Catéchèse de Mgr Blondel au Camp des jeunes à Lourdes, le jeudi 25 juillet 2002, sur le thème : “Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde”.
Comme sujet de ma catéchèse, j’ai choisi le thème de la JMJ : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ». C’est d’ailleurs, dans l’Evangile de Matthieu, l’introduction de la première catéchèse que Jésus adresse à ses disciples, l’introduction du sermon sur la montagne.
Mettons-nous dans l’attitude du disciple : « La Bible met la main sur nous, ce n’est pas l’homme qui s’empare de la Bible, c’est la Bible qui s’empare de l’homme » (Dom Louf).
I – De quoi s’agit-il ? Jésus ne dit pas d’abord « toi », « tu », « moi », Il n’évoque pas mon destin personnel, unique, Il dit d’abord « vous », un « nous » ensemble. Nous qui courons le risque, et c’est grave, d’être jetés dehors, de n’avoir aucune valeur, ou de même pouvoir être étouffés si nous ne remplissons pas ce qui nous définit, une mission, un boulot. En fait, il s’agit de la terre et du monde, voilà ce qui intéresse Dieu, voilà ce à quoi Il va nous adresser, nous habiliter. Il nous situe dans la terre, pour la société, pour l’histoire. Nous sommes situés dans une aventure qui nous dépasse, mais où il est essentiel que nous tenions notre place, sinon, non seulement cette aventure capotera, mais nous serons passés à côté de nous-mêmes.
Le christianisme est une religion cosmique, une religion du politique, une religion pour le destin de l’humanité, nous sommes une religion de l’écologie, parce que le dessein de Dieu est, dès l’origine, un dessein de création, un dessein d’alliance, un dessein de rédemption, collectif ; il s’agit, comme le dit Paul, de tout ramener sous un seul chef, le Christ, plérome, plénitude de tout vivant.
Ceci nous bouscule et nous situe différemment de ce que l’on pense spontanément lorsque l’on parle Dieu, foi, réussite de vie. Certes, j’ai une quête de moi-même, une quête de sens, une quête de Dieu, mais si dans tout cela je me mets seulement face à moi-même, si je reste seul, préoccupé seulement de mon image, obsédé de mes questions, je risque de ne trouver que le vide.
Lorsque le Seigneur se manifeste, c’est dans une rencontre personnelle ; le silence, la recherche, la réflexion, la prière ont tout leur sens, mais c’est toujours dans le même mouvement comme un envoi : « Je suis, j’ai vu la misère de mon peuple, vas ».
Un des plus beaux textes du Pape : « Allez vous aussi à la vigne, personne ne peut rester sans rien faire ».
Quelque chose de la fascination, et donc de la beauté de Jésus Christ, vient de là. Il y a une contemplation d’une semence à l’oeuvre dans l’histoire, il y a un universel et une mondialisation positive. Ce sont des dimensions de l’acte de foi chrétienne qui n’est pas un intimisme.
II – Simplement un commentaire. Vous comprenez pourquoi le Pape vous situe toujours à la charnière du millénaire, dans le dialogue des cultures et non dans le choc des civilisations. Nous sommes invités à une triple reconnaissance.
Nous reconnaissons la valeur, la grandeur du corps, du mariage, du travail, de l’associatif, de l’art, de l’économique, à habiter et à reprendre, et à pénétrer l’Evangile souvent dans un combat, mais c’est le berceau du Royaume.
Nous reconnaissons et nous proclamons que Dieu est à l’uvre chaque jour par son Esprit, qu’il y a une force, un dynamisme, un levain de la grâce, que le Royaume est en marche, le sel est du côté de ce qui pénètre et de ce qui conserve.
Nous reconnaissons que nous avons besoin dans ce monde, pour nous repérer, d’un phare, d’un signal, c’est l’Evangile dans son contenu : pardon, paix, béatitude, et de la doctrine de l’Eglise. Nous avons besoin de la lumière du monde.
III – On va un peu plus loin, ou plutôt, on ajuste notre faisceau lumineux sur ce « vous », vous êtes le sel, vous êtes la lumière, qui est-ce ?
Lorsque Jésus parlait, traversait la Galilée et la Judée, ce « vous », c’étaient ceux qui le suivaient, ses amis, son groupe, ses disciples, ses fidèles, d’ailleurs pas si fidèles que cela car ils vont être dispersés.
Lorsque Matthieu écrivait, ce « vous », c’étaient les communautés chrétiennes, le groupe de croyants, ceux qui s’étaient petit à petit distingués des juifs comme le dit St Paul dans les Actes au chapitre 11, dans la tourmente et la persécution à Antioche, « On leur donna le nom de chrétiens ».
Ce « vous », ces communautés, et bien c’est l’Eglise, le rassemblement de tous ceux qui croient en Jésus Christ, l’Eglise, le Corps des disciples. C’est une affirmation, et c’est un appel.
Cette parole de Jésus, lumière et sel, indique la carte d’identité et la feuille de route de l’Eglise pour nous aujourd’hui. Il ne faut jamais regarder l’Eglise, ou réfléchir à l’Eglise seule, comme une institution en face de moi : a-t-elle le droit de me demander cela, est-elle bien utile, peut-on se passer d’Eglise ? Il faut la regarder, comme le dit le Concile, « l’Eglise dans le monde de ce temps », ou comme le disent les Evêques, « l’Eglise qui a à proposer la foi dans la société actuelle ». Et là, il y a trois composantes, inlassablement répétées :
– la solidarité, participer à la charité, à la justice, au partage, quelque chose qui témoigne de cet amour réel de Jésus pour l’humanité, de ce Jésus qui guérit, de ce Jésus qui met debout, qui libère les pauvres, c’est la communauté chrétienne du Jubilé ;
– la proposition de la foi comme rencontre de Jésus Christ, le témoignage, rendre l’écriture parole vivante, ne pas imposer, dans quelques fanatisme que ce soit, mais trouver ensemble les mots pour dire cette expérience, cette espérance qui est la nôtre ;
– la célébration, prière, sacrement, justement parce que le Christ est plus grand que nous, parce que c’est la beauté de Dieu, parce qu’Il est déjà là, parce que l’horizon c’est la résurrection, et que nous sommes à la fois pauvres et joyeux.
Donc, le rapport de l’Eglise, notre mission d’Eglise, à cette époque, dans ce monde, c’est à la fois la proximité, être avec, être mêlés, être frères et surs spécialement des petits et des pauvres, et en même temps, c’est une distinction, une distance, une critique, un appel. Le sel est piquant, la lumière fait mal aux yeux. Ne vous modelez pas sur le monde qui passe, et pourtant c’est votre monde.
La question décisive que l’on se pose, lorsque les Evêques sont réunis à Lourdes, ici, ou bien lorsque l’on travaille avec les chrétiens responsables d’un diocèse sur le Projet Diocésain, la question décisive c’est comment vivons-nous, comment pouvons-nous remplir cette responsabilité d’être lumière et sel ? Nous croyons que nous en sommes capables, c’est notre baptême, mais concrètement, que cela demande-t-il ? Pas simplement à chacun, mais dans la vie des paroisses, dans leur capacité d’accueil. Que cela demande-t-il dans le partage, allons-nous être capables de prêter un presbytère aux sans papiers, quelle présence à la vie des gens, et puis quelle qualité de célébration, quelle beauté de célébration ? Sel et lumière, à nous de savoir comment nous le vivons, à nous de faire notre examen de conscience, à nous d’avoir la joie de vivre cela.
IV – Alors, et alors seulement, mais vous pouvez bien sûr y rester longtemps, « vous », c’est aussi toi, c’est vous dans le sens de chacun, de chacun rencontré par Jésus, chacun qui est à lui-même, en lui-même un monde infini et une terre à explorer, à découvrir, aux multiples facettes, aux multiples richesses. Il s’agit de chacun et de chacune tel qu’il se lève certains matins, avec un mauvais goût dans la bouche, avec le sentiment que tout est fade, que cela ne vaut pas la peine de vivre cette journée, et peut-être même l’idée que l’on va se venger en empoisonnant les autres. Chacun capable de se coucher le soir avec l’amertume du dialogue raté, et qui éteint la lumière pour ne pas regarder en face ce qu’il a vécu, pour oublier, pour laisser tomber dans l’obscur.
Il s’agit de chacun et de chacune avec le goût de l’amitié, le piquant qui réveille, de la parole juste, du courage. C’est chacun, avec cette petite lumière fragile que l’on a reçu des yeux d’un ami ou d’une amie, cette petite lumière pas si facile à maintenir allumée dans les courants d’air et qu’il faut souvent ranimer, avec la cire un peu brûlante qui coule parfois sur la main, et combien nous sommes heureux en aumônerie, en équipe, à Taizé d’en faire, à plusieurs, un buisson ardent. Voilà, c’est chacun devant découvrir et unifier sa vie, chercher un projet, avancer mais sans se rêver, ayant besoin de silence, de guérison, de l’autre.
Conclusion
« Lumière … sel ». Ce texte, bien souvent des jeunes le choisissent pour leur mariage. « Sans toi la vie était fade. La vie a quelque chose d’un goût nouveau par l’amour et le monde change de couleur ».
Ce texte est source et interrogation par rapport aux vocations sacerdotales et religieuses. Le monde doit être sauvé, salé, éclairé. L’Eglise est dans cette mission, et il faut la servir pour qu’elle la remplisse. Il faut soutenir les chrétiens, les éclairer, les réunir. Ma vie, je peux la donner à sa suite, et alors elle prend goût et une lumière de vérité et de paix m’est donnée.