Monika Timar nous est connue par son journal. Avec talent, elle a rendu compte de ce qui l’habite dans une langue colorée, poétique. Avec le don de la formule quand elle exprime ses émotions, observe son milieu, laisse jaillir sa prière.
Sa prière, elle est partout dans ce journal. Parler à Dieu est aussi spontané que s’adresser à un interlocuteur visible.C’est pourquoi sa parole est si vivante, jamais superficielle. En cela, elle nous rappelle son « amie fidèle », Thérèse de l’Enfant Jésus dont elle lit et médite « Histoire d’une âme » depuis l’âge de dix ans. On ne se sent ni indiscret, ni de trop dans cette intimité qu’elle nous invite à partager. Dieu est toujours présent là où Monika se tient avec son lecteur.
Sa vie
Monika est née et a vécu en Hongrie, alors que le pays passe dans le bloc soviétique après la 2e guerre mondiale, selon les accords de Yalta.
Elevée dans une famille aisée, catholique pratiquante, Monika eut une vie familiale heureuse, malgré le contexte sociopolitique lourd : bombardements de la guerre 39-45, invasion nazie puis russe, insécurité, mise sous tutelle de l’Eglise et dissolution de la quasi-totalité des communautés religieuses de son pays. Monika, à la fois littéraire et scientifique, fit de bonnes études. Richement douée, sensible à la beauté, à la musique, à la nature, elle est ardente et énergique, tout en restant humble et réservée.
A 17 ans, Monika rencontre des jeunes filles avec lesquelles elle se lie et se retrouve pour prier. Elles appartiennent à une jeune communauté d’inspiration cistercienne vivant clandestinement sous la direction de la fondatrice, Mère Agnès, appelée « Douce mère » ou « Douce ».
Attirée par la vie contemplative, Monika entre dans cette communauté en 1955, à 18 ans. Elle fait profession en 1958. Les novices doivent mener leur vie religieuse tout en gardant leur travail et un logement personnel. Elles ne peuvent se regrouper que discrètement à certaines heures pour s’initier à la vie religieuse, liturgique et communautaire, ou pour la célébration de la Messe dans les églises restées ouvertes. A l’automne 1960, Monika ayant terminé ses études à l’Ecole supérieure médico-pédagogique, est embauchée comme psychologue dans un centre de soins pour enfants handicapés.
La nuit du 6 février 1961, sur dénonciation, la police arrête Mère Agnès, c’est l’emprisonnement et les interrogatoires de la fondatrice, du père spirituel et de 3 des surs de la communauté.
A 23 ans, Monika est élue prieure. Dans le but de rester en lien avec Mère Agnès, elle poursuit alors son journal, commencé en 1957. Nous y découvrons le chef d’uvre de Dieu que fut Monika.
« Je ne suis chez moi que là où tu te trouves toi aussi et le monde entier est devenu ma maison. » Son journal de septembre 1957 donne la tonalité de sa vie intérieure, toute tournée vers le Seigneur, l’hôte de son cur, un cur ouvert pour accueillir au-delà de toute frontière : « Combien peu je T’ai donné et combien j’ai reçu de Toi ! Je me lie pour que Tu me délies. »
En choisissant de vivre dans la clandestinité, Monika s’était mise hors la loi, suscitant l’opposition de ses parents :« Hier, j’ai été chassée de la maison de mes parents
évidemment, mon cur souffre. Toutefois depuis longtemps, je ne me suis pas sentie aussi apaisée. L’amour déborde en moi : Tu as versé de ton huile dans la veilleuse de mon coeur. »
Malgré les risques encourus, pas de compromissions ! Rien ne fera reculer Monika, pourtant très consciente des dangers de leur nouvelle situation et de sa responsabilité. Elle brûle les étapes, se donne à fond aux handicapés dont elle a la charge et à ses surs bientôt suspectées de subversion. Il lui faut désormais : assurer la cohésion du groupe, continuer la formation religieuse et spirituelle des jeunes, et ne pas céder aux pressions de l’entourage pour passer plus inaperçues. La peur l’étreint à certains moments : peur de se tromper, d’être trop exigeante à l’égard des jeunes surs, peur de désobéir aux « directeurs » spirituels du groupe,
A son abandon inconditionné à Jésus, on mesure alors chez Monika la puissance de la grâce. « Seigneur, je m’agenouille devant Toi. Je mets les mains entre Tes mains. Tiens-les fort pour qu’elles ne puissent jamais travailler autrement. Vois-Tu, Seigneur, j’ai toujours pensé qu’il suffisait d’être disponible et obéissante pour faire Ta volonté. Mais il y faut aussi du discernement. »
Impossible de professer sa foi au grand jour. Malgré la peur qui la tenaille, Monika, partagée, est acculée à l’héroïsme ou à se renier. Elle se jette en Dieu, crie vers lui :
« Pourvu que Tu me parles, Seigneur ! J’encourage les “enfants” (novices) à faire le contraire de ce que tout le monde affirme autour de nous, y compris le Père Olivier
Ce n’est pas une erreur de notre part ? Il est impossible que nous soyons obligées de tout renier, de tout trahir, pour pouvoir continuer. Il est impossible qu’il soit permis de mentir. Il est impossible qu’il soit important pour Toi que nous soyons “prudentes” à tout prix. »
« Je n’ai d’autre désir que de me donner entièrement » Le dialogue de Monika avec Jésus est permanent, tout de spontanéité, il colle aux événements qu’elle relit et médite dans son cur. Comme tout le monde, Monika a ses moments de découragement, sa responsabilité auprès des jeunes surs l’écrase : « Mais Toi, Toi, mon Seigneur, aie pitié de mon amour tourmenté, aime-les à ma place.
Monika surmonte ses moments de découragement, elle veut être « heureuse », dit-elle, non pour elle-même, mais pour Jésus et pour « les petites », son devoir principal étant de devenir le foyer « des enfants ». Il faut lire les pages des derniers mois de l’année 1961. Monika, nous promène des sommets de la liturgie pascale qu’elle va vivre avec ses surs dans une splendide abbaye millénaire encore tolérée, aux réalités plus terre à terre du quotidien.
1962 : Monika vit ses derniers mois. Il y a longtemps qu’elle s’est toute abandonnée à Dieu à travers le don total de chaque instant à Sa volonté. Sa santé faiblit. Elle se sent exténuée. Elle craint surtout de laisser ses jeunes novices sans appui, Mère Agnès étant toujours en prison : « “Douce”, lui écrit-elle, je voudrais que tu saches que je ne suis pas toujours énergique, joyeuse. Je suis découragée et j’ai le cafard souvent. Je sais que c’est bien détestable de ma part quand le soleil brille sur moi, que je peux marcher sous la pluie, courir, lire et assister à la messe
» « Comme une noyée pour une bouffée d’air, je lutte pour la prière, pour le jeu, pour pouvoir rester une enfant devant Dieu, devant le Christ, parmi vous. » « Déjà auparavant, je n’arrivais pas à prier, mais durant ces quinze derniers jours, j’ai définitivement déclaré forfait. Avec missel ou sans, le jeton ne tombe pas. »
Monika pense beaucoup aux détenus, les assiste de sa prière, s’offre entièrement pour leur libération, fait l’impossible pour les visiter et leur faire « passer » l’Eucharistie au risque d’être découverte. Les tracasseries sournoises de la société policière ne se relâchent pas. Avec humour, elle nous ouvre la porte des couloirs de la prison : « J’ai eu de l’avancement aujourd’hui : on m’a appelée “prévenue”. Il paraît qu’il existe des degrés différents : inculpée, prévenue, témoin. En signant le procès-verbal dans lequel je reconnaissais ma “culpabilité”, je me sentais comme la fiancée signant son contrat de mariage. » En fait, la prison ne la retiendra pas. Mais trop de responsabilités, d’angoisses et de privations pour une jeune femme de 25 ans : « La fatigue se referme au-dessus de ma tête, je titube au-dedans comme dans une épaisse forêt crépusculaire lorsqu’on a perdu son chemin. Pourvu que je ne sois pas malade ! Je n’ai jamais eu peur de la maladie ; si c’est Dieu qui la donne, c’est bien. »
Monika est hospitalisée pour une jaunisse pernicieuse et meurt le 13 décembre 1962
« Tu es toujours là »
L’homme qui entre dans le Temple pose cette question : « Comment dois-je me présenter devant le Seigneur, me prosterner devant le Très-Haut […] » Et il reçoit cette réponse : « Homme, le Seigneur t’a fait savoir ce qui est bien, ce qu’il réclame de toi : rien d’autre que pratiquer la justice, aimer la miséricorde, et marcher humblement avec ton Dieu. » (Michée 6, 6 et 8 ) C’est dans cette certitude de la présence miséricordieuse et aimante de Dieu que Monica peut lui adresser sa prière.
Seigneur, je me donne comme les fleurs répandent leur parfum un soir d’été.
Silencieusement, simplement, naturellement.
Personne ne doit s’en apercevoir, pas même moi.
Car ce dont ils « s’aperçoivent » n’existe pas.
Ce n’est que l’éclat de verre de ma vanité, de mon confort, de mon orgueil.
Ni prier, ni travailler, ni me taire, ni parler,
Je voudrais seulement, avec une âme toute de souplesse,
me glisser comme un outil dans ta main.
Je veux uniquement ce que tu veux.
Et je ne considère pas ma vie comme un sacrifice,
elle ne me paraît pas pénible ou difficile.
Une seule chose est pénible : quand Tu n’es pas là.
Dans ma vie, dans mes prières
– et c’est la seule chose dont je sois certaine –
Tu es toujours là.
Tu es le Roi, la Boussole et le Créateur de mes jours et de mes heures.
Que bien des choses m’échappent ? C’est sans importance !
Ceci ou cela peut avoir une fin mais non finis quaerendi
Nous devons dans cette vie Te chercher sans cesse.