Pour un jour de fête nationale, voici une homélie du cardinal Etchegaray qui nous invite à la prière pour notre pays. Plus qu’une “émotion cocardière ou qu’un égoïsme farouche, (…) il s’agit d’une responsabilité collective et constante”.
Prier pour la France est une démarche spirituelle que tout chrétien de tout pays accomplit j’ose dire finalement à l’égard de sa patrie. Car la patrie n’est pas une abstraction ou un préjugé, mais une réalité bien charnelle ; c’est elle qui permet à chacun d’assumer et d’assurer le premier et nécessaire relais entre la famille, cellule de base et toute la communauté humaine dans l’espace plus ou moins défini d’un peuple ou d’une nation.
Plus encore que la fidélité familiale, soumise à l’épreuve des générations, la fidélité à l’appartenance nationale est aujourd’hui défiée par les légitimes appels aux solidarités de plus en plus pressantes au niveau soit européen soit intercontinental. De même que, selon saint Jean « celui qui prétend aimer Dieu qu’il ne voit pas et n’aime point son prochain qu’il voit trompe et se trompe » (I Jn. 4,20), ainsi j’ajouterai qu’il trompe et se trompe celui qui prétend aimer les peuples lointains avec lesquels il ne vit pas et n’aime point son propre pays auquel il se frotte chaque jour. Notre participation active à la communauté nationale avec tous les devoirs qu’elle impose est le meilleur test de notre aspiration à l’universel. On ne peut servir son pays par saccades, aux grandes occasions de son histoire, mais dans le creux et la grisaille de la vie quotidienne. L’attachement ne relève pas d’une émotion cocardière, d’un égoïsme farouche. Plus que d’un sentiment toujours fragile et parfois aveugle, il s’agit d’une responsabilité collective et constante.
Dans le concert mondial, les nations ne sont point interchangeables, ni ne peuvent se fondre les unes avec les autres, car chacune a sa vocation propre. Maurice Blondel a écrit : « Chaque peuple a comme une idée à faire vivre dans le monde ; c’est sa raison, c’est sa mission, c’est son âme. Âme mortelle ; âme mourante parfois, faute d’action commune ; âme capable de résurrection ; âme impérissable si la pensée dont elle vit est de celles qui touchent aux intérêts permanents ou à la conscience sacrée de l’humanité… La grandeur des peuples tient au rôle qu’ils ont à jouer. Chacun, comme un organe dans le grand corps de l’humanité, absorbe la pensée des autres nations selon son propre génie,et la rend à la circulation comme une nouvelle richesse, différente en chacun et commune à tous » (L’action, t. II, pp. 279-280).