« Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ! » (Ps 132,1)
Frères, nous le sommes tous, soit par notre naissance au sein d’une famille, soit en humanité, soit encore dans le Christ. Mais vivre en frères le faisons-nous ? Comment reconnaître en l’autre parfois si différent de moi, un frère ?
La Fraternité rompue
« Caïn dit à son frère Abel : Allons dehors, et comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. Le Seigneur dit à Caïn : où est ton frère Abel ? Caïn répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? » Gn 4, 8-9
Dès les premiers chapitres de la Genèse, la fraternité est brisée, comme si les hommes, créés pour vivre en frères, en étaient incapables. Les histoires d’Isaac et d’Ismaël (Gn 21, 1-21), d’Esaü et de Jacob (Gn 27, 1-45), de Joseph et de ses frères (Gn 37, 12-36) nous montrent combien cette fraternité nous est difficile à vivre.
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie. » Gn 2, 18. Et pourtant, l’homme a besoin d’un vis à vis pour exister. D’où vient alors qu’il a si souvent l’impression que les autres l’empêchent de vivre ? Pourquoi est-il poussé à écarter, voire à tuer son frère pour, pense-t-il, mieux vivre ? Qu’est-ce qui, en lui, fait obstacle à la fraternité ? D’où vient le mal ?
Le ver qui ronge nos relations s’appelle jalousie
La jalousie est un vilain défaut’ ; c’est très mal d’être jaloux’ ; Oh le vilain jaloux !’
Qui de nous n’est pas, un tant soit peu, habité par ces expressions lapidaires ? Dégageons-nous de ce moralisme, car il nous enferme et nous lie au lieu de nous libérer !
Non ! La jalousie n’est pas un vilain défaut et il n’y a pas de honte à être jaloux ! La jalousie est et elle est en chacun de nous ! Cependant, toute jalousie ne conduit pas à la rancune, au rejet, à la violence ou au meurtre
Quels sont les mouvements de jalousie qui m’habitent, par quoi sont-ils éveillés ? Puis-je me reconnaître et m’accueillir comme quelqu’un de jaloux ? Qu’est-ce que je fais de ces mouvements de jalousie qui m’habitent ? Est-ce que je les laisse s’amplifier jusqu’à l’envie de tuer, même dans l’imaginaire ou est-ce que j’essaye de les convertir ?
Jalousie reconnue est déjà à moitié guérie ! Alors, avec humour (c’est le nom laïc de l’humilité) je remets au Seigneur mes mouvements de jalousie et lui demande de convertir mon cur.
Frères en Jésus, le Fils Unique
« Je vous dis, à vous qui m’écoutez : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient
» Lc 6, 27-28
« C’est à ceci que désormais nous connaissons l’amour : lui Jésus, a donné sa vie pour nous ; nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères. » 1 Jn 3, 16
Que l’amour soit un commandement m’a toujours étonnée. L’amour n’est-il pas naturel ? Même si nous sommes créés pour le beau, le bon et le vrai l’amour fraternel se heurte à beaucoup de résistances en nous. Comment aimer ceux qui nous font du mal ? Comment aimer ceux qui nous volent, nous blessent, nous mentent et nous injurient ? Comment aimer aussi ceux qui sont plus riches, plus doués, plus intelligents, plus heureux que nous ?
L’amour est un commandement : il nous intime l’ordre de nous détourner de nos envies de meurtre par le don de notre propre vie pour nos frères Jésus nous invite à un retournement : aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, donnez votre vie pour vos amis
Qui sont mes ennemis, ceux qui m’ont blessé, ceux qui me rejettent, m’injurient, me haïssent et m’humilient ? Qui sont ceux que je n’aime pas, qui m’énervent, que je rejette, ceux dont je suis jaloux parce qu’ils ont tout ce que je n’ai pas ? Tous ces visages de mes frères, je les porte devant le Christ notre Frère. Comment lui, Jésus, les regarde-t-il ? Quel regard d’amour et de miséricorde porte-t-il sur eux ? Et je demande au Seigneur de pouvoir à mon tour regarder avec ses yeux à lui
Devenir frères
Comment cela se fera-t-il ?
Il s’agit pour nous de dépasser les rancunes, les amertumes, les haines, les peurs, les convoitises, et de passer de la jalousie à la louange, de la vengeance au pardon.
Il s’agit pour nous d’entrer en étroite solidarité humaine, de laisser la grâce du pardon de Dieu traverser toutes les zones de refus qui habitent notre propre coeur. Il s’agit de ne pas nous dérober au combat des ténèbres et de la lumière qui se joue en notre propre vie
Il s’agit en vérité de nous asseoir à la table des pécheurs et de nous reconnaître l’un d’eux, enfant de Dieu pardonné, fils dans le Fils Unique, frère dans le Christ notre Frère.
L’Europe : vers une Fraternité multiculturelle
« Le corps est un, et pourtant il y a plusieurs membres ; mais tous les membres du corps malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. » 1 Co 13, 12
« Si un membre souffre, tous les autres membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous les membres partagent sa joie. » 1 Co 13, 26
A l’heure où l’Europe a la joie de voir s’agrandir ses frontières, elle est aussi blessée par la résurgence de certains nationalismes durs et fermés. Quel monde, quelle Europe, quelle fraternité humaine voulons-nous construire ?
Souvenons-nous que la fraternité bannit la peur de l’autre, la peur de la différence, la peur de perdre et de se perdre, la peur de l’inconnu.
Souvenons-nous qu’il n’existe pas de fraternité sans pardon et sans confiance, sans partage et sans don de soi, sans accueil des différences, sans risque et sans aventure
La Fraternité « prend patience, rend service, elle ne jalouse pas, ne s’enfle pas d’orgueil, ne cherche pas son intérêt, n’entretient pas de rancune, ne se réjouit pas de l’injustice, mais trouve sa joie dans la vérité. La fraternité croit tout, espère tout, supporte tout
» (d’après 1 Co 13, 4-7)
L’Europe sera celle de la fraternité humaine ou ne sera pas Commençons par nous réconcilier avec ceux qui jadis ont tué nos ancêtres, lâchons nos richesses et nos certitudes, laissons-nous altérer’ par l’autre, par les autres, par nos frères en humanité !
Seigneur, désarme-nous de la volonté d’avoir raison, de nous justifier en disqualifiant les autres. Libère-nous de nos jalousies et de nos crispations sur nos richesses. Donne-nous d’accueillir et de partager, de ne pas tenir particulièrement à nos idées, à nos projets. Apprends-nous à accepter sans regrets d’autres projets que les nôtres. Fais-nous renoncer au comparatif et croire que ce qui est bon, vrai, réel est toujours pour nous le meilleur. Donne-nous de ne plus rien posséder frileusement, car quand on n’a plus rien à perdre, on a plus peur ! Avec toi Seigneur, nous voulons proclamer : « nous n’avons plus peur car l’amour chasse la peur ! » (Inspiré de « Je n’ai plus peur » Athénagoras, patriarche de Constantinople)