Catéchèse de Mgr Carré aux pèlerins des JMJ, le vendredi 26 juillet 2002, sur le thème : “Soyez réconciliés avec Dieu”.
Nous venons de lire l’épisode de Zachée et d’y réfléchir un moment. Il est bon d’y revenir encore afin de bien comprendre ce qui nous est proposé aujourd’hui.
Quand on compare le début et la fin du récit de Zachée, on constate qu’il s’est passé quelque chose. Au début, il voulait seulement voir Jésus, en train de traverser la ville de Jéricho, et il a pris des moyens pour cela en grimpant sur un arbre. À la fin, il s’approche de Jésus et l’appelle « Seigneur ». Il lui annonce des projets bien précis (rendre ce qu’il a volé, le donner aux pauvres !). Jésus fait une déclaration à son sujet en l’appelant « Fils d’Abraham » et en disant que le salut est venu pour cette maison. Enfin, à partir de ce qui s’est passé pour Zachée, Jésus va tirer une leçon générale pour sa mission. Il s’est donc produit quelque chose d’important qui a bouleversé Zachée et a changé toute sa vie. Quoi donc ? La rencontre de Jésus et le fait que Jésus soit allé le chercher et lui ait parlé.
Reprenons le récit. Jésus est en route vers Jérusalem. Il va s’arrêter à Jéricho, non pour retarder le moment de son entrée à Jérusalem, mais pour manifester ce qu’est le sens de sa mission : offrir le salut, réconcilier les hommes avec Dieu. C’était déjà l’objet de sa rencontre avec l’aveugle. Ici, Jésus ne fait pas dans le détail : il vient choisir dans Jéricho celui qui est le pire ! Un pécheur public, mis au ban de la société. C’est donc bien une question de salut ou de perdition ! Si Jésus est venu pour sauver ce qui était perdu, voilà un test !
À vrai dire, Zachée n’est pas heureux au plus profond de lui-même. Son argent, sa situation ne suffisent pas à remplir sa vie. Il cherche à voir Jésus. On n’en sait pas les motifs. Mais le fait de chercher montre bien qu’il n’est pas satisfait de tout, qu’il désire autre chose. Il prend les moyens nécessaires pour voir Jésus, quitte à se couvrir de ridicule ! Mais, c’est bien là qu’il découvre la manière de faire de Dieu en Jésus, en fait c’est Dieu qui le cherche. Jésus s’arrête au pied de l’arbre, le regarde et lui parle en l’appelant par son nom : « Zachée ». Deux attentes, deux projets, deux recherches, deux désirs se sont rejoints. Mais nous voyons bien que, sans la manière de faire de Jésus, rien ne serait arrivé. Zachée aurait vu passer Jésus au milieu de la foule et il serait revenu chez lui sans que rien ne soit changé.
La réconciliation ne se passe pas dans un futur lointain ! Par deux fois, Jésus emploie l’adverbe « aujourd’hui » : c’est aujourd’hui, c’est tout de suite que Jésus veut demeurer chez lui et que le salut va le rejoindre. D’ailleurs, les choses ne traînent pas : Zachée n’exprime pas de sentiments particuliers. Sa conversion s’exprime en actes qui se rapportent étroitement à son comportement passé : je donne
je rends quatre fois plus
Le texte d’Evangile ne dit pas ce que Zachée a vraiment fait. La suite, c’est à nous de l’imaginer, c’est aussi à nous de la créer par nos propres vies.
Il faut encore noter que Jésus ne s’est pas adressé à Zachée en lui disant : « si tu te convertis, je viens chez toi ! » Ou bien encore en lui faisant la morale : « Tu es un grand voleur, mais je viens t’inviter à changer de vie
» Il suffit que Jésus l’appelle et lui dise qu’il vient chez lui pour que tout change. Zachée voulait voir Jésus. Maintenant, Jésus vient chez lui : cela fait tout basculer en lui.
Je crois que c’est ici le point crucial pour chacun de nous. Quelle est notre rencontre du Christ en ces jours ? Le péché le plus grave, c’est la rupture avec Dieu et c’est le refus délibéré des autres qui conduit à leur faire du mal : on blesse Dieu qui est en l’autre, dont l’autre est une image. Le péché, c’est se replier sur soi-même, c’est vouloir tout garder pour soi, ne pas entrer dans le mouvement du don que Dieu fait. Zachée avait accumulé pour lui, il avait extorqué aux autres tout ce qu’il pouvait et il était riche ! Jésus vient par surprise s’inviter gratuitement chez lui, lui faire percevoir ce qu’est vraiment le don de Dieu qu’est toute vie qui se tourne vers les autres, qui les regarde, les accueille comme des frères. C’est par là souvent que Dieu fait une brèche en nous. Il y a d’autres entrées aussi par le choc d’une souffrance qui vient renverser une vie qui paraissait tracée d’avance. Il y a encore parfois une expérience spirituelle forte : celle d’une présence, d’un amour qui me fait exister et me tient dans sa main.
À chaque fois qu’une vraie rencontre de Dieu se passe, elle suscite une réaction chez l’être humain : qui suis-je devant toi pour que tu t’intéresses à moi ? Et elle fait prendre conscience de l’écart qui existe entre Dieu et moi. Mais au lieu de se décourager, voire de désespérer, cette expérience fait percevoir que Dieu vient à moi pour me réconcilier avec lui, pour me dire que je vaux bien plus que le mal que j’ai fait. Je peux alors me regarder en vérité devant Dieu, non pas avec une sorte de mépris ou de masochisme, mais humblement et avec la conscience d’être aimé tel que je suis et ne pas seulement être aimé pour ce que je peux faire de bien.
Le titre de cette journée : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu », est donc à prendre au complet, tel qu’il est. C’est Dieu tel que Jésus nous l’a fait connaître qui vient à nous. Non pas le Dieu autoritaire ou méchant qui est prêt à verbaliser toutes mes imperfections, non pas le Dieu qui est l’idéal que je me fais, l’idéal de ce que je voudrais être, mais le Dieu-Père, celui qui est la source de toute vie dont Jésus est venu donner le pardon.
Il nous reste donc à nous laisser faire par Dieu, à ne pas nous dérober au pardon qu’il nous propose et qui vient nous renouveler. Dieu est là, à mes côtés, ne nous dérobons pas
Il reste encore à voir la dernière scène du passage évangélique de Zachée. Elle rapporte les réactions négatives des témoins de l’échange entre Jésus et Zachée. Ils « murmurent », terme biblique classique pour exprimer un profond mécontentement devant un comportement que l’on trouve scandaleux et laxiste. En faisant ainsi, Jésus ne cautionne-t-il pas les manières de faire de cet homme qui est un grand voleur ? Jésus ne va pas se justifier longuement. Il présente simplement sa mission : elle consiste à chercher ce qui est perdu. Désormais Zachée est pardonné, il est libre pour entrer dans une nouvelle vie. Il est déclaré publiquement « Fils d’Abraham ». Sans doute restera-t-il à Jéricho pour continuer à être publicain. Il exercera certainement son métier autrement, mais c’est son secret
Je constate à la fin de ce passage que rien n’est dit sur l’attitude de la foule après les dernières paroles de Jésus. Se sont-ils laissés toucher, se sont-ils laissés réconcilier ? Ont-ils eu un autre regard sur Zachée ou en sont-ils restés aux mêmes images ?
Après avoir longuement contemplé cet épisode biblique une double attitude nous est proposée maintenant :
ü Vivre aujourd’hui un temps de réconciliation avec Dieu et les autres. Nous laisser toucher par le pardon de Dieu que les prêtres ici peuvent nous donner. Ce pardon est comme la guérison de nos blessures. Il nous faut les présenter avec confiance, en nous sachant aimés tel que nous sommes et en nous sachant appelés à une plus grande amitié avec Dieu. Nous présenterons ainsi nos fautes en les regrettant, recevrons le pardon, et aurons comme Zachée à chercher comment changer quelque chose de notre comportement, pour être plus logiques avec le pardon reçu aujourd’hui.
ü Chercher à devenir à notre tour des instruments de réconciliation et de paix dans notre monde, comme le Pape y invite dans sa lettre aux jeunes. Le pardon reçu met en nous une dynamique nouvelle : il aspire à devenir pardon donné aux autres.
Bien sûr, comme l’a souligné le Pape dans son message du 1er janvier – Journée mondiale de la Paix – vivre le pardon n’est pas facile. Il dit même : « Le pardon comporte toujours, à court terme, une perte apparente, tandis qu’à long terme, il assure un gain réel. La violence est exactement le contraire : elle opte pour un gain à brève échéance, mais se prépare pour l’avenir lointain une perte réelle et permanente. Le pardon pourrait sembler une faiblesse ; en réalité, aussi bien pour l’accorder que pour le recevoir, il faut une grande force spirituelle et un courage moral à toute épreuve. Loin de diminuer la personne, le pardon l’amène à une humanité plus profonde et plus riche, il le rend capable de refléter en elle un rayon de la splendeur du créateur ».
Tout est dit en peu de mots ! Il reste à l’entendre et à le faire descendre en nous. Le vivre à notre échelle est important. Bien sûr, on pourrait dire que ce n’est rien face aux grands défis du monde que sont la guerre entre les peuples, le terrorisme international, les injustices économiques et sociales, la torture et tant d’autres violences et maux qui écrasent des personnes, des groupes humains et des peuples
On pourrait se sentir dépassé, écrasé et être tenté de ne rechercher qu’un petit bonheur avec ses proches, dans une vie tranquille, en ignorant les drames du monde.
Jésus nous offre son pardon pour que nous le vivions. La force du pardon est telle que de petits actes dans la vie quotidienne créent peu à peu un climat nouveau, tissent et construisent une nouvelle manière d’être en société et redonnent de l’espérance. Ainsi, sel de la terre et lumière du monde, nous laissons passer en nous et par nous la présence d’amour du Christ, seule capable de créer un monde nouveau.