Le 12 octobre une partie de l’Église fête le saint bon larron (l’Église catholique de Jérusalem par exemple).
Il y a cinquante ans précisément était guillotiné Jacques Fesch pour le meurtre d’un policier à la suite d’un hold up. Mais en prison Jacques Fesch manifeste un profond regret de ce crime , et se tourne vers Dieu, retrouvant la foi perdue dans sa jeunesse. Il vit trois ans et demi d’un véritable cheminement mystique. En décembre 1993, le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, a ouvert l’enquête préliminaire à la béatification de Jacques Fesch. C’est son itinéraire que nous vous proposons de découvrir à travers l’ouvrage de Gilbert Collard: Assassaint
Les faits se déroulent le 25 février 1954. L’énergumène entre dans un bureau de change arme au poing pour y dérober, non sans violences, plus de deux millions de francs. Mais tout ne se passe pas comme il l’aurait souhaité et l’alerte est donnée. Une folle course-poursuite s’engage dans Paris, lors de laquelle le malfaiteur tue d’une balle en plein cœur un des agents de police qui tentent de l’intercepter. Il sera finalement arrêté.
Peut-être est-il bon de rappeler que dans les années 50, le meurtre d’un policier soulevait encore l’indignation populaire. Ceci explique sans doute la passion que suscita le procès de l’assassin. Et l’on se dit que les habitués de la chronique judiciaire de l’époque – et les autres – avaient doublement de quoi soupirer d’écœurement à la lecture du profil du prévenu. Car que croyez-vous ? Que l’homme fut un orphelin ou encore un enfant battu pour lequel on peut concevoir, sans pour autant l’excuser, qu’il ait à ce point accumulé de haine envers cette société cruelle, qu’il en vienne à s’en venger de manière criminelle ? Eh bien vous n’y êtes pas du tout. Non, notre voleur de 24 ans est un gosse de riche. Oui, vous avez bien compris, un fils à papa et, comble de l’ironie, d’un papa banquier ! On croit rêver… Qu’avait-il donc besoin d’argent et d’échafauder ce plan extravagant ? Si vous aviez pu lui poser la question, il vous aurait répondu : ” pour un bateau “, pour acheter un bateau qui lui aurait permis de fuir la grisaille oppressante de cette vie, en voguant vers les îles. Mais toutes les merveilles du Pacifique méritent-elles que l’on tue un homme, laissant alors derrière lui une petite fille qui avait déjà perdu sa mère ? Certainement pas.
Dès lors, comment voulez-vous, avec toute la meilleure volonté du monde, trouver quelque circonstances atténuantes à cet enfant gâté de Saint Germain-en-Laye, blasé de Saint Germain-des-Prés et coureur de jupons invétéré ? Il sera donc condamné. La sentence tombe comme le couperet de la guillotine à laquelle le jury populaire destine l’accusé. Fait divers, affaire classée.
Pas pour tout le monde. Car celui que tous appellent ” le tueur de flic “, ” l’assassin “, cet anonyme porte un nom dont quelqu’Un se souvient, parce qu’il est inscrit dans la paume de Ses mains. Dieu, qui lui-même vit son Fils condamné à mort, attend patiemment Jacques Fesch à la sortie de la salle d’audience de la Cour d’assises. Le fait divers devient fait divin.
Oh Seigneur, comme Tu nous rejoins sur nos sentiers perdus ! Toujours Tu chemines à nos côtés sur une route que Tu sais pourtant ne pas être la plus sûre, mais sur laquelle Tu nous laisses cependant librement nous aventurer. Ainsi as-Tu fait route avec Jacques. Vous vous êtes retrouvés au carrefour de sa cellule, tandis qu’il y attendait le jour de son exécution. Lui, s’ouvrant à Ton amour par la lecture des Saintes Ecritures, Toi T’engouffrant dans son cœur par cette brèche entrouverte. L’assassin devient “assa-saint”.
Tel est le titre du livre de Gilbert Collard édité chez les Presses de la Renaissance. Une fois n’est pas coutume, Maître Collard ne se fait pas ici l’avocat de Jacques Fesch en cherchant à excuser le geste répréhensible de ce dernier, mais plutôt celui de Dieu pris en flagrant délit d’amour, au cœur même des ténèbres dans lesquelles Jacques ne semblait que pouvoir s’enfoncer…Jacques Fesch, homicide mais homme tout de même, de bonne volonté qui plus est, trouve la liberté en prison.
Car bien avant que d’être incarcéré, il était déjà enchaîné. Les signes extérieurs de richesse n’ayant jamais été le gage d’une prospérité intérieure, les juges de Jacques ne voulurent pourtant pas comprendre, qu’il est des pauvretés plus dévastatrices que la seule indigence matérielle. De ces pauvretés qui vous affament l’âme. Combien le réalisent encore aujourd’hui ? Quand on ne voit pas le ciel de la fenêtre de son HLM, quand la société et les médias vous fixent une norme de vie à laquelle votre vie n’a pas les moyens de se conformer, quand votre famille est le théâtre permanent d’une guerre de tranchées, quand consommer devient le seul moyen d’oublier ses interrogations existentielles, quand aimer c’est ” coucher “, quand, en substance, l’on sent en soi un manque tel que tous les biens du monde ne pourraient le combler, on se prend à rêver. C’est ce que fit Jacques. Fils d’un père et d’une mère, étranger l’un pour l’autre, qui lui donnèrent tout sauf l’amour qu’est en droit d’attendre d’eux un enfant, Jacques rêve d’ ” ailleurs “. Il le sait, il l’a même lu : la vraie vie est ailleurs. Et l’ailleurs en 1954, c’est l’exotisme vers lequel s’exile régulièrement son père. Mais, en fait, peu importe la destination pourvu qu’il s’arrache à ce quotidien, à son entourage, à cette vie dénuée de sens où il se voit paresseux, cynique et sans scrupules. Jacques veut partir parce qu’il croit qu’en d’autres lieux, son cœur aura d’autres élans et qu’il s’aimera mieux sous d’autres cieux, qu’il ne s’aime sous le ciel de France. Il se trompe.
Et pourtant, beaucoup de ses frères en humanité se fourvoient aujourd’hui comme Jacques s’est fourvoyé hier. Oui, notre monde est peuplé de ” Jacques Fesch “. Gilbert Collard le sait et c’est pourquoi il s’est attaché à nous dépeindre avec une rigoureuse tendresse, l’itinéraire si humain de ce bon larron des temps modernes, ce condamné à mort qui se convertira en prison avant d’être guillotiné. Quelle espérance pour toute cette frange désabusée de notre jeunesse, qui se perd à chercher le sens de sa vie !
Merci donc à Gilbert Collard pour son livre beau et écrit avec un style redoutablement efficace, ainsi que pour son analyse pertinente de la justice des hommes confrontée à la miséricorde de Dieu. Merci surtout de nous rappeler par ce témoignage saisissant, qu’il n’est pas de prison, sur cette terre ou en nous-même, que le Christ ne se lasse de visiter.