Catéchèse de Mgr Rivière aux pèlerins des JMJ, le vendredi 26 juillet 2002, sur le thème : “Soyez réconciliés avec Dieu”.
Qu’il me soit permis de commencer la catéchèse de ce matin par trois brefs témoignages. Nous reprendrons ensuite, dans une seconde partie l’appel pressant de l’apôtre Paul à nous laisser réconcilier avec Dieu. Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous chercherons à nous laisser émerveiller par le mystère de Dieu riche en miséricorde.
1) TROIS TEMOIGNAGES
Le premier a été rapporté par une religieuse au sujet d’une jeune adulte de 24 ans, nommée Béatrice. Je vous en donne lecture :
“Béatrice était étudiante en médecine. Elle avait 24 ans et était atteinte d’une grave leucémie. Avant de nous quitter pour un dernier séjour à l’hôpital, elle réunit ses parents et amis pour célébrer avec eux le sacrement de l’Onction des malades. Au cours de cette célébration, bousculant notre désarroi, elle eut cette parole mystérieuse : “Il ne faut pas pleurer. Je vais rencontrer Dieu. Et si cela ressemble à la rencontre que l’on fait avec Lui dans le sacrement de réconciliation
alors il faut se réjouir avec moi”.
Le second témoignage c’est une visite récente qu’un prêtre de mon diocèse a faite dans un Centre départemental pour personnes âgées. Ce prêtre a été demandé dans plusieurs chambres de malades, et dans un lit, il y avait une vieille femme allongée, visiblement paisible et en même temps “bien fatiguée”, avec un beau regard dans les yeux. Le prêtre lui a demandé : “comment allez-vous ?” Elle a répondu simplement : “je suis malade mais quand je serai au ciel, je ne serai plus du tout malade”.
Le dernier témoignage est l’histoire d’un prêtre, Charles Lair, “tout rayonnant de vie intérieure”a dit un de ses amis. Ce prêtre fut arrêté par la Gestapo au milieu de la seconde guerre mondiale, “après s’être opposé avec un audacieux sang froid à ce qu’un père de famille, son adjoint, le fût à sa place”. Dans le wagon qui acheminait les prisonniers de Limoges à Fresnes, attaché à la même menotte que celle de mon propre grand-père, ce prêtre portant sur le visage les marques des coups reçus lors de l’interrogatoire, a demandé un moment de calme dans son compartiment, et il a lu à haute voix le texte de St Paul dans la liturgie du dimanche précédent : “vous souffrez qu’on vous asservisse, qu’on vous traite avec mépris, qu’on vous frappe au visage j’ai souffert bien plus de fatigues, bien plus de prisons, de coups sans mesure j’ai été souvent dans des périls provenant de faux frères ” et, à voix basse, comme pour lui seul et son plus proche voisin : “le Seigneur m’a déclaré : ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse”. (2 Co 11, 20-23-26 et 12,9, cf. Edmond Michelet, rue de la Liberté p.39).
Que nous disent ces témoignages ? Ils nous disent que la réconciliation est un don de Dieu, et que ce don a un rapport évident non seulement bien sûr avec notre vie de pèlerins sur la terre, mais avec notre vie définitive en Dieu.
2) LAISSEZ-VOUS RECONCILIER AVEC DIEU
Les humains pensent que la réconciliation, c’est le rétablissement de l’amitié entre deux personnes qui se sont brouillées, le changement d’une situation d’hostilité en une relation pacifiée. Le sens du mot “réconciliation” est d’ailleurs très proche de celui de “pacification”. Quand St Paul engage toute sa foi d’apôtre en disant : “nous vous en supplions, au nom du Christ”, il ne donne pas quelques conseils humains comme ceux-ci : oubliez vos disputes, ou bien retrouvez l’harmonie entre vous, mais il annonce le mystère du Salut donné par Dieu en son Fils : “laissez-vous réconcilier avec Dieu” L’apôtre a en vue l’initiative de Dieu : “tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ car de toutes façons c’était Dieu qui en Christ réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation”. (2 Cor 5,18-19)
Il est tellement important de penser que Dieu a l’initiative de cette paix et de cette réconciliation, et non pas nous-même. Nous désirons ardemment la réconciliation et nous travaillons pour l’accueillir. De nous-même nous sommes incapable de la produire.
Nous pouvons sentir, comme dit le psaume, “combien il est bon et doux, pour des frères, de vivre ensemble et d’être unis” (Psaume 133). A l’inverse, nous pouvons, et c’est douloureux à certains jours, éprouver la peine des discordes entre les frères. Cette expérience creuse en nous le désir de la paix et de la réconciliation. Car la haine est décidément un poids trop lourd pour les épaules fatiguées des pauvres humains. Le désir de paix appelle le don qui vient ici d’en haut, et non de nous-même. S’il est vrai que l’on dit couramment “faire la paix entre nous”, la blessure du cur, elle, est soignée par la grâce de Dieu, toujours. Oui, la réconciliation est dans le fond une affaire qui regarde l’intime du cur de chacun dans son rapport à Dieu. C’est dans ce lieu que nous entendons ce matin à nouveau la belle exhortation de St Paul : “nous vous en supplions, au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu”.
3) DIEU RICHE EN MISERICORDE
A présent, pour avancer dans cette catéchèse sur la réconciliation, évoquons l’expérience du prophète Isaïe. Il a cette vision, rapportée au chapitre 6 du livre d’Isaïe, dans laquelle Dieu est adoré comme l’infiniment Saint ; Isaïe découvre en même temps que sa propre vocation l’incompatibilité radicale entre la sainteté de Dieu et le péché. Chaque eucharistie fait reprendre à l’Église le chant qu’Isaïe avait alors entendu : “Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu de l’univers. Le ciel et la terre sont remplis de sa gloire. Hosanna au plus haut des cieux”. Il y a peu de passages aussi beaux pour exprimer la toute transcendance et la toute sainteté de Dieu. Et la liturgie de l’Eglise ajoute à ces paroles le mot du psaume repris par les jeunes à l’entrée de Jésus à Jérusalem monté sur le petit d’une ânesse : “Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur”.
Car voici qu’en Jésus, Dieu trois fois Saint se révèle l’infiniment proche des pécheurs. Au point que les témoins disent de lui : “c’est l’ami des pécheurs”. Et lui-même dit : “ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades en effet je ne suis pas venu pour appeler les justes, mais les pécheurs” (Mt 9,12). Le Christ nous donne à voir et à comprendre le cur de Dieu trois fois Saint comme étant un cur compatissant et un cur qui se réconcilie les hommes pécheurs. Il est, dira St Paul, riche en miséricorde.
Entendons bien cette expression paradoxale de Paul. La richesse consiste habituellement dans la possession, elle évoque une plénitude, elle dit le contraire de l’indigence, de la pauvreté et du manque. Or le mot miséricorde est construit à partir de deux mots latins qui se traduisent par “cur” et “misère”. Un être miséricordieux, c’est un être qui a un penchant intérieur pour accueillir ce qui est méprisé et misérable. L’origine hébraïque du mot miséricorde renvoie aux entrailles maternelles, dont on sait bien qu’elles sont accueillantes à la fragilité de la vie.
Quand Paul parle du Dieu riche en miséricorde, il dit le fond même de la révélation, inimaginable pour la seule pensée de l’homme : le Dieu infiniment Saint devenant l’ami des pécheurs pour les appeler à entrer dans sa joie éternelle.
La vie des pauvres est sous le coup, il faudrait dire sous la grâce, de la miséricorde. Et les saints ont eu le plus conscience d’avoir un impérieux besoin de la miséricorde de Dieu. Ste Catherine de Sienne par exemple, recevait souvent le sacrement du pardon ; elle en parlait comme du “baptême dans le sang” (du Christ) ou encore du “baptême dans l’Esprit”. Elle disait fréquemment, au milieu même de sa prière la plus contemplative : “j’ai péché, Seigneur, aie pitié de moi”. C’est dans la joie de Pentecôte que ce trésor de pardon a été confié aux apôtres pour le monde, quand le Seigneur leur a donné son souffle en disant : “recevez le Saint Esprit, ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis”.(Jn 20,22-23) Voilà la joie que chaque baptisé éprouve dorénavant et réellement en lui-même quand, ayant écouté la Parole de Dieu à l’uvre dans son histoire, et ayant confessé et regretté son péché, il entend le prêtre lui dire : “Dieu a réconcilié le monde avec lui et il a envoyé l’Esprit-Saint pour la rémission des péchés qu’il te donne le pardon et la paix, tes péchés sont pardonnés”.
L’Eglise, m’avait dit l’évêque le jour où j’ai reçu l’ordination presbytérale, ne croit pas au péché, elle croit au pardon des péchés !
“Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense !” (Ps.31)
Au larron qui s’est tourné vers le Christ en croix pour lui demander : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne, le Seigneur Jésus-Christ a dit : “aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis.”