Voici donc une troisième journée de catéchèse, cette dernière catéchèse étant consacrée à la réconciliation. Après avoir réfléchi successivement sur les paroles de Jésus : « vous êtes le sel de la terre » « vous êtes la lumière du monde », ce matin, nous nous appuierons sur la parole de l’apôtre St Paul aux chrétiens de Corinthe : « Laissez-vous réconcilier ».
Mais tout d’abord, n’est-ce pas un peu bizarre, un peu surajouté, de prendre pour thème de réflexion : la réconciliation ? Quel est le lien, quel est le rapport entre les deux premières catéchèses et celle-ci ? Personnellement, le lien m’apparaît évident. En effet, comment être le sel, autrement dit comment être quelqu’un qui donne du goût à la vie, quelqu’un qui a le goût de Dieu et le donne autour de lui, à la manière des saints ? Comment être cette lumière à la manière de Jésus, une lumière qui réchauffe et qui brille dans le monde tel qu’il est, si l’on est coupé de la source qu’est le Christ ? si l’on n’est pas relié en permanence à Celui par qui justement on peut donner du goût et apporter de la lumière ?
La réconciliation est à la fois un sujet vaste et profondément humain. Déjà, ce matin, grâce aux partages que vous venez d’avoir à partir du récit évangélique de Zachée, vous vous êtes préparés à accueillir cette catéchèse.
J’aborderai la question sous trois angles différents :
1. Une réconciliation attendue. La réconciliation est une aspiration extrêmement forte inscrite au coeur de l’humanité, une aspiration qui vient rencontrer ce qui fait le coeur du message chrétien.
2. Une réconciliation reçue. La réconciliation est un don de Dieu fait à l’homme pour renouer l’Alliance avec lui. Elle est accueillie et offerte à chacun, en Eglise, particulièrement par le sacrement du pardon.
3. Une réconciliation vécue. Le travail de réconciliation n’est jamais achevé. Il est à accomplir, jour après jour, en des gestes et des paroles qui font confiance, espèrent, guérissent, des gestes qui relient les hommes entre eux et avec Dieu.
Une réconciliation attendue.
Se réconcilier est une aspiration forte au coeur de l’homme. C’est un besoin comme celui de respirer à plein poumon et cela, dans toutes les dimensions de la vie : ainsi on peut parler de se réconcilier avec soi-même, avec les autres, avec le monde, avec Dieu.
Il y a quelques années, j’ai lu un livre qui avait retenu mon attention, un livre écrit par une psychologue analyste Marie de Hennezel, intitulé : « La mort intime ». C’est le récit de son travail dans une unité de soins palliatifs, auprès de gens qui sont au bout de leurs souffrances, au bout d’une vie mais qui sont accueillis jusqu’au bout comme des personnes à part entière. Or, ce qui frappe précisément, chez ceux qui vont mourir de pouvoir, avant de partir, c’est le désir incroyable de se réconcilier avec eux-mêmes, avec leur vie, avec leur entourage. Telle cette femme Dominique, devenue très agressive et qui réclamait la mort à son médecin. « Plus personne ne me rattache à la vie, non, mais il y a tant de choses non réglées ! » Et voilà que cette femme, accueillie dans sa souffrance, écoutée pour elle-même, se met à faire le récit de sa vie, entre dans l’enchevêtrement des déceptions amoureuses, des trahisons, des tentatives de rester intègre au milieu de ce qu’elle juge la médiocrité. Elle confie sa souffrance intime de n’avoir pu empêcher son compagnon de vie de sombrer dans la folie. Bref, une vie poignante qu’elle ramasse ainsi morceau par morceau devant Marie de Hennezel, avec un ultime souci : trouver le fil qui les relie et leur donne sens. A la fin, son visage s’est éclairé, en disant : « Eh bien tout cela, c’est moi, dit-elle, c’est ma vie ! » Et dans le silence qui a suivi, il n’y a plus eu ni plainte ni inconfort. Un petit sourire de jubilation sur le visage, Dominique s’est endormie.
Trouver le fil qui relie, chercher à unifier sa vie, lui donner sens, n’est ce pas le désir fort qui anime chacun de nous ? Nous avons tous besoin de réconciliation comme d’eau pour survivre. Certains d’entre nous peuvent faire l’expérience d’un conflit au plus profond d’eux-mêmes qui les empoisonne. Pour se réconcilier avec Dieu et les autres, ils auraient besoin de se réconcilier avec eux-mêmes. Ce serait leur salut de commencer par s’accepter comme ils sont et de s’aimer eux-mêmes. D’autres, des jeunes en particulier, souffrent de n’être pas reconnus pour ce qu’ils sont, de n’être pas aimés, appréciés, estimés par leur propre famille. Les nombreux suicides de jeunes, les violences exercées par beaucoup dans les banlieues de nos villes, ne sont-ils pas autant d’appels au secours pour qu’on leur prête attention et qu’on les reconnaisse dans ce qu’ils ont d’unique ? C’est donc comme en creux ou en négatif que s’exprime le plus souvent cette attente de réconciliation au coeur de l’homme.
On peut faire la même remarque, non plus à un plan personnel cette fois-ci, mais à un plan plus large. dans les relations entre groupes humains ou entre nations. Car, ce que nous voyons en premier, ce sont surtout les conflits, les divisions, les oppositions, les rancoeurs, les vengeances. Après les conflits familiaux avec les absences de dialogue, les incompréhensions mutuelles, les violences, l’incapacité à pardonner / après les conflits de génération où le courant ne passe plus / après les conflits professionnels et sociaux où les oppositions sont exacerbés, nous connaissons les terribles effets des conflits internationaux. Aujourd’hui, nous connaissons la guerre du Proche-Orient, les guerres civiles en Amérique latine, les conflits raciaux en Afrique.
Curieusement ou heureusement, cette attente de réconciliation dans le coeur de l’homme rencontre le message de l’Evangile qui est un geste de réconciliation de la part de Dieu. D’ailleurs, la phrase qui nous sert de référence aujourd’hui : « Laissez-vous réconcilier », extraite d’une lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens, nous révèle que la réconciliation est au coeur de la Bonne nouvelle de l’Evangile. Ecoutons plutôt : « Tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. Car, de toutes façons, c’était Dieu qui en Christ réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation. C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, et par nous, c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu ». 2 Cor. 5, 18-20
Ce que nous dit l’apôtre dans ce texte, n’est-ce pas très exactement ce que vous avez vous-mêmes découvert dans le récit évangélique de Zachée ? Lui, le chef des collecteurs d’impôt, haï par la population, ridiculisé certainement à cause de sa petite taille, en voulant voir passer Jésus, manifeste ainsi un désir, plus ou moins confus peut-être, plus ou moins mêlé de curiosité, mais désir cependant d’autre chose, désir d’ouverture, désir de reconnaissance, désir d’être aimé. Et avant même qu’il ait eu la possibilité d’exprimer son désir, Zachée est rencontré par l’initiative spontanée, gratuite, sans calcul de Jésus : « Zachée, descends vite ; aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer dans ta maison ». Dans ce geste, nous avons tout Jésus. Son geste résume ce pour quoi il est venu parmi les hommes, révèle ce qu’il est en fidélité à la volonté de son Père qui l’envoie.
Avez-vous remarqué ce fait étonnant que, dès le début de sa vie publique, Jésus se rend comme d’instinct sur les rives du Jourdain, là où Jean baptise, vers une foule de gens qui sont en attente d’une vie autre, d’une nouvelle vie. C’est là qu’il se trouve à sa place quand il veut répondre à ce que le Père attend de lui, à tout ce dont l’humanité a besoin pour être capable d’accueillir l’amour de Dieu et de lui répondre. Mais Jésus va beaucoup plus loin que Jean-Baptiste. Non seulement il accueille les pécheurs mais il va au devant d’eux, non seulement il leur ouvre une voie mais il partage leur existence, il s’assied à leur table. « Zachée, il faut que j’aille demeurer dans ta maison ». Cette familiarité fait scandale : « Pourquoi mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » La réponse de Jésus fournit exactement la raison de son attitude : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs ». Vivre avec les pécheurs n’est pas dans sa vie un moment parmi d’autres, plus ou moins long, plus ou moins important. C’est sa mission même, ce qu’il est venu faire parmi nous, c’est sa vraie place dans le monde. Dans ce geste, se révèle sa passion de sauver, de donner vie, de réconcilier les hommes entre eux et avec Dieu son Père.
Sa mission, Jésus va la mener jusqu’au bout. Il l’accomplit pleinement et définitivement sur la croix. Victime innocente, loin de crier vengeance, il implore le pardon du Père pour le brigand, son voisin d’infortune « Aujourd’hui même, tu seras en paradis » et pour tous les hommes qui, laissés à leurs seules forces, ne peuvent se pardonner eux-mêmes : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’il font ». La croix de Jésus signe toute sa vie. C’est ce que nous explique l’apôtre Paul, une fois encore, dans un texte très dense, dans la lettre aux Ephésiens : « C’est lui, le Christ, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. Il a voulu ainsi à partir du Juif et du païen, créer un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier en un seul corps, au moyen de la croix ; là, il a tué la haine Et c’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père. » Eph. 2 13-18.
Une réconciliation reçue.
La réconciliation taraude le coeur de l’homme. Sans réconciliation, avec soi-même, avec les autres, avec Dieu, le monde est invivable, nous étouffons. Par toute sa vie, sa passion et sa mort sur la croix, Jésus nous a révélé le projet de Dieu depuis toujours : réconcilier les hommes avec lui et entre eux. Sa résurrection est force de pardon et de réconciliation. Même si nous aspirons à la réconciliation, nous ne pouvons nous la donner à nous-mêmes et la réaliser par nos seules forces. Désormais, c’est par son Corps qui est l’Eglise que nous la recevons. Car si l’Eglise est ce ramassis de gens faibles, ordinaires, elle est ce peuple de pécheurs pardonnés, réconciliés par le sang du Christ, ce peuple à qui Jésus a confié le ministère de la réconciliation. Sur les chantiers de la réconciliation, elle propose le pardon. C’est sa spécialité, le signe particulier inscrit sur sa carte d’identité, son obsession. Elle pardonne parce qu’elle est pardonnée, invitant chacun de ses membres à faire de même.
Le pardon, c’est le premier souvenir de l’Eglise, gravé au plus profond de sa mémoire, à la première page de son histoire. A la fidélité de ce souvenir tient toute l’assurance de l’Eglise. Or dans la grande chaîne que représente l’histoire de l’Eglise, le maillon le plus faible est le premier, l’apôtre Pierre, maillon si fragile qu’il a lâché piteusement. Le plus exposé, il avait craqué mais il a été relevé par le pardon de Jésus. C’est la lâcheté de Pierre pardonné qui deviendra le roc sur lequel l’Eglise sera construite. Quant à celui qui devait porter l’Evangile aux païens, Paul, c’était un pharisien, persécuteur des compagnons de Jésus de Nazareth : lui aussi, un homme pardonné, qui avait connu la nouvelle naissance, par miséricorde, dans les eaux du baptême. Oui, nous sommes l’Eglise du pardon, l’Eglise qui fait mémoire du pardon, parce qu’elle est fondée sur le pardon, l’Eglise qui ne cesse, au nom de Dieu, d’inviter au pardon, et de le donner au nom du Christ.
L’Eglise donne ce pardon au nom du Christ à travers ce que nous appelons la confession ou le sacrement de pénitence, ou encore le sacrement de réconciliation. Peu importe les mots, dès lors que nous comprenons que c’est un sacrement, c’est à dire un geste de Jésus ressuscité par lequel m’est donné personnellement le pardon de Dieu. Et ici, rappelons que le premier sacrement de la renaissance et de la conversion, c’est le baptême. « Je crois en un seul baptême pour le pardon des péchés » disons-nous dans le symbole de la foi. Mais le chemin est tortueux, il faut durer dans notre fidélité au Christ et dans notre vie à sa suite. D’où le sacrement de réconciliation qui nous remet en alliance avec Dieu et nous réintroduit en communion et en solidarité avec nos frères. Sacrement que, dans l’Eglise primitive, on qualifiait de second baptême.
Peut-être avez-vous déjà fait cette démarche ou vous préparez-vous à la vivre aujourd’hui ? En tous cas, et avant toute autre chose, il nous faut aborder cette démarche comme celle au cours de laquelle nous rencontrons Dieu notre Père pour nous en remettre tout entiers à son coeur de tendresse et de miséricorde, comme l’enfant prodigue de la parabole dans l’Evangile. Car c’est cela qui importe d’abord quand nous faisons une telle démarche : croire en la miséricorde de Dieu, confesser qu’il est un Père qui nous accueille sans condition. Constamment, il a pitié et il pardonne. Voilà ce dont nous devons être absolument assurés du côté de Dieu. On ne se confesse pas pour devenir meilleur, parce qu’alors on demeurerait prisonnier de nous-même à la recherche d’une image idéale de nous-mêmes. Au lieu de se crisper sur son passé à effacer ou à blanchir, il faut apprendre à passer entre les mains de Dieu, à se laisser accueillir par Lui tel qu’on est, avec son péché à présenter à Lui alors que peut-être on ne se trouve pas présentable. Tel est sans soute l’un des sommets de la foi : croire à Dieu, désarmant de miséricorde envers nous. C’est ce qu’on appelle la « confession de louange ». Car, nul ne peut se reconnaître pécheur devant le Dieu vivant de Jésus-Christ sans confesser d’abord sa miséricorde qui pardonne.
De notre côté à nous, je préciserais trois conditions fondamentales pour recevoir le pardon :
– Première condition : que le mal, la faute soient appelés par leur nom, qu’ils soient reconnus pour ce qu’ils sont. C’est l’examen de conscience. Il me faut reconnaître le péché pour ce qu’il est, médiocre, s’il est quelconque et banal, grave s’il est grave. Car, pécher, c’est pécher contre Dieu, même si le geste a d’abord atteint des hommes. Blesser les autres ou soi-même, c’est blesser Dieu. Vous connaissez l’histoire de David qui a commis l’adultère avec Bethsabée, la femme d’Urie son ami. Profitant de l’absence d’un de ses vieux compagnons de combats, le roi fait venir, Bethsabée dans son lit. Pour dissimuler sa faute, il rappelle le mari à Jérusalem, puis fait monter une embuscade dans laquelle celui-ci est tué. David peut se croire tranquille. Mais le prophète Nathan vient trouver David. Il invente une histoire : « Il y avait deux hommes un riche et un pauvre Le pauvre ne possédait qu’une richesse, une petite brebis Pour économiser une dépense minime, le riche est allé voler le trésor du pauvre ». Indignation du Roi : « Cet homme mérite la mort ». Or lui dit le prophète : « Cet homme, c’est toi ». David prend alors conscience que par son péché, c’est Dieu lui-même qui est blessé. « Pitié pour moi, Seigneur en ta bonté, car j’ai péché contre toi ». Donc, reconnaître son péché, en se redisant qu’on ne pèche pas contre une loi ou contre une morale. On ne pèche que contre des personnes. Un chrétien est fils du Père, frère ou sur de Jésus, et de tous les hommes. Alors, demandons-nous : « qu’avons-nous été, que sommes-nous à l’égard de ces personnes » ? Le meilleur moyen de le découvrir est de nous mettre en face de Jésus, Fils bien-aimé du Père et modèle de tous les fils, frère incomparable des hommes. Lui seul nous révèle ce que nous devons être envers le Père, envers chaque homme, envers la société.
– Deuxième condition, que nous demandions explicitement pardon, non seulement dire « c’est un péché » mais « c’est moi qui ai péché »,. Autrement dit, il me faut assumer la paternité de mon acte et faire connaître mon désir d’en être délivré : c’est l’aveu. Avouer est souvent chose difficile et pénible. Mais avouer, c’est ôter les masques qui m’enferment et qui me font toujours paraître un autre que ce que je suis vraiment. C’est librement, devant Dieu et devant l’Eglise (par la présence du prêtre) me révéler tel que je suis, non pour m’accuser ou m’excuser mais parce que je sais que je serai tendrement accepté et aimé par le Père, avec mes faiblesses et mes péchés. Les Pères de l’Eglise insiste continuellement sur ce point : « Ne fais pas comme Adam et Eve qui s’excusent ». Adam rejette la responsabilité sur Eve et Eve sur le Serpent. Les enfants agissent ainsi. Précisément parce qu’ils sont des enfants. La marque d’un adulte, c’est qu’il ne rejette la faute sur personne. Si je tente de m’excuser, j’accuse autrui, ou autre chose, je cherche un alibi. L’aveu est donc un acte libre qui m’implique personnellement et entièrement.
– Troisième condition : que le repentir corresponde à un changement réel, sincère et profond, pas un changement de masque mais un changement de vie, une vraie contrition. Mais de cette troisième condition, je fais mon troisième point : une réconciliation attendue, une réconciliation reçue une réconciliation vécue.
Une réconciliation vécue.
Accueillir le pardon suppose un changement réel, une nouvelle orientation de vie, une relation nouvelle aux autres. Vous connaissez cette phrase de St Jean : « Si quelqu’un dit « j’aime Dieu et qu’il haïsse son frère c’est un menteur ». Ce changement, cette nouvelle orientation de vie, cette nouvelle relation aux autres, c’est très exactement ce à quoi s’engage Zachée dans le récit de l’Evangile que vous avez médité : « Zachée, s’avançant, dit au Seigneur : « Eh bien, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait du tort à quelqu’un je lui rends le quadruple ».
Parce que nous avons bénéficié de la miséricorde de Dieu qui est Amour, parce que nous vivons sans cesse sous son regard miséricordieux, il nous faut nous aussi faire oeuvre de miséricorde et de pardon, il nous faut être à notre tour des artisans de réconciliation.
Dans un très beau texte pour la journée mondiale de la paix, le pape Jean-Paul II nous dit l’importance d’être des artisans du pardon aujourd’hui. « Le pardon est avant tout un choix, une option du coeur qui va contre l’instinct spontané de rendre le mal pour le mal. Cette option trouve son élément de comparaison dans l’amour de Dieu qui nous accueille malgré nos péchés, et son modèle suprême est le pardon du Christ qui a prié ainsi sur la Croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Le pape fait remarquer très justement que déjà au plan humain on peut comprendre la valeur du pardon quand on commet le mal. « L’être humain se rend compte alors de sa fragilité et il désire que les autres soient indulgents avec lui. Tout être humain nourrit en lui-même l’espérance de pouvoir recommencer une période de sa vie, et de ne pas demeurer à jamais prisonnier de ses erreurs et de ses fautes. Il rêve de pouvoir lever les yeux vers l’avenir, pour découvrir qu’il a encore la possibilité de faire confiance et de s’engager ».
Au paragraphe suivant, le pape attire notre attention sur le fait que si le pardon relève d’une initiative de la personne, il ne faut pas oublier que toute personne a une dimension sociale « qui fait qu’elle tisse un réseau de relations où elle exprime ce qu’elle est, non seulement dans le bien mais aussi malheureusement dans le mal. De ce fait, le pardon devient nécessaire également au niveau social. Les familles, les groupes, les Etats, la Communauté internationale elle-même, ont besoin de s’ouvrir au pardon pour renouer les liens rompus, pour dépasser les situations stériles de condamnations réciproques, pour vaincre la tentation d’exclure les autres en leur refusant toute possibilité d’appel. La capacité de pardonner est à la base de tout projet d’une société à venir plus juste et plus solidaire
Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon
La proposition du pardon n’est pas une chose que l’on admet comme une évidence ou que l’on accepte facilement ; par certains aspects, c’est un message paradoxal. En effet, le pardon comporte toujours, à court terme, une perte apparente, tandis qu’à long terme, il assure un gain réel. La violence est exactement le contraire : elle opte pour un gain à brève échéance, mais se prépare pour l’avenir lointain une perte réelle et permanente. Loin de diminuer la personne, le pardon l’amène à une humanité plus profonde et plus riche, il la rend capable de refléter en elle un rayon de la splendeur du Créateur ».
Travailler à la réconciliation est une oeuvre profondément humaine dans le même temps où elle est une exigence inscrite au coeur de la foi chrétienne. « Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, nous dit Jésus, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens n’en font-ils pas autant ? Vous, aimez mêmes vos ennemis ». Que faites-vous d’extraordinaire ? Voilà notre question, mais, il faut bien l’avouer, les défis, aujourd’hui sont immenses. Contentons-nous de rappeler ceux que le pape indique à l’Eglise dans son document « A l’aube du troisième millénaire ». Ils sont autant de chantiers où nous sommes attendus.
– l’engagement oecuménique : « la réalité des divisions se déploie sur le terrain de l’histoire, dans les relations entre les fils de l’Eglise ; c’est une conséquence de la fragilité humaine dans la façon d’accueillir le don qui provient continuellement du Christ Tête dans son Corps mystique ».
– le pari de la charité, dans l’engagement d’un amour actif et concret envers tout être humain. « Est-il possible que dans notre temps il y ait encore des personnes qui meurent de faim, qui restent condamnées à l’analphabétisme, qui manquent des soins médicaux les plus élémentaires, qui n’aient pas de maison où s’abriter ? »
– les perspectives d’un désastre écologique
– les problèmes de la paix
– le mépris des droits humains fondamentaux de tant de personnes, spécialement des enfants.
– Le respect de la vie de tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle.
– Le grand défi du dialogue inter religieux pour établir une relation d’ouverture et de dialogue avec les responsables d’autres religions, pour oeuvrer en faveur de la paix. Souvenons-nous des rendez-vous inter religieux à Assise voulu par Jean-Paul II.
Et puisque nous évoquons Assise, en forme de conclusion, je voudrais vous rapporter cet épisode étrange dans la vie de St François, On est à Assise en 1225. C’est le début de l’été. Deux hommes sont en conflit permanent : l’évêque et le maire de la ville. François, aveugle et proche de la mort, se plaint ainsi : « C’est une grande honte pour nous, les serviteurs de Dieu, qu’il ne se trouve personne, quand deux hommes se haïssent ainsi, pour rétablir entre eux la paix et la concorde ».
Alors, François a une idée, bien à sa façon. Puisqu’il est trop malade pour se déplacer lui-même, il va envoyer ses frères en mission. A l’un des compagnons, il dit : « Va trouver le maire et dis-lui de ma part qu’il se rende à l’évêché ». Et à deux autres frères : « Allez et en présence de l’évêque, du maire et de toute l’assemblée, vous chanterez le cantique de frère Soleil, ce qu’ils firent A peine avait-il entendu ces mots que le maire s’écrie : « Je pardonne au Seigneur évêque que je dois reconnaître pour mon maître ». Et voici le maire agenouillé devant l’évêque ; mais celui-ci immédiatement le relève et se livre à une confession totalement inattendue : « Ma charge exigerait chez moi l’humilité, mais j’ai un caractère prompt à la colère, il faut me pardonner ! » Alors l’évêque et le maire, les bras dans les bras, découvrent que la brouille est finie, les voici réconciliés.
Mais, au fait, savez-vous ce que chantaient les compagnons du petit pauvre, dans ce cantique de frère soleil ? Ils chantaient :
« Louez sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ; pour ceux qui supportent épreuves et maladies. Heureux s’ils conservent la paix, car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés ! »
Que ce chant emplisse votre coeur à vous aussi. Qu’il vous donne la joie du pardon et la force des gestes de réconciliation !