“Samuel est un homme libre, qui ne se tient pas dans un clan, mais qui a pour vocation de servir et de protéger la liberté du peuple de Dieu”. Mgr Ulrich nous livre une nouvelle catéchèse sur le thème de la liberté
C’est un personnage étonnant de la Bible, de l’Ancien Testament : on lit son histoire dans le 1er livre de Samuel (1 Samuel). C’est un personnage qui vit à une époque de transition : les israélites veulent un roi pour se trouver comme tous les peuples alentour d’eux tentation permanente de la ressemblance, du mimétisme. Samuel, juge, prophète, est désarçonné, parce qu’il lui semble que la fidélité à Dieu devrait se marquer par davantage de différence. Mais il comprend dans son dialogue avec Dieu que l’attachement de la foi sera aussi sollicité dans cette nouvelle situation, et que c’est à lui de choisir ce roi. Choisir le roi est une aventure semée d’embûches : le premier, Saül, brillant et distingué, se révèlera jaloux, vindicatif et faible, il faudra le désavouer. Le second sera David, de modeste apparence, mais fougueux, et surtout plein de foi, et un peu imprévisible.
Samuel est un homme libre, qui ne se tient pas dans un clan, mais qui a pour vocation de servir et de protéger la liberté du peuple de Dieu. Ses jugements sont souvent inattendus, sa perception de la réalité peut étonner. Il est capable de reconnaître que son premier jugement est insuffisant, voire erroné.
Quel est donc son secret pour durer dans la fidélité et le service, même si le nombre de ses interventions rapportées dans 1 Samuel est assez limité ? Son secret c’est d’avoir été formé à écouter la voix du Seigneur, la Parole de Dieu. A cette époque, « la parole du Seigneur était rare et les visions peu fréquentes » ( 1 S 3). Or, il y a quelqu’un qui passe sa vie à l’écouter, c’est le prêtre Eli, auprès duquel Samuel a été placé pour apprendre la vie, et le service du Seigneur. Qu’est-ce que lui dit Eli ? si tu entends un appel, écoute, sois attentif. Et cette attention est pareillement une attention aux événements qui traversent le peuple de Dieu : il faut agir, décider, conseiller, juger
Au milieu des événements, le dialogue est permanent entre Samuel, les acteurs de la vie d’Israël, et Dieu lui-même.
Jésus lui-même
Faut-il relire l’histoire de Jésus sous cet angle de la liberté de son comportement, de sa parole ? Il prend de la distance par rapport à sa famille : « qui sont ma mère et mes frères ? Quiconque fait la volonté de Dieu » (Mc 3,31-35).
Il reconnaît que la loi, donnée par Moïse pour permettre la rencontre avec Dieu et la justice dans la relation avec les frères, peut devenir un empêchement à vivre : « le sabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2,27 ; voir Luc 6,5). Mais il refuse aussi que sous prétexte de fidélité à l’esprit de la loi, on en vienne à penser que le respect de la loi dans sa lettre, c’est-à-dire dans ses engagements concrets, est devenu périmé : « il fallait pratiquer ceci (verser l’impôt), sans oublier cela (justice, miséricorde et fidélité)» (Mt 23,23). Il demande de pardonner au-delà de ce que la même loi prescrit : « je ne te dis pas sept fois, mais soixante-dix fois sept fois » (Mt 18,22). Il ne condamne pas le pécheur (Zachée, dans Luc 19), ou la pécheresse (la femme adultère, dans Jean 8), mais il juge sévèrement les péchés, et il dit de ne pas recommencer.
Il ne se marie pas, alors que le célibat et l’infécondité sont considérés dans sa culture religieuse comme des fatalités, des malédictions divines ; mais il parle librement aux femmes, ce que même ses apôtres ne comprennent pas (Jean 4, 27). Il manifeste un grand attachement au Temple de Jérusalem, lieu de la rencontre avec Dieu le Père : « il est écrit que ma maison est une maison de prière, et vous en faites une caverne de bandits » (Mc 11,15-17), et même temps il dit que le vrai lieu de la rencontre c’est son corps, c’est le corps de l’homme qui est don de Dieu, qui est sacré (Jn 2,13-22).
Quel est encore son secret ? Si ce n’est un authentique attachement à la Parole de son Père. Il se retire quarante jours (et au cours de son ministère plusieurs fois la nuit), pour prier notamment avant les grands choix de sa vie; il invoque souvent la Parole, l’Ecriture : « il est écrit ; n’avez-vous pas lu dans l’Ecriture que David lorsqu’il eut faim ? le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est-à-dire le Dieu des vivants » Il manifeste une profonde relation avec Dieu qu’il appelle son Père : « ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père ? » (Luc 2,49) Et, dans sa passion, il implore : « Père, si c’est possible que ces souffrances passent loin de moi, cependant non pas ma volonté, mais la tienne » (Mt 26,39).
La vie de Jésus est guidée par la fidélité, et une écoute de la parole du Père. Sa liberté lui vient de ce qu’il ne balance pas en permanence entre des intérêts contradictoires, des appels passagers, du court terme. C’est toute sa vie qui est engagée dès le début : il repousse ensemble les tentations principales de la possession, de la facilité illusoire (être arrivé au résultat sans avoir combattu jour après jour), et de la domination sur autrui (le récit des tentations se trouve dans Mt 4,1-11 et textes parallèles de Mc et Lc). Et elle est engagée sur cette parole : « tu serviras le Seigneur ton Dieu et lui seul », dite autrement : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cur, de toutes tes forces, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Voilà où s’enracine sa liberté, celle qui lui permet de dire, au moment où l’on veut le tuer : « ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10,18).
Des disciples à toutes les époques
Il peut être intéressant de relire l’engagement de toute vie sous cet aspect de la liberté. Essaie de le faire en te rapportant à une vie plus ou moins illustre que tu connais. N’importe quelle biographie d’un grand chrétien permet de rencontrer cet aspect. Je propose simplement de nous référer, quelques semaines après sa mort, à la vie de Geneviève de Gaulle Anthonioz. Bien sûr, il y avait un tempérament, peut-être familial, capable de résister, mais il y a surtout un jour la décision d’entrer en résistance contre l’injustice, et l’oppression, de mettre sa vie en conformité avec ce que l’on pense et professe à propos de l’égale dignité de tous les hommes. Et ensuite d’accepter toutes les conséquences que cela entraînera, y compris la déportation dans un camp, d’être considérée comme l’égale du rebut de l’humanité, en espérant de toutes ses forces que l’aube se lèvera. Et puis quinze ans plus tard, une même fidélité, une même qualité d’écoute lui ouvre les yeux sur des bidonvilles aux portes de Paris, et un prêtre, issu d’un milieu très déshérité, qui veut que les pauvres eux-mêmes soient les acteurs de leur promotion, le père Joseph Wresinski l’engage dans l’aventure de « ATD Quart Monde » qu’elle présidera pendant trente quatre ans.
Aujourd’hui
Ce serait bien d’apprendre à débusquer la pensée unique sur les comportements sociaux, ce serait une marque de liberté, de pensée libre
Þ La vie en couple n’est pas le seul chemin pour une existence réussie, mais l’on peut vivre avec un vrai projet de vie familiale durable.
Þ L’enfant n’est pas un droit du couple, et génétiquement parfait en plus, mais il est un don gratuit qui a sa valeur en lui-même du début jusqu’à la fin de sa vie.
Þ Le célibat n’est pas le signe d’un échec de la vie affective et au contraire il peut être porteur d’une vie féconde.
Þ La réussite professionnelle n’est pas le seul horizon de la vie adulte, comportant d’une part une sur-activité très rentable et d’autre part des compensations dans des loisirs vécus comme évasion.
Þ Le travail n’est pas seulement fait pour gagner sa vie, mais il est aussi une contribution pour un monde plus habitable. L’économie n’est pas le premier et le dernier mot de l’existence : on connaît le prix de tout, mais on ignore la valeur de la vie.
Þ La politique n’est pas le passe-temps des corrompus, mais elle peut être un véritable service d’une société, où peut se manifester une réelle amitié pour ceux que l’on sert.
Þ La liberté personnelle ne signifie pas le développement des égoïsmes de chacun, mais l’épanouissement des relations entre les hommes.
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Ce serait bien d’accueillir la Parole de Dieu comme capable de débusquer ces fausses évidences, et capable d’interpeller chacun sur ses choix personnels, et sur les situations vécues dans notre monde.
Accueillir la Parole de Dieu non seulement comme une certaine sagesse de vie, mais comme la Parole qu’on reçoit de quelqu’un, la Parole qu’on peut partager avec d’autres, la Parole qui résonne en nous et nous parle de Celui qui aime les hommes et veut porter ce monde à son accomplissement.