Déclaration de Mgr Jean-Charles Descubes, président de la Commission sociale de la Conférence des évêques de France à l’occasion du 50ème anniversaire de l’appel de l’abbé Pierre.
Il y a cinquante ans, le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait cet appel : “Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier on l’avait expulsée”.
En son temps cet appel réveilla les consciences, rassembla d’innombrables générosités, permit de collecter de l’argent. La mobilisation de la Nation inspira et détermina une volonté politique pour la création de logements sociaux et d’équipements publics nécessaires à ces logements.
Aujourd’hui encore, de nombreux acteurs de la politique du logement : simples citoyens, travailleurs sociaux, associations, bailleurs sociaux se nourrissent de cet appel.
Cinquante ans après, des foules d’hommes et de femmes vivant dans notre pays, ne disposent pas d’un logement décent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Le “mal logement” : habitat inconfortable, avec surpeuplement et précarité d’occupation atteint environ 3 millions de personnes. Le “non-logement” des personnes à la rue, concerne selon l’Insee, 86 000 personnes, et ce chiffre ne prend pas en compte les sans-papiers et les demandeurs d’asile. A ces chiffres, il faudrait ajouter toutes les personnes hébergées à titre gracieux au sein d’un ménage, celles qui occupent un logement social en voie de démolition et qu’il faut reloger, celles qui habitent de manière précaire les meublés et chambres d’hôtels. La demande de logements sociaux est en forte croissance: 1,6 million de ces demandes sont aujourd’hui non satisfaites.
Cette situation de pénurie rend encore plus difficile l’accès au logement pour certaines catégories de la population : personnes âgées, handicapés, immigrés, jeunes adultes ou étudiants. En ce qui les concerne, le mot discrimination est parfois prononcé.
Derrière ces chiffres se cache la souffrance d’hommes et de femmes. Ce sont des personnes seules ou des familles, en nombre toujours plus important, que l’errance, le surpeuplement, voire l’insalubrité fragilisent dans leur capacité à faire des projets. A-t-on pris la mesure des conséquences de cette crise du logement sur la vie de couple et la vie de famille, sur l’avenir des enfants, sur l’emploi, sur l’insertion, et plus largement sur le vivre ensemble ?
Le droit d’accéder à un logement décent, convenablement situé et suffisamment desservi par les équipements publics et privés, n’est aujourd’hui pas effectif. Pourtant, l’accès à ce droit conditionne l’accès à tous les autres droits : la vie de famille et l’éducation des enfants, la santé, le travail, la possibilité d’un engagement.
Il existe de nombreuses pistes d’action. Elles vont d’une augmentation de l’offre – par la sécurisation des relations qui lient les bailleurs et leurs locataires et par la production accrue de logements – jusqu’ à la création d’un service public de l’habitat. Le Conseil économique et social recommande la construction de 320 000 logements par an pendant 10 ans, dont 120 000 logements sociaux. D’autres propositions suggèrent un renforcement de l’efficacité des aides personnelles au logement, et des réponses adaptées à certaines catégories particulières.
Ces pistes d’action font appel en grande partie à des partenariats entre propriétaires fonciers, promoteurs, bailleurs, services de l’État et élus des collectivités territoriales. Elles trouvent leurs limites lorsque la volonté des différents acteurs n’est pas suffisante pour dépasser des intérêts divergents. Elles permettent d’approcher le droit au logement, non de l’atteindre. Le droit pour chacun d’accéder à un logement ne doit pas être la conséquence d’une bonne organisation du système de construction et de location. Il en est le point de départ, l’élément fondateur. Une inversion de logique s’impose: le droit au logement doit commander à la mise en uvre des outils nécessaires à sa réalisation.
Il y a cinquante ans, l’abbé Pierre lançait un appel pour que des personnes ne meurent pas de froid dans les rues de nos villes. Il a été partiellement entendu. Cinquante ans après son premier appel, il sait que son combat est à poursuivre et à étendre jusqu’à la reconnaissance d’un droit au logement pour tous. Les conditions de sa mise en uvre relèvent certes d’abord de la responsabilité de l’État, premier garant du droit au logement, mais aussi de nous tous. Qui voulons-nous comme voisin ? C’est toujours à la générosité contre les égoïsmes de toutes sortes que nous appelle l’abbé Pierre.
Cinquante ans après, l’appel de l’abbé Pierre reste plus que jamais actuel. Chrétiens, n’oublions pas que nous n’habitons pas d’autres cités et d’autres maisons que celles de tous.