul peut nous réconcilier avec le Père et avec nos frères.
La réconciliation passe par le pardon et la pénitence
La réconciliation est un don de Dieu, une initiative de Dieu qui se révèle et s’offre à nous dans le mystère du Christ Rédempteur. Son ministère de réconciliateur universel s’exerce avec puissance en notre faveur, dans tous les sacrements, et particulièrement, dans l’Eucharistie, ce sacrifice « qui nous réconcilie » comme dit la 3ème prière eucharistique, et le sacrement de pénitence et de réconciliation .
La diversité des termes employés est significative de la sollicitation de l’homme : pénitence, confession, sacrement du pardon. La pluralité de désignations de ce sacrement laisse percevoir qu’il serait insuffisant de penser que la réconciliation n’est que l’harmonie établie à nouveau par le Christ. Si la réconciliation est don de Dieu, elle requiert aussi notre participation pour la mettre en uvre dans notre vie et dans nos sociétés. Il faut nous souvenir que notre réconciliation a été obtenue par la Croix. Accueillir la réconciliation a donc toujours un aspect « crucifiant ». Comme expérience de salut, l’accueil de la réconciliation a une forme pascale. L’Esprit du Christ qui nous réconcilie, provoque aussi notre liberté, mobilise nos énergies et nos capacités pour nous régénérer, renaître, passer à une vie nouvelle, à une nouvelle manière d’exister avec nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu.
La dynamique pascale s’accueille dans le pardon reçu et offert. L’homme vraiment pardonné est celui qui consent à vivre d’une telle dynamique : « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »
« Le pardon est avant tout un choix personnel, une option du cur qui va contre l’instinct spontané de rendre le mal pour le mal. Cette option trouve son élément de comparaison dans l’amour de Dieu qui nous accueille malgré nos péchés.»
Accueillir la réconciliation comme don de Dieu, c’est aussi travailler sur soi-même pour devenir dans la société, des serviteurs de la réconciliation et du pardon.
Célébrer la réconciliation en Eglise
Pour être en capacité de répondre à cet appel, nous avons besoin de la grâce du sacrement du pardon et de la réconciliation. L’Eglise nous propose de le célébrer régulièrement. Permettez-moi de m’arrêter quelques instants sur la façon dont l’Eglise nous propose, à vous comme à moi, de le célébrer. Il n’est pas une auto-accusation devant le miroir de ma conscience, mais une reconnaissance de ce que je suis devant le Seigneur de Miséricorde qui m’offre son pardon et m’ouvre un avenir vers lequel je m’engage par une démarche de conversion. Je ne suis pas livré à ma seule parole sur moi-même. Ce serait enfermant et, à terme, pervers. La présence et le rôle du prêtre, ministre du sacrement, garantit le jeu de paroles plurielles qui se croisent et ouvrent un espace de réconciliation. Ce sont des paroles qui entrent en dialogue :
· après l’accueil mutuel, le pénitent est invité à accueillir la Parole de Dieu. C’est toujours Dieu qui est à l’initiative dans la démarche de réconciliation. Il cherche à se réconcilier le pécheur en lui insufflant le désir du pardon. Sa Parole rejoint l’homme et met en lumière ses faiblesses (les péchés) et son refus de vivre en Alliance avec Lui (le péché). Pour pouvoir me situer devant un Autre, je dois d’abord me taire et écouter. Pour mesurer l’écart qui me sépare du Père et de mes frères, il me faut accueillir cette Parole qui dit de quel amour je suis aimé !
· la parole du pénitent : ce n’est plus moi qui me regarde, mais je me laisse regarder par le Seigneur. Saisi par l’amour dont je suis aimé, je peux sans crispation ni écrasement, avouer mes manquements. Je ne dis pas ” Père, punissez-moi parce que ‘ai péché”, mais ” Père, bénissez-moi parce que j’ai péché”. A la lumière de la Parole de Dieu, j’ai mieux perçu ce qui, dans ma vie, était morne, intolérable, incompatible avec l’amour dont je suis aimé. La confession de mes péchés n’est pas un catalogue morbide, mais décline une série de perspectives de libérations que la Parole de Dieu a mises en lumière et qui sont autant de départs possibles vers l’Avenir que Dieu offre.
· vient ensuite la Parole et le signe de l’Eglise. Cette Parole est faite d’écoute fraternelle et de dialogue pour un discernement du chemin de conversion qui s’offre au pénitent.
· arrive enfin la parole sacramentelle du pardon donné par le prêtre au nom de Dieu, Père, Fils et Esprit. Dans cette absolution, Dieu ne dit qu’une seule chose : qu’Il pardonne et qu’Il se réjouit de le faire.
La réconciliation est l’horizon de la mission de l’Eglise
Célébrer ainsi le don de la réconciliation acquise et offerte en Christ est une démarche personnelle, mais jamais une démarche individuelle. Chacun doit pouvoir reconnaître grâce à la Parole de Dieu, sa part de responsabilité dans le péché qui blesse l’humanité et défigure l’Eglise, communauté des croyants. L’uvre de réconciliation doit pouvoir trouver dans chacune de nos existences, un terrain disponible et favorable. Proposer cette réconciliation est un chemin personnel de liberté, de croissance et d’humanisation.
Mais il appartient aussi à la communauté de l’Eglise, grâce à l’Esprit reçu, de devenir pour le monde, un signe et un ferment de réconciliation, de fraternité et d’unité. Ce signe de fraternité et d’unité à donner au monde est l’uvre de tous les chrétiens, dans la diversité de leurs confessions. Le service de la réconciliation de Dieu concerne l’ensemble des Eglises chrétiennes, dans leurs efforts mutuels de rencontre cuménique. La reconnaissance de la fraternité et de l’unité à laquelle nous sommes appelés, n’est pas la conséquence d’une philanthropie ni d’un vague esprit de famille, mais elle s’enracine dans la reconnaissance de l’unique baptême en Christ qui est notre réconciliation. Cela conduit les chrétiens à un approfondissement affectif et effectif de la communion par laquelle nous rejoignons le désir du Christ : « Qu’ils soient un » .
Ceux qui célèbrent le don de Dieu, l’accueillent pour eux-mêmes et pour la multitude des hommes ! Vivre en hommes et femmes réconciliés par le Christ, c’est s’efforcer d’advenir à la sainteté, comme Jean-Paul II invite souvent les jeunes, d’uvrer à l’avènement de la « civilisation de l’amour ». Lors des dernières JMJ, il vous appelait à devenir « les veilleurs du matin’ en cette aurore du nouveau millénaire » En vous approchant du sacrement de la réconciliation, reprenez conscience de la mission prophétique que vous recevez de la part du Christ. L’avenir de nos sociétés sera-t-il à la violence, à la poursuite des conflits, à l’injustice et au mépris des hommes, à la logique de la vengeance ? La réconciliation et le pardon sont nécessaires dans la vie personnelle comme dans la vie sociale et internationale. « La capacité de pardonner est à la base de tout projet d’une société à venir plus juste et plus solidaire. »
Parce que le Christ est notre réconciliation, nous sommes appelés à la mettre en uvre dans une fraternité authentique avec tout homme, créé à l’image de Dieu. Cet appel à la fraternité, il appartient à l’Eglise que nous formons de le faire entendre de manière crédible dans le monde de ce temps. Pour que tu sois un témoin crédible de la réconciliation, tourne toi vers ton frère, donne lui la main car il a sa place dans l’Eglise. Ensemble, nous sommes la main que Dieu tend à l’humanité.
1. Réconciliation et pénitence dans la mission de l’Eglise aujourd’hui, Editions du Centurion, 1984, n°2, pages 4 et 5.
2. ibid, n° 2.
3. ibid, n° 10, page 28.
4. ibid, n° 27, pages 81ss.
5. Jean-Paul II, Message pour la journée mondiale de la Paix, 1er janvier 2002, Documentation Catholique n° 2261, page 6.
6. Jean-Paul II, Ut unum sint, Lettre encyclique de 1995, n° 42 et 77.
7. Novo millennio ineunte, n° 9, in Documentation Catholique n° 2240, page72.
8. Message pour la Journée mondiale de la paix, op. cit n° 9.