Il y a soixante ans, le pasteur luthérien allemand Dietrich Bonhoeffer, théologien et résistant, était exécuté. Il avait invité à trouver Dieu au présent.
Dietrich Bonhoeffer, né le 4 février 1906, est allemand et de confession protestante. Il fit d’excellentes études de théologie, obtint son doctorat à 23 ans et fut ordonné pasteur en 1931.
Il fut un homme proche de tout croyant, et de ses frères en servitude. Après plusieurs interventions publiques contre le nazisme, il « partagea » leur vie dans les camps de concentration. Il fut un homme de prière, militant pour la liberté et l’humanité de chacun, pour une Église et des croyants engagés dans le monde. Condamné à la pendaison, il mourut le 9 avril 1945, dans le camp de Flossenbürg. Il était âgé de 39 ans.
Nous vous proposons trois haltes autour de trois thèmes récurrents dans l’oeuvre de Dietrich Bonhoeffer : la prière, la solidarité, et la responsabilité du Chrétien.
La prière, pour appeler tout homme à l’espérance et à la foi
« Nous voulons attendre en silence
Ton appel à des temps nouveaux,
Lorsque ta main calmera la tempête
Et que ta volonté fera merveille.
Frère, jusqu’à l’heure où la nuit s’en ira,
Prie pour moi. »
(Voix nocturnes, extraits.)
La prière, pour Dietrich Bonhoeffer, est une force, un don. Il écrit : « Je crois que Dieu n’est pas une fatalité hors du temps, mais qu’il attend nos prières sincères et nos actions responsables et qu’il y répond. » La prière est la parole de l’homme allant vers son Dieu d’écoute, de pardon, de partage et d’amour. Il n’y a pas de prière en l’Église, sans l’autre.
La prière est ce dialogue et cette rencontre, don de l’autre à Dieu et de Dieu à l’autre. Chaque homme prie, non seulement pour lui, mais aussi porte l’autre dans la prière. Cet autre peut être celui que je supporte le moins, que je refuse de rencontrer. Pourtant, dans la prière et par elle, l’autre devient ce frère que Dietrich Bonhoeffer offre à Dieu. Seul Dieu peut faire que la relation s’améliore. Dans ce don de l’autre à Dieu, Dietrich Bonhoeffer se détache de sa difficulté et la donne à Dieu pour qu’il rétablisse l’Amour, la fraternité.
La prière est alors intercession vers Dieu. Il porte l’autre vers Dieu, l’autre pour lequel le christ est mort et lui porte alors son Salut et sa Grâce. Dietrich Bonhoeffer n’est qu’un humble intermédiaire entre Dieu et l’autre. L’autre n’est plus celui qu’il refuse, mais le frère pour qui il intercède. Son regard se transforme et il voit l’humanité blessée, que seul Dieu peut sauver, guérir, pardonner.
L’intercession devient un service que nous devons à Dieu et à tous nos frères. Le refuser, c’est leur refuser le service par excellence du chrétien. Service concret offert à tout autre qui sera alors concret et fécond « La prière peut signifier parfois une lutte très dure avec tel d’entre nos frères, mais une promesse de victoire repose sur elle » (De la vie communautaire, Delachaux et Niestlé S.A., 1968, p.85-87.)
Sa prière le guide vers l’humanité profonde qui habite tout être. Il ne peut se résigner à une prière en dehors de la vie concrète. Ses poèmes sont empreints de la douleur profonde de l’homme en servitude et d’une grande espérance. Rien ne peut lui enlever cette force qui lui vient de Dieu et le fait cheminer à l’écoute de tout autre, vers cette profonde espérance. Il porte ses frères en servitude, ses frères pour qui il prêche dans sa prière. C’est une intercession incessante pour tous. Il a vécu la souffrance humaine et en témoigne. Mais il est ce témoin insatiable de la force que porte la Parole de Dieu, dans la vie de tous les jours. D. Bonhoeffer ne se confine pas dans des paroles abstraites, mais il parle de la vérité de la vie et appelle tout homme à l’espérance et à la foi.
Partager la vie de ses frères en servitude
« Etendu sur mon grabat,
Je fixe le mur gris.
Dehors un matin d’été
Qui n’est pas encore mien
Eclate de joie sur le pays.
Frère, en attendant qu’après la longue nuit.
Notre jour vienne,
Tenons ferme. »
(Voix nocturnes, extraits.)
En 1939, lorsque le nazisme envahit l’Europe, Dietrich Bonhoeffer rentre en Allemagne. Il aurait pu rester aux U.S.A., mais il explique lui-même : « Je dois traverser cette période difficile de notre histoire nationale avec les chrétiens d’Allemagne. »
D. Bonhoeffer n’est pas un homme qui se tait. Il ose une parole contre l’injustice, l’inhumanité et la haine. Il s’insurge contre la force du nazisme et désire que tout homme, tout croyant résiste aussi contre toute forme de totalitarisme. L’Allemand a appris, dit-il, à obéir et suivre l’autorité, non dans une soumission, mais dans la confiance librement consentie « [L’Allemand] qui voyait dans tout tâche une mission et dans la mission une vocation. » Mais alors, il y avait oubli du monde, c’est-à-dire de la nécessité d’une action libre et responsable même dans l’opposition à la mission et à l’ordre. En effet, les Allemands ne pensaient pas que l’autorité pouvait utiliser leur obéissance librement consentie pour le mal. Ils découvrent alors que le courage civique ne peut naître que de la responsabilité libre d’un homme libre. Cette responsabilité procède d’un Dieu qui exige une action responsable dans le libre risque de la foi et qui accorde pardon et consolation à celui qui devient pêcheur par cette même action.
Dietrich Bonhoeffer a opté pour cette action libre contre le totalitarisme qui rongeait alors la société allemande. Il a vécu jusqu’au bout cette libre parole pour éveiller l’homme, le croyant, le chrétien à se donner pour tout perdre en Christ pour tout gagner. Il secoue l’apathie, le refus de se réformer en écrivant « La grâce à bon marché » est une grâce sans Christ, sans amour, sans la croix, « abstraction faite de Jésus-Christ vivant ressuscité ». La grâce coûte cher puisqu’elle a coûté au Père son Fils unique, don de lui-même aux hommes, don d’amour et de miséricorde. « La grâce coûte cher, car elle contraint les hommes à se soumettre au joug de l’obéissance à Jésus-Christ ». Mais, Jésus-Christ ne nous dit-il pas lui-même « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau ( ) Oui, mon joug est aisé et mon fardeau est léger » (Mt 11,28.30). Suivons le Christ là où il nous mène. Regardons ce témoin d’aujourd’hui qui, dans ses écrits, nous mène à la prière et à la liberté toute intérieure face à une société qui nous entraîne dans des actions contraires à une conscience. Osons dire notre « non » d’homme et de croyants libres appartenant à une Église,mais aussi au monde.
Vivre en chrétiens responsables
« Et que ton être entier s’affermisse !
Au loin peuples, maisons, esprits et curs sont en flammes.
Tiens fermes !
Voici ton jour. »
(Voix nocturnes, extraits.)
Dietrich Bonhoeffer nous offre, dans ses écrits, de grandir à une foi adulte, autonome dans une grande liberté humble à la suite du Christ. Il pousse à une foi adulte, réfléchie dans une recherche incessante de la Vérité en la volonté de Dieu pour le chemin de chacun en Église et dans le monde.
« En devenant majeurs, nous sommes amenés à reconnaître réellement notre situation devant Dieu. Dieu nous fait savoir qu’il nous faut vivre en tant qu’homme qui parvienne à vivre sans Dieu. Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Mt 15,34) ». Dietrich Bonhoeffer désire nous voir abandonner une image de Dieu « sentiments ». Il pousse à cette foi active et mature « On peut dire que l’évolution du monde vers l’âge adulte, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme, le dirige vers le Dieu de la Bible qui acquiert sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance » (Le prix de la grâce, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1962 ). Cette foi qui pousse tout homme à des actions responsables et libres dans la société dans laquelle il évolue travaille et vit.